Jusqu’au dernier moment, le Parlement européen aura entretenu un faux suspens frisant le ridicule. L’élection du Président de l’organe législatif de l’Union européenne aura nécessité quatre tours avant de consacrer Antonio Tajani, le grand favori du scrutin. Dès 9 heures du matin, les jeux semblaient faits avec l’annonce de l’abandon de la candidature de Guy Verhofstadt et le ralliement de son groupe, l’ADLE, au PPE de M. Tajani. Six candidats étaient alors en lice pour le perchoir européen : Antonio Tajani (PPE : de droite), Gianni Pittella (S&D sociaux démocrates, de gauche), Helga Stevens (CER : droite nationaliste), Jean Lambert (Verts), Eleonora Forenza (GUE : gauche unitaire européenne), et Laurentiu Rebega (ENL : extrême droite).
Quatre tours pour une victoire
Pour gagner l’élection, un candidat doit obtenir la majorité absolue, soit la moitié des députés présents plus un (hier, 345 voix). Tant que ce chiffre n’est pas atteint, trois tours se succèdent, jusqu’au quatrième où seuls les deux candidats ayant obtenu le plus de suffrages s’affrontent. Celui qui obtient la majorité gagne l’élection, sauf dans le cas très improbable d’une égalité (le gagnant est alors arbitrairement le plus âgé des deux candidats). Les trois tours successifs servent en général à former des alliances pouvant faire basculer le résultat de l’élection. Un candidat peut accepter de se retirer et de donner des consignes de vote à son groupe, contre des promesses de soutien, pour l’élection des vice-présidents et des questeurs, par exemple. Néanmoins, aucun des candidats n’a joué le jeu hier. Campant sur leurs positions, ils ont fait sans surprise des scores ridiculement similaires d’un tour à l’autre. Aux alentours de 19 heures, les services de presse du Parlement européen annoncent le face à face Tajani-Pittella. Cela prendra encore deux heures aux députés pour voter, pour que le dépouillement se fasse et que le résultat auquel tous les acteurs européens s’attendaient depuis des mois soit annoncé : Antonio Tajani succède à Martin Schulz.
Plus aucune entente possible
Le déroulement de la journée électorale peut être expliqué par la rupture de la grande alliance tacite entre le PPE et les sociaux-démocrates. Jusque-là, les deux principaux partis avaient mis en place un système de soutien mutuel permettant une alternance politique, et des élections bien plus courtes, ne dépassant pas le premier tour. Mais les sociaux-démocrates, auxquels appartient l’actuel président, Martin Schulz, ont choisi de présenter leur propre candidat, pour éviter que toutes les institutions ne soient détenues par la droite (la Commission est aux mains de Jean-Claude Juncker et le Conseil est présidé par Donald Tusk). Ce qui a été considéré comme une trahison par le PPE n’aura pourtant pas permis à la gauche européenne de faire le poids. Cela signifie également que le Parlement n’aura pas de majorité, et qu’il faudra que le PPE forme une coalition pour agir. Or, étant donné le manque de dialogue et de volonté des groupes pour mener des alliances, il est certain que cette coalition sera difficile à atteindre, et que cela retardera l’avancée des travaux du Parlement européen.
Mais plus encore, cette élection laborieuse met en lumière la fragmentation et la faiblesse d’un Parlement qui ne parvient plus à rassembler autour de valeurs ou d’objectifs communs. L’Europe traverse la plus grande crise de son histoire : Brexit, terrorisme, crise des migrants, chômage, rejet de l’Europe par Donald Trump… Les élections européennes qui auront lieu en 2019 marqueront un tournant dans l’histoire de l’Europe ; elles seront décisives. Sensibilisée aux questions européennes par le Tafta et le Brexit, l’opinion publique attendra des institutions qu’elles dressent un bilan de leurs actions. Ainsi, le mandat de Président du Parlement européen à venir est-il décisif sur le plan économique, politique et symbolique. Et quel symbole que ce scrutin laborieux auquel ont assisté, atterrés et impuissants, les européens ?
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