Une « crise » : un terme déconnecté des réalités
« Vague migratoire », « grand remplacement » ou encore « invasion » : ces termes ont envahi les discours actuels. En pensant illustrer les images de bateaux surchargés traversant la Méditerranée, ces termes ne font que nourrir une rhétorique de crise. Mais derrière cette description alarmiste de la situation, que disent réellement les faits ? Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), la part des personnes migrantes dans la population mondiale est restée particulièrement stable : 2,8% en 1990 contre 3,5% en 2020. Une évolution certes, mais loin d’une rupture soudaine.
Alors pourquoi utiliser le terme de « crise » ? En qualifiant ce phénomène de cette manière, les médias et certains responsables politiques orientent le débat et ainsi l’opinion publique. Cette perception alarmiste alimente la peur pour justifier les politiques de sécurisation des frontières. D’après Médiapart, la chaîne d’information française CNews aurait traité de l’immigration 335 jours sur 365 en 2023. Une surexposition médiatique qui influence directement les perceptions et réduit les personnes migrantes à de simples statistiques.
Pourtant, derrière ces chiffres se cachent des individus à la recherche d’une vie meilleure et surtout convenable. Comme le souligne l’autrice Camille Schmoll dans Les damnées de la mer (2020), les migrants ne voient pas leur parcours comme une crise, mais comme un effort pour atteindre leurs aspirations, une perception souvent oubliée dans les discours actuels. Cette déshumanisation contribue à une méfiance généralisée envers les migrants, nourrissant la peur des populations européennes.
Des politiques européennes contradictoires
Influencés par une rhétorique nationaliste, les gouvernements européens ont durci leurs politiques migratoires : en Hongrie, Viktor Orban a construit des barrières frontalières, tandis que l’Italie de Giorgia Meloni a adopté des lois restreignant l’aide humanitaire en mer.
Mais l’Union européenne elle-même n’échappe pas à cette logique : en 2022, le budget de son agence de garde-frontières, Frontex, a été augmenté, tandis que des accords avec la Turquie ou la Libye externalisent la gestion des flux migratoires. Cette gestion migratoire fragmentée met en péril l’espace Schengen et illustre l’incapacité de l’Europe à adopter une stratégie commune.
Paradoxalement, l’Europe est confrontée à une crise démographique due notamment au vieillissement de sa population se traduisant par un manque de main-d’œuvre pour soutenir son économie. Ainsi, certaines régions d’Espagne, comme la Galice, ont par exemple évité la fermeture d’écoles grâce à l’installation de familles migrantes, redynamisant ainsi les villages en déclin. Mais ce potentiel de revitalisation est contrasté par l’image alarmiste véhiculée par les médias et la sphère politique.
Une responsabilité face aux crises globales
Les migrations ne sont pas qu’une question d’opportunité ou de gestion des flux : elles reflètent des crises globales, souvent causées par l’Europe elle-même. Par exemple, la crise climatique qui, causant désertification et pénurie de ressources, force des millions de personnes à quitter leurs foyers. Cependant, ce ne sont pas ceux qui subissent les conséquences du changement climatique qui en sont les plus responsables. En effet, en comparaison, les Européens émettent quatre fois plus de CO₂ que les habitants d’Afrique subsaharienne.
Parallèlement, ces mêmes pays européens adoptent une attitude très hostile envers l’accueil des migrants climatiques, notamment par la mise en place de mesures anti-migratoires. Alors qu’une étude de la Banque Mondiale estime que l’inaction climatique en Europe pourrait doubler les flux migratoires d’ici à 2050, repenser la migration implique d’une part de reconnaître cette responsabilité globale, mais également de mettre en place des politiques réellement efficaces.
Percevoir la migration en levier de progrès
En Italie, en 2023, malgré un discours anti-immigration, Giorgia Meloni a délivré 450 000 titres de séjour pour répondre aux besoins économiques du pays. En effet, plutôt que de considérer les migrants comme une charge, l’Europe pourrait les percevoir comme un levier essentiel pour son avenir.
La migration peut aussi être source de revitalisation des zones rurales en déclin démographique. Toujours en Espagne, elle a permis de rouvrir des commerces et même de redynamiser des communautés vieillissantes. Cependant, une gestion équilibrée et inclusive est nécessaire pour éviter les disparités entre régions.
Changer de perspective pour un avenir durable
La crise migratoire est avant tout une construction politique et médiatique. En réalité, les migrations représentent une réponse aux inégalités globales, mais peuvent aussi être une opportunité permettant aux territoires et aux économies européennes de se renouveler.
L’Europe doit maintenant aller au-delà de ces discours alarmistes afin de repenser son propre rôle dans les crises climatiques et sociales. Un changement de perspective pourrait transformer la migration, non plus en fardeau, mais en solution pour la construction d’un avenir plus inclusif et durable.
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