Présidence autrichienne : « Une Europe qui protège » des migrations…

, par Estelle Beuve

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Présidence autrichienne : « Une Europe qui protège » des migrations…
Le Président du Conseil européen Donald Tusk et le Chancelier autrichien, Sebastian Kurz. Photo : European Council President - CC BY-NC-ND 2.0

Après Viktor Orban et Matteo Salvini, Sebastian Kurz entre de plus en plus dans la parade anti-immigration, sa voix est d’autant plus renforcée que son pays, l’Autriche, préside depuis dimanche le Conseil de l’Union européenne.

Le 1er juillet est en effet toujours un tournant (du moins symbolique) pour l’Union européenne. A la présidence bulgare succède la présidence autrichienne. Que s’est-il passé au cours de ces six mois de présidence bulgare, orchestrée par Boïko Borissov sous le mantra d’une Europe plus « solidaire » ?

Présidence Bulgare : La réforme de la Convention d’Istanbul en suspens

Pas moins de 1500 réunions et événements ont été organisés par la présidence sortante. Si certains dossiers comme celui relatif à l’efficacité énergétique ou celui concernant le rapprochement entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux ont avancé avec succès - on peut penser à ce titre au sommet organisé à Sofia le 17 mai dernier – un dossier a été le laissé-pour-compte : la convention d’Istanbul.

Malin Björk, eurodéputée de gauche radicale (GUE), initiatrice du débat parlementaire sur cette convention du Conseil de l’Europe, qualifiait le boycott bulgare des discussions parlementaires comme « une attaque cruelle, sexiste et homophobe contre les femmes et la communauté LGBT ». Cette convention ratifiée en France depuis 2014 et plus récemment par la Grèce (18 juin) et la Croatie (12 juin) vise à lutter strictement contre les violences faites aux femmes, mais la Bulgarie, tout comme la Slovaquie, y voient le cheval de Troie visant à introduire un « troisième sexe » ou le mariage homosexuel dans un pays au modèle familial traditionnaliste.

Enfin il est sans dire que Boïko Borissov doit faire ses cartons la larme à l’œil. Alors qu’il promettait une Europe plus solidaire, les derniers événements en mer méditerranée nous prouvent le contraire.

Sebastian Kurz, acteur politique autrichien bientôt européen

L’ordre des pays assumant la présidence est fixé par le Conseil des ministres lui-même. Tandis que Boïko Borissov organise son retour à Sofia, Sebastian Kurz, lui, arrive avec ses cartons flanqués du slogan « Une Europe qui protège ». Une Europe qui protège des migrations, sans doute. Le jeune premier ministre autrichien – il a 31 ans – a réussi à s’imposer sur la scène politique autrichienne en octobre 2017 après une campagne pour les élections législatives focalisée sur la politique migratoire. Lui qui était encore, il y a à peine un an, un acteur de second rang du gouvernement de coalition avec le parti social-démocrate (SPÖ) où il s’était vu attribuer le portefeuille des Affaires étrangères, se trouve non seulement renforcé sur la scène intérieure aux côtés de l’extrême droite autrichienne (FPÖ) mais aussi désormais propulsé sur la scène politique européenne.

Et pour assumer sa présidence au Conseil des ministres de l’UE il ne manque pas d’inventivité et d’ambitions. Sebastian Kurz n’a pas hésité et n’hésitera pas à mettre en porte-à-faux Angela Merkel, qu’il critique pour avoir orchestré en 2015 une politique migratoire trop laxiste alors que la Chancelière allemande est déjà bien fragilisée en Allemagne avec son désormais ex-ministre de l’intérieur, le leader de la CSU bavaroise, Horst Seehofer dont la démission a été annoncée hier.

Des centres de rétention pour les immigrés en Europe

L’actualité européenne a fait son chemin ces dernières semaines : l’Aquarius ne pouvant accoster en Italie et devant traverser la Méditerranée pour être finalement accueilli par l’Espagne, le mini-sommet de crise sur la question migratoire à Bruxelles en préparation du Conseil européen des 28 et 29 juin, « L’Europe qui s’enferme » selon la Cimade... [1], et enfin les conclusions du sommet européen proposant la création de centres d’accueil pour lesquels la France tout comme l’Autriche ont refusé d’en accueillir un sur leur sol. Sur fond de crise de la politique migratoire européenne, tout laisse à penser que ladite politique ne sera pas laissée au second plan par Vienne. Le gouvernement de coalition parti conservateur – extrême droite de Sebastian Kurz aimerait mettre en place des camps de rétention pour barrer le passage vers l’UE aux réfugiés économiques. Cette proposition, inquiétante, a fait le tour de l’Europe.

Le 5 juin, Sebastian Kurz est allé à la rencontre du premier ministre danois libéral Lars Lokke Rasmussen. Ils ont pu réfléchir ensemble, en tête à tête, à une alternative à l’impasse politique européenne en matière d’immigration, celle du règlement de Dublin - ce règlement qui impose la prise en charge du demandeur d’asile par le pays d’arrivée - et aux quotas d’accueil de réfugiés définis selon la taille et le PIB de l’Etat membre. Cette rencontre bilatérale met à mal la carte du multilatéralisme. De leur discussion est ressortie l’idée de créer des centres communs de réception et d’expulsion en Europe. Cette proposition peut en laisser perplexe plus d’un et s’éloigne à bien des égards des valeurs de l’Union européenne édictées dans l’article 2 du Traité de Lisbonne.

Au lendemain de cette visite, Sebastian Kurz s’est rendu à Bruxelles pour remettre un document de 66 pages consignant ses priorités pour la présidence du Conseil des ministres. Sur sa proposition gouvernementale d’implanter dans les pays candidats à l’Union européenne (Albanie et Kosovo) – qui ne pourraient refuser au vu de la carotte d’une procédure d’adhésion accélérée à l’UE - des camps de rétention des déboutés au droit d’asile, le leader politique autrichien s’est expliqué devant Jean-Claude Juncker lui indiquant qu’il s’agissait d’une proposition d’un « cercle restreint de pays européens », qui avait été préparée en marge du sommet UE – Balkans occidentaux à Sofia.

Tant mieux si Sebastian Kurz n’envisage pas ce projet comme la priorité du mandat européen qui l’attend car une réforme politique du droit d’asile est une condition sine qua non en Europe. Il ne faut pas oublier que le problème réside moins dans le nombre de réfugiés en Europe que dans le manque patent de consensus politique au sein de l’UE. La réforme en profondeur du Règlement de Dublin devra être en tout état de cause une priorité tout comme l’abrogation du système des quotas ; système de répartition dont un bon nombre d’Etats membres ont fait fi. Serait-il possible, avec cette nouvelle présidence, d’arrêter la politique de l’autruche européenne qui a vu son ascension lors de la conclusion de l’accord de la honte entre l’UE et la Turquie en 2016 ?

Notes

[1Selon l’association Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués) qui a publié, à l’aube du Conseil européen des 28 et 29 juin, un rapport « Dedans, dehors, une Europe qui s’enferme » faisant état du nombre de plus en plus élevé de non-admissions aux frontières Françaises : en 2017 il était de 85 408 contre 15 849 en 2015.

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