Normes de pollution : l’industrie automobile au pied du mur ?

, par Eric Drevon-Mollard

Normes de pollution : l'industrie automobile au pied du mur ?
© European Union 2013 EP - Source : EP / Bauweraerts. Didier

En 2015, le « Dieselgate », c’est-à-dire le scandale du non-respect des normes d’émission de particules et d’oxydes d’azote par les voitures diesel du groupe Volkwagen et de Daimler-Benz, a fait revenir dans le débat public le problème de la pollution automobile. L’année suivante, l’Union Européenne a ratifié les accords de Paris, issus de la COP21, où elle s’est engagée à réduire ses émissions de dioxyde de carbone afin de maintenir le réchauffement climatique dans la limite des 2°C par rapport à la période pré-industrielle. Dans ce contexte, le Parlement européen est en train de légiférer pour fixer des normes et des limites maximums d’émissions de CO² pour les voitures individuelles : le vote au Parlement européen du mercredi 3 octobre 2018 fixe le niveau de la réduction à 40% d’ici 2030.

Toutefois, rien n’est encore joué : une commission tripartite entre le Parlement, la Commission et le Conseil devra s’accorder sur une position commune en la matière, et ce n’est pas gagné. L’Allemagne, grand constructeur automobile, a déjà fait savoir qu’elle était opposée à des normes trop contraignantes. Et il semblerait qu’elle ait en partie gagné puisque le 9 octobre, le Conseil des ministres de l’environnement européens se sont positionnés pour une réduction de 35% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

Deux intérêts en apparence contradictoires s’opposent : la nécessaire et indispensable baisse de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre afin d’enrayer le réchauffement climatique, et la croissance d’un secteur économique moteur de l’Union européenne : l’automobile. Pourtant, il semble possible pour l’Europe de mettre en place un cadre législatif qui concilie les deux. En effet, nous pouvons légitimement penser que le développement du secteur de l’automobile propre peut engendrer de nouvelles innovations et un regain de croissance économique.

Les projets actuels du Parlement européen

Le lundi 10 septembre, la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire du Parlement européen a proposé de réduire les émissions de CO² des véhicules de 25% d’ici 2025 et de 45% d’ici 2030. Mais ce chiffre « est encore loin d’être assez » pour la députée européenne Karima Delli.

Toutefois, la commission du Parlement européen souhaite également adjoindre un malus en plus du bonus prévu pour les constructeurs qui mettent sur le marché des véhicules électriques. Les émissions devront être mesurées en conditions réelles de conduite, pour éviter que ne se reproduisent les tricheries et les approximations des mesures sur un banc d’essai qui ont menés au scandale du « Dieselgate ».

Cependant, un risque de tricherie persiste du fait des suspicions d’une entente entre les constructeurs européens visant à surévaluer leurs émissions actuelles, dans le but que le calcul de départ pour le pourcentage de baisse des émissions parte d’un niveau plus haut, qui s’additionne à une marge d’erreur de 5%.

Les limites maximales d’émission de CO², un outil suffisant ?

Il serait difficile d’obtenir une réduction conséquente des émissions de dioxyde de carbone de la part des constructeurs sans une limite réglementaire. En effet, de nouveaux moteurs et de nouvelles technologies demandent des investissements considérables qui réduisent la rentabilité à court terme des constructeurs automobiles. Cela poussent donc ces derniers à continuer de vendre des voitures avec des moteurs déjà rentabilisés. Cependant, le législateur européen ne doit pas seulement utiliser le bâton réglementaire, il doit aussi se servir de la carotte des incitations.

Subventionner les technologies propres

Les Japonais sont devenus des experts de l’hybride, grâce aux investissements massifs du gouvernement dans le développement de cette technologie. Ils ont pris plusieurs longueurs d’avance, la première Toyota Prius étant sortie en... 1997. Les constructeurs européens ne s’y mettent que depuis dix ans ! La raison tient à la politique ambitieuse qu’a menée le Japon, contrairement à l’Europe. Le gouvernement nippon continue d’ailleurs d’investir dans l’hybride, mais aussi dans l’électrique : une subvention de 770 millions d’Euros a été octroyée à cette fin aux constructeurs automobiles en 2013, et il a financé la construction de nombreuses bornes de rechargement électrique.

Les subventions aux bornes de recharge existent également en Europe, mais ce sont aux Etats de les mettre en place, la France ayant notamment financé leur installation depuis quelques années. D’autres pays ne mènent pas cette politique, et sont par conséquent bien moins dotés, ce qui obère d’avance le développement de véhicules 100% électriques...

Les subventions en direction des technologies propres sont donc un outil de plus entre les mains des gouvernements et des institutions européennes. L’Union gagnerait à aller dans cette direction pour éviter d’affaiblir les constructeurs automobiles, qui voient leurs marges rognées par les réglementations actuelles, d’autant que ce problème s’accentuera si la Commission et le Conseil confirment le vote du Parlement européen à propos de la réduction de 40% des émissions de CO² des voitures d’ici 2030.

Une stratégie industrielle pour l’automobile européenne

La mise en relation des constructeurs avec les start-ups est une autre piste intéressante : en effet, certaines sont créées autour de nouvelles technologies de stockage de l’électricité, et peuvent apporter beaucoup aux grands constructeurs. N’oublions pas qu’ils sont avant tout des assembleurs : ils fabriquent peu de pièces, mais en achètent beaucoup à des sous-traitants. Ceux qui savent le mieux organiser leur chaîne de sous-traitance sont ceux qui sont les plus profitables. C’est d’ailleurs ce qui a fait la force des grands groupes allemands.

De plus, il ne faut pas perdre de vue que la concurrence automobile est mondiale. Il y a beaucoup, trop peut-être, de constructeurs dans le monde, et la Chine développe à grande vitesse des voitures de plus en plus désirables, certaines avec des moteurs électriques, qui sont beaucoup moins chères que les celles des Européens. Et ce, à grands coups de subventions à l’innovation dans l’industrie automobile.

Les Etats-Unis aussi concurrencent sérieusement l’UE en matière de véhicules propres : le constructeur Tesla va bientôt commercialiser un modèle assez bon marché de voiture électrique qui inondera le segment des voitures moyenne gamme. Mais l’Europe, parce que sa fiscalité y est plus lourde dans la plupart des grands pays industriels, possède moins de très grandes fortunes. Or ces fortunes jouent un rôle important aux Etats-Unis pour investir en masse dans ce créneau avec des technologies de rupture, peut-être mieux qu’un constructeur déjà installé sur le marché, ainsi que le montre les exemples américains des GAFA et de Tesla. L’Union peut changer son cadre législatif pour corriger ce handicap, mais à supposer qu’elle le fasse tout de suite, il faudrait plus d’une décennie avant que cela ne porte réellement ses fruits.

C’est pourquoi des subventions bien ciblées et la mise en relation de start-ups du secteur de l’énergie avec des constructeurs automobiles peuvent paraître plus adaptées au contexte européen.

Le renforcement des normes concernant la limitation des émissions de dioxyde de carbone qui est actuellement en discussion au Parlement européen est une bonne nouvelle. Il faut espérer que l’Allemagne ne bloquera pas la proposition au sein du Conseil.

Cependant, ces seules mesures ne sauraient suffire, face à la concurrence asiatique et américaine. Pour que l’Europe reste un leader mondial de l’automobile et contribue activement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle doit aider les constructeurs à financer la transition, comme l’a fait le Japon avec succès, et penser avec eux une vraie stratégie industrielle de long terme.

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