L’adoption de la directive sur le transfert des données passagers ce 14 avril met un terme à la « saga » PNR (« Passenger Name Record »). L’essentiel de la classe politique peut s’en satisfaire et nos leaders nationaux, pavoiser, montrant à qui veut l’entendre le résultat d’un vote couronnant leurs efforts. L’opinion publique peut donc rendre hommage à leur talent, à leur persévérance et à leur volonté de faire de la France le pays leader de la lutte antiterroriste.
Pourtant, les apparences sont trompeuses. Car cette histoire pleine de péripéties risque de ne pas se terminer de sitôt, puisque la justice européenne doit encore se pencher sur le dossier du PNR. Rien n’est d’ailleurs gagné face à des juges très remontés depuis l’affaire Snowden, contre les dispositifs de surveillance de masse.
Autre écueil, le PNR doit être transposé dans la loi nationale, ce qui va prendre plusieurs mois. Surtout, à supposer que tous les États se montrent consciencieux, rien ne garantit que le dispositif PNR soit à la hauteur. Ceux déjà mis en place ne fonctionnent pas toujours comme il se doit, l’échange d’informations connaissant certaines ratées. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le PNR français ne fonctionne toujours pas à l’heure actuelle. Mieux vaut donner des leçons aux autres qu’à soi-même. On le voit, sous le vernis des grands discours se cache une réalité nationale plus sombre.
Le spectacle de l’hypocrisie politique
Un article intitulé « Le débat sur le PNR tourne au bal des hypocrites » [1] illustre parfaitement l’ambiguïté de la France en particulier, et des États en général, dans cette affaire, promptes à fustiger l’Europe, mais incapables de se partager effectivement les données sur les passagers aériens (les dispositifs PNR sont effectifs dans plusieurs États membres rappelons-le). Les États se cachent derrière leur petit doigt pour dénoncer l’attitude de l’Europe, et en particulier du Parlement européen, occultant ainsi leurs propres carences, en premier lieu les dysfonctionnements de la part des services de sécurité, en France comme en Belgique, en matière d’échange de renseignements [2]. En clair, face caméra, la France joue la carte européenne en insistant sur l’importance de PNR, mais en off, elle entend faire en sorte que ses services de renseignements, faute de supervision européenne, restent libres de coopérer… ou de ne pas le faire. En somme, dire blanc tout en faisant noir, et, dans ce petit jeu, le Parlement européen fait office le bouc émissaire de la lutte antiterroriste française [3]. Un mauvais remake des bons États protecteurs face à la vile Europe.
Sous le masque de l’europhilie française
Souvenons-nous, les attentats ayant émaillé l’année 2015 ont été l’occasion pour le premier ministre, Manuel Valls, comme le président Hollande, d’adopter une posture qu’ils affectionnent tant, celle du « chef de guerre » contre le terrorisme, guerre qui, à certains égards, rappelle plus qu’étrangement la War on Terror de George Bush. Dans un contexte où il est question, non pas de se demander s’il faut adopter un « Patriot Act à la française », mais quelle forme ce Patriot Act très Frenchy doit revêtir, l’Europe est instrumentalisée par la France, sommée de se montrer docile. On retrouve une transposition de la posture américaine unilatéraliste du « si vous n’êtes pas pour moi, vous êtes contre moi ».
Les propos d’un ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, tenus après les attaques de novembre 2015, sont éloquents. Soit l’Union européenne accepte les exigences sécuritaires de la France, soit la France menace, au regard des impératifs de protection face à une menace de nature existentielle, en réinstaurant de manière illimitée les contrôles aux frontières avec ses voisins. Se soumettre ou se démettre en quelque sorte…
La menace proférée est à peine voilée. Les démocraties européennes en péril sont enjointes de resserrer les rangs et de faire taire les oppositions. Toute dissension interne apparaît dès lors inacceptable. Pour une France en état d’urgence, les atermoiements du Parlement européen ne sont que perte de temps, voire la manifestation d’un laxisme de la part de députés ayant perdu purement et simplement le sens des réalités. Le premier ministre, affichant quant à lui sa pleine conscience du danger, se montre visionnaire dans les choix à entreprendre en matière de lutte antiterroriste. Pour paraphraser le professeur de droit Henri Labayle, « au bal des hypocrites, le carnet de chacun est bien rempli » [4] et dans ce bal qui se joue sous nos yeux, le représentant d’une France meurtrie et en état de choc s’attribue tout logiquement le beau rôle en sermonnant des députés européens hésitants, sommés d’adopter un texte inutile en l’espèce, puisqu’il n’aurait empêché en aucune manière les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016.
Accuser l’Europe plutôt que dénoncer les lacunes des États
Les retards de l’assemblée strasbourgeoise et son refus d’obéir tel un bon petit soldat aux ordres d’un Conseil des ministres, qui, pour mémoire, n’est pas son supérieur hiérarchique, rappelle le procès en sorcellerie fait à Schengen il y a peu. L’ancien député européen Jean-Louis Boulanges déclarait : « s’en prendre à Schengen pour son incapacité à réguler le torrent migratoire, c’est aussi injuste que de faire un procès à son couvreur parce que la tornade du siècle a emporté le toit de la maison ! » [5]. S’en prendre à l’Union européenne pour sa soi-disante incapacité à contrer le terrorisme, c’est aussi s’attaquer au couvreur qui, face à la violence de la tornade, n’a pu être en mesure de protéger la maison Europe avec les matériaux de mauvaise qualité que le maître d’œuvre, en l’occurrence les États, lui a donnés.
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