Opération 17+1 : Tallinn et Vilnius ne répondent plus

, par Alexis Vannier

Opération 17+1 : Tallinn et Vilnius ne répondent plus
La Présidente de l’Estonie Kersti Kaljulaid avec son homologue lituanien Gitanas Nausėda, site Présidence estonienne. Source : Présidence estonienne

Loin de se faire dorer la biscotte sur les rivages tranquilles d’une coopération stratégique de développement avec la nouvelle première puissance économique mondiale, l’Estonie et la Lituanie ont décidé de faire un pas de côté. Les atteintes graves de la Chine contre sa population auraient-elles échaudé les deux gouvernements ? La manœuvre aura eu au moins le mérite de mettre la lumière sur Hong-Kong, le Xinjiang, Tallinn et Vilnius. Habile !

17+1 : nid d’investisseurs

L’initiative 17+1, ou Coopération Chine-États d’Europe centrale et de l’Est, fut fondée à Varsovie en 2012 et regroupe, d’un côté, 17 pays européens (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Roumanie, Monténégro, Macédoine du Nord, Bulgarie, Albanie, Grèce) et la Chine de l’autre. Cette coopération multilatérale ne prend pas la forme d’une organisation internationale mais plus d’un cadre international permettant l’élaboration de projets entre ces pays eurasiatiques éloignés en tout. Elle est un maillon essentiel dans la construction des nouvelles Routes de la Soie par l’Empire Jinping.

Cette entente a été proposée par la Chine au « ventre mou » de l’Europe : intégré à l’UE, candidats et candidats potentiels, à la lisière de la frontière et de l’influence russe, pas autant développés que les pays fondateurs de l’UE. L’idée est d’instaurer un cadre pour permettre à Pékin de financer des projets d’infrastructures de logistique et de transport, mais également de favoriser le commerce et les investissements. L’éducation, la culture et le tourisme viennent édulcorer cette ambition économique.

Cette coopération s’est notamment illustrée au moment de la prise de contrôle en 2016 du port du Pirée, attache maritime d’Athènes, par l’armateur chinois Cosco Shipping Corporation, encouragée par le Premier ministre Aléxis Tsípras, élu sur un programme opposé aux mesures d’austérité et les privatisations. 368,5 millions d’euros ont dû faciliter l’ingestion de ces belles couleuvres…

Placés dans le rôle inédit de concurrents, les États-Unis d’Amérique ont créé en 2019 le Réseau Points bleus avec le Japon et l’Australie avec le même objectif de coopérations économiques et logistiques dans la région indopacifique. L’initiative lancée par le Président Trump peine cependant à convaincre.

Une Chine boudée ?

Pour cette nouvelle réunion annuelle des 18 États, en visioconférence, peu de chefs d’États étaient présents pour faire face à la présence solennelle de Xi Jinping, le président chinois. Pologne, Serbie, Bosnie-Herzégovine… et Tchéquie bien sûr ! Son Président Miloš Zeman ne s’est pas fait prier pour y participer personnellement et même y donner une allocution. Guère étonnant pour ce sinophile convaincu, connu pour avoir moqué des manifestants tibétains.

Les autres États étaient représentés par leur Premier ministre, parfois plus légitime que le chef d’État dans ce domaine, notamment en Bulgarie et en Slovénie. Pour deux autres néanmoins, l’heure était, si ce n’est à la rebuffade, au moins à la grimace. Les tout-nouveaux gouvernements d’Estonie et de Lituanie ont envoyé seulement un ministre. La Présidente d’Estonie Kersti Kaljulaid et sa Première ministre Kaja Kallas pas plus que le Président de Lituanie Gitanas Nausėda et sa Première ministre Ingrida Šimonytė n’ont souhaité répondre à l’invitation de Xi Jinping. Il n’est pas question ici de dénigrer les ministres sollicités pour l’occasion, seulement, le symbole est fort. Le ministre des Affaires étrangères lituanien a même admis au début du mois que cette Coopération 17+1 « n’apportait quasiment aucun bénéfice à [son] pays ». La commission des affaires étrangères du Parlement lituanien a d’ailleurs recommandé la sortie du pays de ce forum d’investissements craignant qu’il n’apporte que plus de divisions au sein de l’Union européenne (UE).

Rappelons que l’Italie, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la Grèce, la Hongrie, Malte, le Portugal, la Tchéquie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie n’ont pas signé la lettre envoyée au comité des droits de l’Homme des Nations Unies condamnant la répression des Ouïghours, contrairement à leurs homologues européens. La Première ministre du Pays des cigognes s’était déjà démarquée en novembre dernier lorsqu’elle avait officiellement apporté son soutien aux défenseurs de la liberté à Taïwan, quelques mois après la visite du Président du Sénat tchèque sur l’île de Formose. De là à dire qu’il est encore possible et surtout nécessaire de critiquer les agissements de la Chine en termes de droits fondamentaux, il n’y a qu’un pas que l’on souhaiterait bien franchir plus rapidement. Les États baltes se sont exprimés en faveur de l’ouverture de délégations économiques à Taïwan.

Un gage d’alliance ?

Ces politiques audacieuses menées par les États baltes –il n’est pas économiquement aisé “d’envoyer balader” la Chine– se font, nous l’avons vu, au nom de la défense des droits fondamentaux et de l’unité européenne. En plus de ces raisons, le souci de préserver des liens solides avec les États-Unis d’Amérique. En effet, l’arrivée de Joe Biden signe, avec le départ de Donald Trump, un tournant dans les relations nord-pacifiques. Mais au-delà des lettres d’intention, la signature d’un traité sur les investissements avec la Chine en décembre dernier et la poursuite du projet Nord Stream 2 sont autant de symboles d’une certaine autonomisation du Vieux continent vis-à-vis de son allié historique. De plus, quand l’idée d’une défense européenne progresse à Bruxelles, les États baltes font partie des plus frileux, soucieux de préserver leur alliance militaire avec les Étasuniens. En s’éloignant de Pékin, les États baltes souhaitent également montrer à Washington leur bonne foi, alors que les deux puissances sont engagées dans un bras de fer économique et presque militaire depuis 2016.

Preuve qu’il est encore possible de faire passer les droits humains avant les intérêts économiques ? Les États baltes montrent à tout le moins leur attachement à ces principes fondamentaux ainsi qu’à l’unité européenne.

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