Le Taurillon : Le 14 février 2014, nous fêtons les 30 ans du « projet Spinelli ». Que proposait ce traité concrètement ?
Pier Virgilio Dastoli : L’union politique comme préalable indispensable pour partager les souverainetés nationales dans les domaines :
- de l’économie, de la monnaie et de la politique étrangère,
- la citoyenneté européenne et les droits fondamentaux,
- le principe de subsidiarité,
- le rôle législatif du Parlement européen,
- l’élargissement de l’action de l’Union dans l’espace que Willy Brandt avait appelé « la politique de la société »,
- la simplification des actes juridiques,
- le renforcement de la fonction gouvernementale de la Commission et l’institutionnalisation du Conseil européen,
- le budget pluriannuel financé par des véritables ressources propres,
- un Fonds monétaire européen et une autorité centrale unique pour contrôler le système des banques,
- une vraie politique étrangère et de la sécurité ouverte à la dimension de la défense pour contribuer au désarmement international.
Le Taurillon : En quoi ce projet de traité était-il spécifique dans le contexte de l’époque ?
Pier Virgilio Dastoli : La Communauté était dans une crise profonde, les gouvernements nationaux étaient incapables de trouver des solutions adéquates et il fallait assumer l’initiative d’une réforme profonde pour éviter la fin du projet européen. Il était notamment essentiel de donner des réponses fortes et urgentes aux nouveaux défis internes, au besoin d’une vraie démocratie européenne et à la perspective de l’écroulement de l’impérialisme soviétique.
Le Taurillon : Les Etats ont refusé de s’emparer de ce projet. Pourquoi ?
Pier Virgilio Dastoli : Les gouvernements nationaux jouent autour de la table des négociations européennes avec des dés pipés puisque chaque gouvernement ne défend qu’un intérêt national apparent. Il était tout à fait évident que mettre le projet du Parlement européen dans les mains des gouvernements nationaux aurait comme conséquence de le vouer à l’échec. C’est la raison qui avait amené Spinelli à proposer d’envoyer le projet directement aux parlements nationaux en ouvrant un dialogue avec eux et de le soumettre enfin à un référendum pan-européen. Le Parlement européen a eu peur de son propre succès et la Communauté n’a eu qu’un modeste et inadéquat Acte Unique.
Le Taurillon : En quoi la légitimité des eurodéputés est-elle égale à celle des Etats pour créer ce type de constitution ?
Pier Virgilio Dastoli : Les gouvernements nationaux tous ensemble n’ont pas une légitimité démocratique supranationale. La seule institution qui peut parler au nom de l’ensemble des citoyens de l’Union est le Parlement européen. Le Conseil européen a commis un acte d’inacceptable arrogance quand il a affirmé (« conclusions du Conseil européen en juin 2012 ») "we are the only owners of the treaties" ("nous sommes les seuls propriétaires des traités").
Le Taurillon : Altiero Spinelli était un bâtisseur selon vous. Aujourd’hui la maison européenne est branlante. Faudrait-il un nouveau projet Spinelli aujourd’hui ?
Pier Virgilio Dastoli : Spinelli a été capable de rassembler la grande majorité des cultures européennes : celle démocrate-chrétienne qui a avait été universaliste, celle libérale qui avait été cosmopolite et celle socialiste qui avait été internationaliste. Il a pu le faire puisqu’il a fondé son action sur la bonne méthode et sur une pensée essentielle. L’Union est dans une crise profonde, pire que celle des années 80. Il faut revenir au caractère essentiel du projet Spinelli et à sa méthode pour faire sortir l’Union de sa crise. Il faut se battre pour un Parlement européen constituant.
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