OPINION.L’Ukraine, 1000 jours de combat : Qu’est-ce que l’Europe doit comprendre ?

, par Le Courrier d’Europe, Александра Борисенко (Oleksandra Borysenko)

OPINION.L'Ukraine, 1000 jours de combat : Qu'est-ce que l'Europe doit comprendre ?
Depuis le début de l’agression russe, des milliers d’habitations ont été ravagées comme cet immeuble à Kyiv. ©Unsplash

OPINION. Le 19 novembre, a marqué une date triste et improbable pour l’Ukraine : 1000 jours de guerre à grande échelle. Depuis 1000 jours, tout le pays se bat pour sa survie.

Il ne s’agit pas d’une exagération de dire que le 24 février 2022 a constitué un tournant irréversible dans l’histoire de l’Ukraine. L’Europe n’est plus un continent pacifique. La « fin de l’histoire » annoncée par Francis Fukuyama, où la démocratie aurait triomphé et où la guerre serait une chose du passé, ne s’est pas réalisée.

Au contraire, l’Europe fait face à la guerre la plus violente depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quelles leçons le Vieux Continent doit-il en tirer ?

L’apaisement de l’ours russe n’est pas la meilleure solution

Pour les Ukrainiens, ce n’est pas le 1000ème jour du conflit, mais plutôt « le 1000ème jour d’une guerre qui dure depuis des siècles ». Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails historiques des interdictions de la langue et de la littérature ukrainienne par l’Empire russe, des exécutions d’intellectuels ukrainiens par le gouvernement soviétique, ou de la famine orchestrée par la dictature de Staline.

Une chose est certaine : l’agression russe contre l’Ukraine n’a pas commencé le 24 février 2022, mais au moins huit ans auparavant, en 2014. Avant cette date, peu de gens en dehors des cercles informés avaient entendu parler des événements de cette année-là, où la Russie a occupé la péninsule de Crimée et une partie du Donbas, une région à l’est de l’Ukraine. Avec le soutien de ses troupes, elle a organisé des pseudo-référendums pour détacher ces régions de l’Ukraine. Si l’annexion de la Crimée s’est faite sans effusion de sang, une véritable guerre a été déclenchée dans le Donbas, faisant environ 14 200 à 14 400 victimes selon l’ONU.

Et quelle fut la réaction du monde occidental en 2014 ? Pour faire court, presque rien. Quelques sanctions individuelles imposées par l’UE, des condamnations, des inquiétudes et des appels au dialogue ont émané des pays occidentaux et des organisations internationales, mais aucune livraison d’armes à destination de l’Ukraine, et aucune compréhension que la Russie ne s’arrêterait pas au Donbas ni à la Crimée.

L’Occident a continué son « business as usual » avec la Russie. A l’époque, l’Allemagne avait même décidé de construire le gazoduc Nord Stream 2, projet qui n’a été stoppé qu’en février 2022, quand l’invasion à grande échelle était imminente et inévitable. L’ancienne chancelière allemande, Angela Merkel, a justifié ses efforts pour retarder la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, évoquant des craintes de représailles de la part de la Russie, selon des extraits de ses mémoires publiés dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit.

Pour les occidentaux, la Russie était trop importante en tant que partenaire et trop redoutable en tant que rival. Les objectifs russes, mal interprétés, ont conduit les Européens à croire que la Russie se contenterait de prendre les régions « pro-russes » de l’Ukraine avant de redevenir un partenaire stable et prévisible.

Le 24 février a clairement montré que cette stratégie avait échoué. Au lieu d’un « conflit de basse intensité », une guerre à grande échelle se déroule sur le continent européen.

La Russie est beaucoup moins forte qu’on ne le pensait

Ne vous méprenez pas, la Russie demeure le plus grand pays en termes de superficie. Elle possède des armes nucléaires et une population d’environ 144 millions d’habitants. Cependant, ces 1000 jours de guerre avec l’Ukraine, un pays d’à peine plus de 40 millions d’habitants, ont révélé qu’elle n’est pas une puissance militaire invincible.

En février 2022, l’Ukraine était perçue comme un pays condamné. L’ex-ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, a partagé ses souvenirs d’une réunion avec le Président américain Biden : tous les renseignements et analystes s’accordaient à dire que l’Ukraine périrait. Les États-Unis avaient même proposé l’évacuation du Président Zelensky. La Russie, quant à elle, pensait pouvoir prendre Kyiv « en trois jours », une idée qui semble aujourd’hui risible. Les livraisons d’armes occidentales, alliées au courage des soldats ukrainiens, permettent à l’Ukraine de résister à l’invasion russe à grande échelle, qui était censée ne durer que quelques mois.

Les soi-disant “lignes rouges” fixées par Poutine sont l’un des facteurs majeurs ayant retardé des livraisons plus conséquentes d’armes. En effet, le président russe perçoit l’usage d’armes occidentales en Ukraine comme une déclaration de guerre de l’OTAN contre la Russie, et des frappes sur le territoire russe entraîneraient une réponse nucléaire. Cependant, ces presque trois années d’invasion ont prouvé que Poutine ne concrétise pas ces menaces ; elles font plutôt partie de sa stratégie de négociation avec l’Occident.

L’Europe doit apprendre à se protéger

Tout au long du conflit, les États-Unis ont été le principal soutien à l’Ukraine. Ils sont le plus grand donateur d’équipements militaires et ont souvent initié des politiques favorables à l’Ukraine, qui ont ensuite été reprises par d’autres pays. Cela a été le cas pour les livraisons d’avions F-16 ou, plus récemment, pour l’autorisation de frapper des cibles en Russie avec des missiles semi-balistiques ATACMS.

C’était la politique de l’administration Biden. L’avenir du soutien américain à l’Ukraine et à l’Europe en général reste toutefois incertain après la victoire de Donald Trump. Ce dernier avait promis de « terminer ce conflit en deux jours » et, une fois élu, a clairement exprimé son aversion pour l’idée de continuer à aider l’Ukraine à reprendre les territoires occupés par la Russie.

Le récent appel du chancelier allemand Olaf Scholz à Poutine montre que l’Europe est prête à suivre la politique des États-Unis sur l’Ukraine, comme cela a déjà été le cas sous l’administration de Biden.

L’idée d’une trêve dans cette guerre cruelle et sanglante peut sembler une solution acceptable pour certains : des civils meurent chaque jour, la population ukrainienne est épuisée par le conflit, qui est désormais dans l’impasse.Cependant, il est crucial de comprendre qu’il ne s’agit que d’une trêve, et pas d’une solution durable. L’Ukraine ne pourra pas reprendre ses territoires à court terme, et la Russie ne se contentera pas des régions ukrainiennes déjà occupées.

Comme nous l’avons déjà constaté, chaque fois que la Russie enfreint le droit international sans conséquence, elle intensifie ses violations. Cela signifie que les voisins européens de la Russie - les pays baltes, la Finlande et la Suède , ou encore la Pologne - ont toutes les raisons de s’inquiéter : ils pourraient être les prochains.

C’est pourquoi l’Europe doit prendre au sérieux sa défense et ne pas prendre la guerre en Ukraine à la légère. Malheureusement, après 1000 jours, cette guerre est loin d’être terminée et ses conséquences pourraient affecter tout le continent.

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