Prenez-moi ma citoyenneté, prenez-moi mes droits. Je suis plus européenne que jamais

« Mon pays est en crise d’identité. Moi aussi », un blog par Madelaine Pitt - Episode 12 (final)

, par Madelaine Pitt

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Prenez-moi ma citoyenneté, prenez-moi mes droits. Je suis plus européenne que jamais
Après avoir voté l’accord de retrait, les eurodéputés ont chanté ensemble « Auld Lang Syne ». Source : Parlement européen

Nous avons perdu. Nous les Remainers, mais aussi l’Union européenne et tous ses états membres. C’est également une perte pour la démocratie, l’ouverture sur le monde, la justice et la démocratie.

 L’Union européenne redevient « Les 27 »

 Nous avons perdu, et le deuil est très pesant.

Le Brexit et ce blog

Je sais depuis longtemps ce que j’aimerais écrire pour conclure ce projet, durant lequel j’ai essayé de vous décrire les changements dont j’ai été témoin dans mon pays et quel impact ces changements ont eu sur moi. Dans les médias traditionnels, surtout hors Royaume-Uni, la couverture du côté plutôt technique du Brexit - les accords commerciaux potentiels, les analyses de la sociologie du vote, les critiques de nos leaders politiques – n’a pas manqué. En revanche, l’aspect humain, les conséquences pour les gens, pour les jeunes, ainsi que les facteurs culturels et la crise d’identité qui nous ont porté jusque-là n’ont quasiment pas été évoqués.

Que ce soit réussi ou non, c’est ce que j’ai essayé de vous apporter dans ce blog depuis septembre 2018.

Même si je sais depuis longtemps ce que j’aimerais écrire dans ce dernier billet, je ne l’ai pas fait jusqu’à présent, parce que j’ai toujours gardé un peu d’espoir. Malgré le résultat du référendum, le Brexit aurait très bien pu ne pas avoir lieu, si les forces politiques s’étaient conjuguées autrement. Ecrire sur la sortie même du Royaume-Uni, pas dans l’abstrait de l’avenir mais dans la douleur du présent, nécessite une reconnaissance de la défaite. J’ai participé à la lutte contre le Brexit pour des raisons idéologiques, mais aussi parce qu’il y avait une réelle opportunité de l’arrêter et de remettre le pays sur le bon chemin. Conclure ce blog, c’est accepter que cette lutte-là est finie, même si, bien sûr, d’autres continuent.

Pourquoi j’ai eu envie de l’écrire en français ? Les raisons sont nombreuses, mais après beaucoup de réflexion, je crois comprendre que la langue française est ce qui m’a amenée vers l’Europe – d’abord par voie d’échanges scolaires, ensuite par une année en Erasmus à Lyon, et après, deux années de travail à Strasbourg, où j’ai également découvert les Jeunes Européens. Si c’est par la langue française que j’ai découvert mon amour pour la France et pour l’Europe, c’est aussi ce qui me permet de marquer une distance avec mon pays d’origine dans ce blog.

En fait, c’est ça aussi pour ça que je l’ai écrit – pour marquer une distance, pour me sentir observatrice, pour voir que je n’en fais pas partie ; pour ne pas le prendre trop personnellement, mais plutôt regarder depuis l’extérieur. C’était plus simple comme ça.

Le Brexit et le populisme

Il faut être clair : le Brexit n’est pas démocratique. Le référendum de 2016 vient d’une tentative de faire dissiper trois décennies de conflit au sein du parti Conservateur sur la question européenne et de calmer l’extrême droite, et non pas d’un souhait de comprendre l’opinion publique. Les Britanniques, qui ont très peu de connaissances sur l’Union européenne, ont eu droit à des mensonges sans cesse de la part des politiciens.

La campagne « Vote Leave », aidée par un financement illégal , des fake news, et éventuellement d’ingérences russes, a pris le dessus dès le début avec des arguments faisant appel aux émotions, sans prendre en compte la réalité.

En outre, le système électoral majoritaire mène à des résultats incohérents, tandis que les partis d’opposition ainsi que le gouvernement ont refusé d’agir dans l’intérêt du pays et du peuple. Là où il aurait fallu un journalisme de qualité pour décortiquer l’absurdité de la situation, les mensonges ont été alimentés et amplifiés de manière enthousiaste par les tabloïds de droite. Le Brexit n’est pas démocratique mais l’échec d’une démocratie emportée par le populisme pur et dur.

Le Brexit et moi

La crise d’identité que j’ai aperçue au Royaume-Uni est loin d’être finie. Plus inquiétant encore, les divisions ne vont faire que se creuser. Les gouvernements en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord ont tous voté contre l’accord de Boris Johnson, qui le leur impose quand même. Les inégalités déjà très importantes au sein de notre société ne vont faire que s’approfondir quand l’impact économique du Brexit se fera ressentir, frappant surtout les plus précaires.

En attendant, la « vendetta » entre les Remainers et les Brexiteers ne fait que commencer. D’ici la fin de l’année, le Brexit nous aura coûté plus que toutes les contributions britanniques au budget européen depuis notre adhésion en 1973. Ce n’est qu’un exemple de la manière dont tout le monde est perdant face au Brexit – tous ceux sauf les politiciens dont la carrière et l’amour-propre dépendent de la gloire sadique de cette perte. Pourquoi est-ce que les Remainers devraient accepter leurs demandes au nom de « l’unité nationale », alors que ce sont eux qui ont détruit cette unité à la base ?

La crise d’identité britannique, ou la peur du déclin de pouvoir du Royaume-Uni dans le monde, allié à un sentiment de supériorité nationale, s’est manifestée en un désir de voir un pays plus fermé, pour se convaincre qu’en se fermant, on se protège. Face à cela, je ne me sens pas très britannique. Par contre, en m’engageant contre le Brexit, j’ai rencontré énormément de concitoyens progressifs et ouverts d’esprit, qui, comme moi, sont excessivement polis, ont un sens de l’humour un peu bizarre et adorent le thé. J’ai un peu accepté ma « Britishness », malgré tout. Et cela ne m’empêche pas d’être européenne.

Mais le Brexit n’a pas que changé mon identité. Il a changé ma vie.

Activiste, étudiante, expatriée, journaliste

Même si ça n’a pas marché, même si j’aurais dû faire plus, je suis fière de m’être battue avec des groupes pro-européens. Le Brexit m’a fait comprendre à quel point les droits que nous considérons souvent comme acquis sont fragiles et précieux. Il vaut la peine de se battre.

Le Brexit a fait de moi une activiste.

Le 24 juin 2016 était pour moi extrêmement bouleversant. Depuis le premier coup d’œil sur le site de la BBC ce jour-là, je savais que tout allait changer, même si je ne savais pas exactement comment. En fait, le Brexit m’a donné envie de comprendre la politique et surtout les forces qui façonnent notre société.

A cause du Brexit, je suis redevenue étudiante, et je fais un Master en sciences politiques.

J’ai commencé ce blog en quittant Strasbourg en septembre 2018, un départ rendu encore plus difficile par la crainte que je ne pourrais pas revenir vivre en France un jour. Je suis restée à peine cinq mois dans le nord de l’Angleterre avant de me décider de changer de programme d’études et repartir sur le continent. C’était un grand soulagement d’arriver en Allemagne et j’ai vite repris plaisir à parler une autre langue tous les jours et à me plonger dans une autre culture, me sentant tout de suite plus heureuse, plus libre de la présence très lourde et presque oppressive du Brexit dans la vie quotidienne de l’autre côté de la Manche. A cause du Brexit, ce sera bien plus compliqué de rester à l’étranger, mais également à cause du Brexit, je ne rentrerai jamais au Royaume-Uni.

Le Brexit a fait de moi une expatriée.

Et puis le Brexit m’a poussée vers la carrière qui m’a toujours intéressée mais que je n’ai pas eu le courage de poursuivre jusqu’à présent. La presse, qui devrait tenir les politiciens responsables de leurs actions, qui aurait dû tourner les Eurosceptiques en ridicule pour leurs mensonges toujours plus extravagants les uns que les autres, a contribué à l’échec de notre démocratie. J’ai découvert The New Federalist en avril 2018. Un an et demi et une cinquantaine d’articles plus tard, je suis fière d’être rédactrice en chef, une expérience qui me motive à essayer de faire ma vie professionnelle dans les médias afin d’informer les gens et les aider à former des avis réalistes et critiques.

Le Brexit a fait de moi une journaliste.

C’est assez marrant, finalement.

Le Royaume-Uni : un pays européen

Le Royaume-Uni a aujourd’hui le plus vif et le plus puissant mouvement pro-européen dans toute l’Europe. Le départ de ce pays de l’Union n’empêche pas qu’une majorité de sa population soit contre ce départ. Cette majorité continuera à lutter contre les forces politiques malveillantes qui ont déjà tellement nuit à l’économie, à la culture, à la société, à l’influence et à l’avenir de notre pays. Cette majorité ne disparaîtra pas, mais continuera à rejeter le populisme vide et le nationalisme myope du gouvernement actuel.

Ça peut paraître paradoxal, mais à travers le Brexit, nous, les Remainers, avons découvert une vraie passion pour l’Europe. La douleur du départ est aussi terrible parce qu’à cause de ce départ nous avons enfin compris ce que ça veut dire d’être de vrais citoyens européens qui ne croient pas seulement aux avantages économiques de ce projet, mais en les valeurs, la liberté et l’identité qu’il nous apporte.

Le deuil est très pesant. Mais je ne pense pas être la seule à me sentir plus profondément européenne que jamais.

Je tiens à remercier Laura Mercier, Louise Guillot et Théo Boucart pour leurs encouragements, leur patience et leurs corrections linguistiques ! Sans votre soutien ce projet n’aurait pas été possible.

Vos commentaires
  • Le 8 février 2020 à 14:44, par Kouider-Le Guyader En réponse à : Prenez-moi ma citoyenneté, prenez-moi mes droits. Je suis plus européenne que jamais

    Merci chere europeenne de choc, j ressens la même chose depuis mon adolescence en France... qui se reveille et se révèle, vibre, vit avec ses traumatismes (brexit) pour une NOUVELLE EUROPE, fiere d être !! Cela fait donc 45 ans que j’ai tjs eu l’impression de « prêcher » dans le vide, q j informe sur l Europe, sa force intrasèque, celle de son Histoire, de nos Valeurs, de nos victoires et blessures... Madame VIEL DANKE, les jeunes comme vous, insulaires de naissance, nomades europeens, ont l opportunité de porter cette vitalité europeenne, ma fille se prénomme Europe, tant cette terre m habite, nos racines communes nous font grandir... merci jeune europeenne de votre enthousiasme, de votre lucidité et de vos competences nourries pour construire CETTE SPLENDIDE NOUVELLE EUROPE Q NS MERITONS, vs en serez recompensée, n en doutez pas... vous n aurez pas comme moi et d autres près de 50 ans à attendre... YOU’R RIGHT, U and all Europeans youngs must continue their european Life, THANCKS SO MUCH, Armelle.kouider chez gmail.com, europeenne toulousaine impliquee, soulagee que la relève soit si bien représentée dans les fondements de notre NEW EUROPE

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