Pour la création d’un salaire minimum européen

, par Eric Drevon-Mollard

Pour la création d'un salaire minimum européen

L’Union européenne et ses Etats membres devraient-ils à terme mettre en place un salaire minimum européen ? Un tel dispositif favoriserait-il une meilleure convergence des économies européennes ou bien doit-il être envisagé seulement lorsque les divergences économiques d’un état à l’autre, d’une région à l’autre, seront moindres ? Le sujet fait débat au sein de nos rédacteurs. Voici une première opinion sur le sujet.

Le 17 novembre 2017 à Göteborg en Suède, les 28 états membres de l’Union européenne (UE) ont signé le Socle européen des droits sociaux. Ce texte garantit notamment des minima de temps de travail, des garanties en termes de conditions de travail, ainsi que de congé parental. Il énonce également que des « salaires minimums appropriés » doivent être garantis dans tous les pays européens.

Ce Socle est efficace non seulement pour garantir les droits des travailleurs, mais aussi pour assurer la convergence économique entre les pays de l’Union européenne. En effet, les différences y sont bien trop importantes : alors que le PIB (Produit intérieur brut) par habitant de la Bulgarie est inférieur de plus de 50% au PIB par habitant moyen de l’UE, le PIB par habitant du Luxembourg est plus de deux fois et demi supérieur à la moyenne des Etats membres, ce qui génère forcément des écarts importants de salaire minimum d’un pays à l’autre. Agir sur ce paramètre aiderait les pays européens à converger, à condition toutefois de tenir compte des lois économiques, des spécificités locales, et de ne pas vouloir brûler les étapes.

Comment fixer un salaire minimum dans l’UE ?

Deux types de mécanismes de salaire minimum peuvent être imaginés dans l’Union européenne. Première possibilité, le législateur pourrait fixer arbitrairement un pourcentage du revenu médian comme salaire minimum, en accord avec la manière de mesurer le taux de pauvreté dans l’Union européenne. Certains rapports préconisent de le fixer comme ce dernier est calculé par Eurostat, à 60% du revenu médian. Deux problèmes se posent avec cette approche : d’une part, les Traités européens prévoient que les législations sur les salaires relèvent du niveau national ; d’autre part, définir la pauvreté comme une proportion fixe du revenu national est absurde : il suffirait, si l’on s’en tient à cet indicateur, que dans un pays, les plus riches soient ruinés ou le fuient en masse pour que la pauvreté diminue... Mieux vaut opter pour la méthode américaine : le taux de pauvreté se calcule à partir d’un panier de bien indispensable.

Seconde possibilité, la plus pertinente : il s’agit de fixer un salaire minimum fédéral, comme aux Etats-Unis, afin de favoriser la convergence des niveaux de vie entre les différents pays européens. Cette option offrirait une garantie dans les pays de l’Union qui n’ont pas de salaire minimum, notamment l’Italie. Cette approche est loin d’être simple à mettre en œuvre, à cause des très grands écarts de salaires : au Luxembourg, le salaire minimum est à près de 2 000€ par mois, alors qu’il n’est que de 235€ par mois en Bulgarie. Il importe donc de lier le salaire minimum fédéral à des mécanismes de convergence, qui n’étouffent pas pour autant les économies les moins compétitives. L’écart de montant n’est pas aussi important quand on y regarde de près : la Bulgarie est une exception avec son salaire minimum et son salaire médian aussi bas. Les autres pays qui sont en dessous de 500€ par mois, les pays baltes et des Balkans, grâce à une forte croissance accélérée par l’Union européenne, approchent de ce montant. Leurs économies pourraient aisément le supporter d’ici un an ou deux.

Une hausse dans les pays les plus pauvres financée par une hausse du budget de l’UE

Avec des aides spéciales issues d’une hausse du budget de l’UE, jusqu’à 5 ou 6% du PIB, tel que préconisé entre autres par l’Institut Montaigne, pour assurer la convergence et la stabilisation des économies de l’Union, il serait possible d’investir massivement en Bulgarie, et de manière plus modérée dans les autres pays n’atteignant pas encore ce niveau de salaire, afin de permettre à leurs économies de supporter un salaire minimum fédéral de 500€ par mois. Ce montant pourra ensuite être revalorisé au bout de cinq ans si moins de 5% de la masse salariale européenne se trouve payée à ce montant.

Une convergence à la baisse facultative et régionale dans les pays les plus riches

L’aire pertinente d’application d’un revenu minimum n’est pas le pays, mais plutôt la région. En effet, les plus grands états de l’UE sont généralement très polarisés en termes de dynamisme économique : on pense particulièrement à l’Italie, où le nord ressemble plus aux Pays-Bas et le sud au Portugal, mais aussi à l’Espagne, l’Allemagne, et la France. De grandes zones très dynamiques et transfrontalières traversent l’Europe : la Ruhr, les Pays-Bas, la Flandre, le Luxembourg, l’Alsace, la Suisse et le nord de l’Italie forment un continuum dynamique. Il existe aussi des îlots de richesse : la région parisienne, Madrid, Barcelone, Toulouse... Au milieu se trouvent des zones déshéritées, moins performantes et compétitives. Un salaire minimum unique est donc une absurdité pour la France ou l’Espagne, parce que l’Andalousie ou le sud du Massif central auraient besoin d’un salaire plus bas que la région parisienne, qui supporterait très bien un SMIC encore plus élevé que le SMIC national. Une baisse serait donc bienvenue dans certaines régions des grands pays, mais elle ne doit en aucun cas être brutale. Dans les régions où le salaire minimum est trop élevé, la mise à niveau devrait s’appliquer progressivement par secteurs, en commençant par ceux qui ont la plus faible valeur ajoutée. Les compétences en matière salariale doivent absolument être déléguées aux régions dans les grands pays, afin d’être au plus près des différents marchés du travail, et des électeurs. Dans les régions les plus pauvres de France, comme la Corse ou les Hauts de France, le chômage élevé et les faibles qualifications des travailleurs plaideraient en sa faveur, et elle finirait par être votée. Dès qu’une région en difficulté l’aurait adoptée, des installations d’entreprises inciteraient d’autres régions à prendre exemple, et susciterait une saine concurrence entre les territoires.

Les pays de l’ouest de l’Europe en profiteront à terme : la polarisation des économies les plus avancées en deux types de travailleurs, d’un côté des salariés très qualifiés et à haute valeur ajoutée, et de l’autre des salariés peu qualifiés qui effectuent des tâches de services à faible valeur ajoutée, nuit aux économies dans lesquelles certaines entreprises ne peuvent pas embaucher les moins qualifiés à des niveaux de salaire et avec des contraintes raisonnables.

L’Allemagne a tiré son épingle du jeu, parce que ses entreprises ont fractionné leurs chaînes de valeur : leurs sous-traitants qui font les tâches les moins qualifiées se trouvent dans les pays d’Europe Centrale. Les économies française et belge sont en revanche pénalisées, alors que des chaînes de valeur fractionnées d’une part entre des zones avec des travailleurs chers et qualifiés à Paris et Anvers, et d’autre part des zones de travailleurs bon marché peu qualifiés dans les Ardennes et les Hauts de France, redonneraient de la compétitivité à nos économies.

D’ici une quinzaine d’années, les économies des régions les plus pauvres d’Europe pourront supporter un salaire minimum à 800€ de 2018 (donc à près de 1000€ de 2023, après inflation). Quant aux économies les plus développées de l’Union, elles tireront profit d’une remise à niveau. En effet, quand près de 10% des salariés d’une région touchent le salaire minimum, c’est qui est trop élevé : il provoque du chômage structurel, en particulier chez les jeunes et les moins qualifiés.

Un salaire minimum n’est qu’un aspect de la construction d’un marché unique du travail

Mais le salaire minimum n’est qu’un aspect de la construction d’un marché du travail européen. En dehors de règles générales et de minima imposés par le Socle européen des droits sociaux, il serait illusoire de chercher à imposer des règles uniques et centralisées au niveau européen : mieux vaudrait prévoir un accord dans lequel chaque état membre s’engage à renoncer à des règles nationales concernant les salaires et le droit du travail pour les déléguer aux régions.

Construire une Europe fédérale suppose, dans tous les domaines, de faire des compromis qui sont des points d’équilibre entre les Etats membres : en matière de politique étrangère, d’immigration, de fonctionnement institutionnel, mais surtout en matière économique. La convergence économique notamment est une exigence pour assurer la cohésion politique de la démocratie européenne. Les Etats les plus pauvres doivent bénéficier de l’aide des plus riches. Le cadre national est inadapté dans les grands pays pour définir le droit du travail : il est trop éloigné des conditions économiques locales auxquelles doivent faire face les entreprises et les travailleurs. Il faut renforcer le pouvoir des régions. Lui seul peut permettre de définir notamment un niveau de salaire minimum adapté au terrain, qui optimise à la fois le taux de chômage et les revenus des salariés les moins qualifiés.

En revanche, un salaire minimum fédéral n’est pas la solution optimale pour que chaque citoyen européen dispose d’un revenu qui lui permette de vivre dignement :il ne concerne que les salariés, il exclut les chômeurs ou les personnes éloignées de l’emploi. Il n’est donc pas efficace pour lutter contre la pauvreté. Le salaire minimum fédéral n’est donc qu’une étape : à long terme, il sera souhaitable de le remplacer par un revenu universel européen. Cependant, il ne pourra être envisagé qu’à long terme, lorsque la convergence des niveaux de vie sera suffisante entre les différentes régions de l’Union.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom