Une vie bercée par la danse
Dans la famille de Bronislava Nijinska, la danse est une véritable passion héréditaire. Ses deux parents Eleonora Bereda et Thomas Nijinsky étant eux-même danseurs polonais, Bronislava et son frère aîné Vaslav Nijinski ont baigné dans le monde de la danse dès l’enfance. Née en 1891 à Minsk dans l’Empire russe, Bronislava a d’abord été initiée aux claquettes ainsi qu’aux danses folkloriques russes, polonaises et hongroises. Sa formation classique se déroule principalement à l’école impériale de ballet de Saint-Pétersbourg avec les chorégraphes russes Nicolas Legat et Michel Fokine. Elle intègre les ballets russes de Serge de Diaghilev en 1909, de même que son frère Vaslav.
Si on la découvre dans son rôle de danseuse de rue dans le ballet Petrouchka de Fokine, c’est l’influence de son frère aîné qui va lancer sa carrière. Elle a notamment travaillé avec lui sur sa création l’Après-midi d’un faune. Après avoir dansé ses premiers solos, elle ouvre l’École du mouvement à Kyiv en 1919. L’un de ses premiers élèves est le futur chorégraphe Serge Lifar. Elle va ensuite diriger les ballets russes à partir de 1921 et chorégraphie le Renard, l’un de ses premiers ballets, en 1922 sur un musique composée par Igor Stravinsky. Les noces (1923) est le ballet qui lui construit sa renommée. Cette histoire sur les noces de paysans russes mêle à la fois modernité et primitivisme. Les années qui suivent, elle chorégraphie Le Train Bleu et les Biches, deux autres de ses succès. Après avoir dirigé sa propre compagnie pendant 5 ans, elle déménage à Los Angeles en 1937 pour ouvrir son école de danse et ne revient en Europe qu’en 1945. Son ballet Les Biches est remonté par le directeur du Royal Ballet, Frederick Ashton. Elle passe la fin de sa vie aux États-Unis avant de s’éteindre en 1972.
Une vision novatrice du ballet et des rôles genrés
Bronislava Nijinska a modernisé la danse classique notamment dans le travail du rythme qui sort des codes du ballet. En effet, les partitions des musiciens sont très complexes avec des rythmes irréguliers et sophistiqués. Les danseurs ont également des difficultés à danser puisque les pulsations de la musique et les comptes des pas ne correspondent pas. Ses ballets sont donc assez chers à monter et très peu peuvent être organisés en tournées. Cependant, certaines de ses œuvres restent des incontournables du répertoire classique et sont rejouées partout dans le monde. C’est par exemple le cas des Noces, qui malgré ses 40 danseurs et la musique assez complexe d’Igor Stravinsky, a été repris à de nombreuses reprises par des compagnies américaines. Elle a également modernisé les mouvements en eux-mêmes en s’inspirant notamment du travail de son frère sur l’abstrait.
Bronislava n’a pas seulement révolutionné la danse en elle-même mais également la perception des genres dans le ballet. La chorégraphe souhaite en effet s’éloigner de l’image de la ballerine très féminine et élégante et ne se revendique pas comme telle. Au contraire, elle a parfois interprété des rôles masculins comme dans l’adaptation de la comédie-ballet de Molière Les Fâcheux. L’autrice Lynn Garafola ayant écrit la biographie La Nijinska Choreographer of the Modern, publiée en 2022, indique dans une interview du New York Times que Bronislava ne s’identifie pas à “ce personnage au sommet de la hiérarchie du ballet qui se consacrait à la beauté féminine telle qu’elle était définie par les contraintes et les idéaux du ballet”. Son œuvre les Biches se penche aussi sur cette question des genres puisqu’elle met en scène une fête de jeunes femmes émancipées.
Une carrière productive mais dans l’ombre
La carrière de Bronislava n’a pas été reconnue à sa juste valeur. Le travail de son frère a souvent éclipsé le sien, alors que la carrière de Vaslav a été plus courte que celle de sa sœur, celui-ci étant atteint d’une maladie mentale à 29 ans. Il a chorégraphié seulement 3 ballets dont le très célèbre Sacre du Printemps, notamment repris par Pina Bausch, contre 60 pour Bronislava. Mais seulement 3 pièces de cette dernière ont bénéficié d’une certaine renommée : Les Noces, les Biches, et le Train Bleu.
Une des raisons pour laquelle la reconnaissance ne vient pas malgré sa carrière productive est le manque de régularité et d’attachement à une troupe particulière. Elle a en effet composé des chorégraphies pour près de 24 compagnies différentes en passant rapidement d’une troupe à l’autre. Elle ne s’inscrit donc pas vraiment dans la durée et ses œuvres sont retirées rapidement du répertoire de la troupe. Les directeurs des compagnies ont tendance à la faire sur-travailler sans payer ses heures supplémentaires. Ses techniques révolutionnaires de ballet ont été reprises par le chorégraphe George Balanchine, éclipsant un peu plus Bronislava puisque ce dernier a été aidé par une compagnie qui lui était dédiée.
Une mémoire en construction mais encore incomplète
Longtemps oubliée et éclipsée par le travail de son frère Vaslav Nijinski, Bronislava Nijinska est aujourd’hui de plus en plus reconnue. La première biographie majeure sur la chorégraphe La Nijinska, Choreographer of the Modern a été écrite en 2022 par Lynn Garafola. Elle est un outil important pour la reconnaissance et la reconsidération du travail de la chorégraphe. Une statue de la chorégraphe, réalisée par le sculpteur polonais et ukrainien Giennadij Jerszow avait tout de même déjà été érigée et montrée au public en 2011 dans le foyer de l’opéra national de Varsovie. Cependant, Bronislava n’a pas vraiment eu de reconnaissance pour sa carrière de chorégraphe avec cette statue puisqu’elle est représentée avec son frère Vaslav en tenues de l’Après-midi d’un Faune, composée par Vaslav et non sa sœur.
Bronislava est une figure de la danse classique, qui malgré les difficultés à être reconnue, a profondément bouleversé les codes du ballet.
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