Pologne : grève massive des enseignants

, par Dominika Haładyj

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Pologne : grève massive des enseignants
Grève des enseignants, manifestation du 13 avril 2019 Crédits Photo : Marta Dudzińska

Du 8 au 27 avril 2019, 74% des écoles polonaises se sont mises en grève. Mais, les enseignants ont décidé de suspendre leur grève bien que le gouvernement n’ait pas accédé à leur revendication principale, c’est-à-dire une hausse des salaires. En effet, le gouvernement a proposé 10% d’augmentation en septembre mais seul le syndicat Solidarność, proche du gouvernement actuel, a signé cet accord.

Enseignant, un métier difficile

Tout d’abord, il faut rappeler qu’en Pologne, les enseignants doivent suivre une formation de cinq années d’étude supérieure, puis ils suivent un premier stage d’un an et neuf mois, ensuite successivement deux stages de deux ans et neuf mois chacun. Le salaire brut d’un jeune enseignant est de 2417 Zlotis (environ 565 Euros) brut par mois et à la fin de son parcours professionnel, un enseignant gagne en moyenne 3317 Zlotis (environ 775 Euros) brut par mois. Ainsi, selon le rapport Education at a Glance 2018 préparé par l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), les enseignants polonais font partie des moins bien rémunérés dans le métier en Europe.

Néanmoins, les enseignants polonais se sont mis en grève non seulement pour réclamer une hausse de salaire mais aussi pour demander un budget plus important pour l’éducation et la simplification de leur parcours professionnel. Ils ont aussi tenu à manifester leur colère liée à la dernière réforme de système scolaire introduite en 2017 qui consiste selon certains à la liquidation pure et simple des collèges. Plus précisément, l’école primaire ne compte plus six mais huit classes et le lycée dure quatre au lieu de trois ans. En raison de ce changement, deux fois plus d’adolescents candidatent dans les lycées cette année. Ainsi, il y est très difficile d’y être admis. Quant aux enseignants, à cause de cette réforme du collège, ils sont obligés de travailler dans plusieurs écoles en même temps pour valider leurs dix-huit heures de cours hebdomadaires (qui correspond à la durée de présence physique devant les élèves à temps plein en Pologne, qui est la même qu’en France par exemple). De plus, il y a des problèmes avec des manuels. Par exemple, dans une école primaire où les élèves ont déjà commencé à apprendre le français il y a quatre ans, ils doivent maintenant utiliser le livre pour les débutants encore une fois parce qu’aucun manuel n’est prévu pour ceux qui continuent l’apprentissage.

Rôle d’enseignants

Disons-le clairement : depuis un certain temps, être professeur en Pologne n’est plus prestigieux. Malgré de nombreux enseignants formidables dont on se souvient toute sa vie, il y a aussi ceux qui travaillent à l’école par accident, et, par conséquent, ce métier si noble n’est pas bien perçu au sein de la société. En revanche, en Finlande, pays modèle en termes de système scolaire, avant même d’être admis à la faculté qui forme les enseignants, les candidats doivent passer un examen et acquérir des compétences interpersonnelles bien définies. Une fois diplômés, seuls les meilleurs étudiants commencent à travailler à l’école. Par contre, ce n’est pas le cas en Pologne. Malgré les stages faits par des diplômés qui enseignent déjà (les étudiants suivent les stages aussi) qui ont pour but d’améliorer leurs compétences grâce aux formations supplémentaires et aux observations des cours [1], en réalité, les enseignants sont incités à suivre le code de l’éducation.

Pour améliorer le système, il faudrait plutôt modifier les objectifs du parcours professionnel des enseignants pour qu’ils puissent se concentrer sur l’amélioration de leurs compétences professionnelles. En outre, il est crucial de sélectionner les meilleurs candidats pour travailler à l’école et qui choisissent consciemment ce métier, qui sont ouverts d’esprit, qui n’hésitent pas à répondre aux questions, parfois difficiles, des élèves, qui savent transmettre leurs connaissances et leur savoir-faire, qui inspirent leurs élèves. En effet, ce sont eux qui façonnent la société et forment les futures générations. Il faut également que la société comprenne que le métier d’enseignant consiste principalement à transmettre des savoirs et à montrer le monde, pas à garder leurs enfants. C’est pourquoi, il est nécessaire de sensibiliser la société polonaise à l’importance de l’éducation et, en conséquence, au rôle précieux des enseignants.

Un élan de solidarité envers les professeurs

Les citoyens se solidarisent avec les grévistes bien que ce mouvement ait démarré juste avant l’examen du brevet qui a eu lieu du 10 au 12 avril et du 15 au 17 avril. Ils sont descendus dans la rue dans quelques villes polonaises ce 12 avril 2019, notamment à Varsovie où plusieurs milliers de personnes se sont réunies en signe de soutien avec les enseignants. De plus, le comité Je soutiens les enseignants (Wspieram Nauczycieli) a été créé pour venir en aide financière aux professeurs en lutte. Les contributions à la caisse de grève augmentent de jour en jour et ce comité est aujourd’hui soutenu par de nombreuses personnalités et artistes polonais telles que Paweł Pawlikowski, le réalisateur de Cold War et de Ida, ou encore Olga Tokarczuk, auteur des Livres de Jakób. De plus, un concert de soutien aux enseignants a été organisé le 17 avril 2019 à Varsovie, et qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes. Le 23 avril, une manifestation devant le Ministère de l’Éducation nationale a eu lieu et des milliers d’enseignants, d’employés administratifs des écoles (qui étaient aussi en grève), de parents et d’élèves y ont participé. A ce titre, les élèves ne sont pas en reste non plus, puisqu’un certain nombre d’entre eux portent dans la rue le badge avec un point d’exclamation, symbole du mouvement gréviste.

Grève suspendue

Le 27 avril, la grève a été suspendue jusqu’à septembre en raison du baccalauréat qui se déroulera à partir du 6 mai. Les enseignants n’ont pas pris le risque de ne pas admettre les lycéens aux examens. Néanmoins, Sławomir Broniarz, dirigeant du principal syndicat des enseignants polonais, souligne qu’il reprendra les consultations avec le gouvernement à l’automne prochain. De plus, le 25 avril, lors d’une conférence de presse, il a annoncé qu’il voulait organiser en juin une table ronde sur la réforme du système scolaire. Mateusz Morawiecki, premier ministre polonais avait justement annoncé la tenue d’une réunion similaire le 26 avril dans le stade national de Varsovie, mais les grévistes et les partenaires sociaux ont refusé d’y participer parce que, selon eux, c’était une idée irréfléchie qui n’aurait eu pour but que de virer au spectacle.

[1] Rozporządzenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 26 lipca 2018 r. w sprawie uzyskiwania stopni awansu zawodowego przez nauczycieli (Dz.U. z 2018 r., poz. 1574)

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