Réguler plus directement : les outils à disposition de l’UE
Les outils de réglementation : des règlements aux décisions
Le règlement pour réguler l’aérien
Selon l’article 288 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), « Pour exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis.
Le règlement, la directive et la décision sont des actes obligatoires, qui lient leur destinataire, tandis que les recommandations et les avis ne sont pas contraignants. »
Le règlement est une sorte de loi à portée générale. Il est obligatoire pour chaque Etat membre, c’est-à-dire que chaque Etat membre doit l’appliquer dans tous ses éléments, sous peine de sanction de la part de l’UE. De par sa nature abstraite, il s’adresse à tous les opérateurs économiques. C’est une sorte de « loi européenne ». Cette loi est constituée par la Commission européenne, puis votée par le Conseil de l’UE et le Parlement européen.
Il s’applique comme si c’était du droit national. Et dans notre cas, c’est pratique. Cela permettrait d’imposer une réglementation générale sur le secteur aérien - en touchant les compagnies, les aéroports et les avionneurs - en jouant sur la base des émissions de CO2 du secteur : les flux. Ce qui fait de l’avion un transport polluant, c’est le volume important des vols. En effet, si l’on rapporte le trafic aérien au pourcentage mondial de personnes voyageant par ces vols, on se rend compte que la pollution qu’il engendre est démentielle. Et qu’elle augmentera de manière spectaculaire avec l’ouverture des marchés chinois et indiens. Donc en clair : réguler l’aérien, c’est réguler le volume des vols (les flux), en le diminuant drastiquement. Des quotas pourront être mis en place par un règlement européen. La régulation par le règlement pourrait être complétée par l’émission de directives.
La directive pour réguler l’aérien
La directive est une loi spécifique, composée d’un certain nombre de mesures que les Etats doivent mettre en place pour atteindre des objectifs précis. Les Etats membres doivent donc transposer la directive dans leur loi nationale. C’est là le cœur d’une directive : contrairement au règlement, elle est censée laisser le choix aux Etats membres de la nature de la transposition. Elle reste contraignante : si les objectifs de la directive ne sont pas respectés par un des Etats membres, l’UE se réserve le droit de le sanctionner. Si par exemple, l’objectif est la réduction du trafic aérien d’un certain pourcentage, une directive pourrait être émise par la Commission européenne. Elle désignerait la plupart des Etats-membres - elle conserverait donc un champ d’application relativement large, comme le règlement – et laisserait le choix à ces Etats-membres de la manière de diminuer le trafic (c’est la transposition de la directive en droit national). Notons que récemment, les directives sont devenues de plus en plus précises, laissant une liberté d’action restreinte pour les Etats-membres. Cela pourrait aller dans notre sens : on pourrait imaginer que la directive émise par la Commission « oblige » les Etats-membres à diminuer le trafic tout en redistribuant les emplois du secteur dans d’autres secteurs de transport, comme le train.
On voit donc que permettre une adaptation convenable du secteur pendant la régulation implique que l’UE consulte d’abord la société civile et les professionnels du secteur. D’où l’importance du Comité Économique et Social (CES) et du Comité des Régions dans le processus de régulation, et l’éloignement des lobbies en tous genres.
L’influence des lobbys est prégnante. Elle s’est développée en même temps que l’influence des organes consultatifs de l’UE (le Comité Économique et Social et le Comité des Régions) perdait de l’importance et des moyens. Il est devenu beaucoup plus simple pour le législateur de s’adresser à un lobby qui lui rendra un rapport détaillé (quoique orienté) sur une situation, qu’au Comité normalement chargé de ce type de travail - dont les travaux seront plus longs, et souvent plus complexes. Afin de redonner de l’importance à ces organes consultatifs nécessaires à une Europe démocratique, il convient ainsi de réguler en masse le lobbying européen, pour une Europe représentative des citoyens et non seulement des entreprises ayant assez de trésorerie pour se payer un lobbying personnalisé.
Voir l’article de Charlotte Lerat sur le sujet :https://www.thenewfederalist.eu/pour-une-vraie-reglementation-du-lobbying-europeen, « POUR UNE VRAIE RÉGLEMENTATION DU LOBBYING EUROPÉEN ».
Enfin, la régulation doit aussi sortir des bureaux et s’effectuer sur le terrain. Pour cela, les agences de l’UE existent. Dans le cas du secteur aérien, on peut notamment citer Eurocontrol.
L’outil d’application de la réglementation : Eurocontrol
Eurocontrol est l’une des agences de l’UE. Elle est chargée de la gestion des flux aériens à l’échelle européenne. Elle est aujourd’hui tournée vers la promotion de l’aérien européen, et vers une appropriation et une unification européenne du ciel. En modifiant les prérogatives de l’agence, l’UE a parfaitement la capacité de réguler l’ensemble des vols à l’échelle européenne (réguler par les flux, comme mentionné plus haut). Elle peut réguler ces flux directement selon leur pertinence et donc leur nombre – car elle en a les outils juridiques. L’UE pourrait en effet s’approprier le ciel européen puis appliquer les régulations qui s’imposent : ce serait là la consécration d’Eurocontrol ; une agence qui contrôle effectivement l’aérien. A ce stade de notre réflexion, une mise au clair s’impose. L’UE est aujourd’hui très loin de vouloir réguler quoi que ce soit, et surtout pas le secteur aérien.
L’objectif actuel de l’UE est de protéger le marché européen
L’UE est une structure à vocation économique. Le marché est sa priorité, car de là découle son influence. Elle met donc en œuvre ses outils juridiques dans le but de protéger le marché.
L’Union Européenne reste une construction économique
Cette affaire est représentative de là où se situent les priorités de l’Union Européenne. Cette dernière est en effet une construction d’abord économique, et le volet politique et fédéral est soumis à cette considération. L’activité économique de chaque Etat Membre est pleinement incluse dans le système de l’UE. Cette inclusion possède donc une influence sur les décisions politiques à l’encontre de l’environnement. Après la crise financière de 2008 et l’épidémie de Covid-19, l’UE mise sur une croissance décarbonée continue dans toute la décennie 2020. Elle considère en effet la transition écologique comme une opportunité de peser plus sur la scène économique, face aux géants américain et chinois. On peut clarifier tout cela par un exemple.
L’exemple de la Mesure d’Effet Équivalent
La notion de mesure d’effet équivalent fait qu’aucun Etat Membre ne peut limiter les échanges (art 34, 35 TFUE, arrêt Dassonville) – qui, pourtant, se font à un coût environnemental élevé. On peut prendre pour exemple l’arrêt du 4 juin 2009 (Aklageren). La Suède avait engagé des poursuites à l’encontre de personnes ayant “conduit des VNM [scooters de mer] dans des eaux situées hors des couloirs publics de navigation”, c’est-à-dire dans des zones pourtant protégées sur le plan environnemental. La réglementation nationale de la Suède interdisait en effet l’usage de ces VNM dans des zones protégées.
La limitation par le droit national d’un Etat membre d’utilisation d’un moyen de transport polluant (scooter de mer dans notre cas) dans des zones protégées sur le plan environnemental est interprétée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) comme une entrave forte à l’usage de ces transports et donc à une mesure « restreignant quantitativement l’échange » au sein de l’UE. La réglementation nationale suédoise constitue alors une Mesure d’Effet Équivalent à une Restriction Quantitative (MEERQ). Cette MEERQ peut ne pas être interdite par l’UE s’il existe pour cela un/des motif(s) légitime(s). Dans notre cas, le motif légitime principal était bien évidemment la protection de la biodiversité locale (les VNM n’ayant pas vocation à circuler sur des lacs protégés). Mais pour que ce motif s’applique, la Suède doit « démontrer que les effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que ledit objectif [de protection de la biodiversité] soit atteint ». La Suède a donc été sommée de limiter l’interdiction d’usage de ces VNM, et a dû trouver des zones hors couloirs de navigation où il est possible d’utiliser ces VNM. En clair, la biodiversité a reculé devant le marché.
L’UE possède les outils juridiques et législatifs (règlement, directive) et les instances politiques (CES, Comité des Régions) nécessaires à la régulation du secteur aérien. Reste que ses priorités restent de nature économique, et que le volet politique y est soumis. Voilà donc notre dernière piste de réflexion qui clôturera cette suite d’articles : le réveil politique de l’UE.
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