OPINION. L’Allemagne face à l’AfD : une démocratie qui se défend… ou qui vacille ?

, par Maëlle Aillet

OPINION. L'Allemagne face à l'AfD : une démocratie qui se défend… ou qui vacille ?
Alice Weidel, cheffe de file de l’AfD à une conférence de presse en 2019 ©Wikimedia Commons

OPINION. En Allemagne, l’AfD - Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland), représentée par Alice Weidel, réalise une percée historique aux élections législatives du 23 février dernier, obtenant plus de 20 % des voix. Pourtant, l’Office fédéral de protection de la Constitution ne tarde pas à classer ce parti comme un mouvement “extrémiste de droite avéré”. Un signal fort dans un pays marqué par son passé nazi, où la démocratie se veut prête à se défendre face aux dérives antidémocratiques.

Le 2 mai, l’AfD a officiellement été déclarée comme un parti d’extrême-droite par l’office fédéral de protection de la Constitution. Néanmoins, cette étiquette soulève un dilemme majeur : à force de vouloir combattre ses ennemis intérieurs, la démocratie allemande ne risque-t-elle pas de brouiller les frontières entre démocratie et dérive autoritaire ?

Marquée au fer rouge par le nazisme : l’Allemagne se défend

À la suite de la Seconde Guerre mondiale, le principe de “démocratie militante” (Streitbarer Demokratie) développé dans les années 30 par Karl Loewenstein, s’est imposé comme un pilier de la démocratie allemande. Loewenstein affirme que la démocratie, fragile et vacillante face aux menaces internes, doit se défendre. Ainsi, les juristes allemands s’attachent à construire un rempart juridique contre toute résurgence autoritaire. En cela, ils rédigent en 1949, la Loi fondamentale allemande au sein de laquelle l’article 21.2 inscrit la possibilité de l’interdiction des partis dont les objectifs sont jugés contraires à l’ordre démocratique libéral.

La classification de l’AfD s’inscrit pleinement dans cette tradition. L’Office de protection de la Constitution soutient que l’idéologie de l’AfD “dévalorise des groupes entiers de la population en Allemagne et porte atteinte à leur dignité humaine” et “L’agitation continue contre les réfugiés ou les migrants favorise la propagation et l’approfondissement de préjugés, ressentiments et peurs envers ce groupe de personnes”, ainsi, elle n’est “pas compatible avec l’ordre démocratique fondamental.” Cette officialisation, toutefois, n’a rien d’inédit, des organisations de jeunesse du parti et des branches régionales dans les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est ont déjà été affublés de cette étiquette.

Nommer, c’est dompter ? L’étiquette d’extrême droite entre défense et dérive démocratique

La démocratie militante repose sur un paradoxe, “ le paradoxe de l’autodéfense de la démocratie” : une démocratie se défendant contre ses ennemis internes, peut-elle rester fidèle à ses principes ? Certes, l’instance juridique n’a pas encore précisé les conséquences concrètes de cette qualification de l’AfD. Néanmoins, elle confère d’ores et déjà des moyens de surveillance, notamment via des informateurs, des enquêtes financières et un contrôle renforcé des communications, sous réserve d’une autorisation préalable du Bundestag (Parlement). Ainsi, cette reconnaissance officielle, si elle ne constitue pas une interdiction en soi, est le premier potentiel pas vers une telle procédure. Un pas discret, certes, mais significatif. Les trois organes constitutionnels allemands — le Bundestag, le Bundesrat, le gouvernement fédéral — peuvent initier une procédure d’interdiction d’un parti politique (Parteiverbotsverfahren), prévue par l’article 21.2 de la Loi fondamentale, devant la Cour constitutionnelle.

Si l’on effectue un retour dans le passé, en 1952, le parti néonazi, Parti socialiste du Reich (SRP) est dissout et en 1956, le Parti communiste allemand (KPD) est interdit par la Cour constitutionnelle, montrant que l’Allemagne s’est toujours montrée déterminée à protéger la démocratie des extrêmes, qu’ils soient de gauche ou de droite.

Les dirigeants de l’AfD dénoncent ce classement comme une manœuvre de l’“establishment” visant à les museler politiquement. À l’étranger, certaines voix se sont également faites entendre. Par exemple, le vice-président américain J. D. Vance est même allé jusqu’à accuser Berlin de reconstruire symboliquement le Mur, non plus sous influence soviétique, mais sous l’impulsion des élites allemandes.

Le pluralisme, pilier fondamental de la démocratie, implique la coexistence de partis politiques adverses, ce qui est inhérent au bon fonctionnement démocratique. L’AfD, en réalisant une percée historique, révèle l’insatisfaction d’une part de la population face au fonctionnement politique actuel. Ainsi, en interdisant un parti, le régime renierait ses propres principes, limitant le pluralisme et négligeant le vote des citoyens. Michael Minkenberg, analyste politique de l’Université européenne Viadrina de Francfort-sur-l’Oder, en Allemagne, avertit sur l’interdiction de ce parti : “Est-ce qu’il est démocratique d’interdire un parti qui a remporté une voix sur cinq lors de la dernière élection et qui décroche jusqu’à 40 % des voix dans certaines élections régionales ?”

Cette décision s’inscrit dans un contexte européen où plusieurs pays s’engagent sur un chemin similaire. On peut établir un parallèle avec la France où Marine Le Pen est condamnée à l’illégitimité pour l’élection présidentielle de 2027, à la suite d’une affaire de détournement de fonds.

Une banalisation de l’extrême droite dans le paysage politique

Nommer un parti d’”extrême droite”, est-ce le combattre… ou lui donner une tribune ? Les étiquettes sont des constructions sociales, elles ne sont pas neutres, et modifient la réalité. Les catégories telles que “extrême-droite”, “populisme”, “illibéralisme” sont des outils d’analyse, non pas des réalités objectives.

Affubler un parti de l’étiquette d’extrême droite mène à une banalisation de ces idéologies et produit une galvanisation des militants du parti, puisque le parti va chercher à se défendre contre ces accusations. Le parti risque d’adopter une rhétorique victimaire, provoquant un effet boomerang, renforçant le sentiment de défiance envers les institutions, particulièrement dans le cas d’un électorat déjà méfiant. L’exemple le plus récent illustrant ce phénomène est le scandale d’Ibiza en 2019 concernant le FPÖ (parti d’extrême droite autrichien), qui n’a pas provoqué la disparition de ce parti, mais plutôt un regain de sa popularité. Le FPÖ, usant d’une stratégie innovante, s’est positionné en victime.

En définitive, l’usage excessif d’une étiquette affaiblit sa portée et tend à relativiser sa signification aux yeux de l’opinion publique. Ainsi, l’étiquette d’extrême-droite possède-t-elle encore un sens, un pouvoir dissuasif ?

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