L’année 2015 s’achève sur un constat amer : l’obscurantisme progresse dans le monde. L’Europe, plus particulièrement la France, est touchée. Le mois de janvier a vu des journalistes tués pour des caricatures, le mois de novembre la jeunesse parisienne assassinée parce qu’elle s’amuse. Au mois de décembre, le Front National a connu une progression historique, avec 6 800 000 électeurs qui ont voté pour lui.
D’après la plupart des commentateurs politiques, ce vote serait alimenté par la peur de ces attentats. S’ils ont effectivement donné un « coup de pouce » au vote extrême, les ressorts de cette dynamique sont bien plus profonds. On pourrait même ajouter que ces deux formes de rejet de la société moderne et mondialisée, ce désir de renouer avec les glorieux ancêtres et la Tradition, se nourrit du même terreau, mettant ainsi à mal le projet européen : le renoncement au progrès économique et social (qui sont indissociablement liés). Le Progrès est devenu au mieux une chimère d’un autre temps, porté par un positivisme naïf, au pire une menace pour la planète, un crime écologique.
L’angoisse de la déchéance sociale comme moteur des extrémismes
Pourtant, émancipation individuelle, liberté pour chacun de choisir son mode de vie, et progrès économique sont étroitement liés : lorsque les individus cessent de s’enrichir, même si leur niveau de vie reste stable, ils deviennent angoissés face à leur avenir et à celui de leurs enfants, craignent pour leur statut social, recherchent des valeurs autres qu’économiques. Ils préfèreront alors diluer leurs particularités d’individu menacé (à tort ou à raison) de déchéance sociale et de précarité économique dans l’appartenance à un groupe qu’ils perçoivent comme fort, avec des règles strictes et des obligations contraignantes qui vont les rassurer. C’est le processus du repli identitaire qui profite à la fois aux partis populistes et xénophobes en Europe, et aux islamistes radicaux dans les pays musulmans.
Pour contrer cette dynamique, il ne suffit pas de lutter contre les inégalités : au contraire, dans une société en stagnation économique, au plus elles diminuent, au plus les moindres différences de richesse entre les individus deviennent insupportables, mettant ainsi en péril les libertés et la démocratie, ainsi que l’avait démontré Alexis de Tocqueville au début du XIXe siècle. En revanche, lorsque la croissance économique est là, elle atténue l’angoisse de la déchéance sociale, l’envie, et la jalousie envers son voisin qui sont les principales menaces pour les démocraties libérales. En effet, l’individu se centre sur sa réussite et celle de ses enfants, il sait que sa vie et la leur vont s’améliorer, il croit au progrès et à la démocratie.
La démocratie en Europe menacée par l’idéologie anti-croissance
L’Europe est en danger. En danger parce qu’elle a cessé de croire au Progrès économique, les commentateurs attitrés se contentant de répéter comme un mantra que la période de forte croissance est révolue, qu’elle est dernière nous, que de toutes les façons si elle repartait la Terre serait menacée, qu’il faudrait se contenter d’améliorer le lien social et la qualité de vie… Illusions de privilégiés ! Ils en oublient que, dans le monde entier, le seul rêve partagé par presque tous les individus qui vivent sur la Terre est que leurs enfants vivent mieux qu’eux ! Lorsqu’ils ne trouvent pas cette amélioration dans le domaine matériel, ils la cherchent dans le domaine des valeurs. Ce n’est pas une plus grande tolérance vis-à-vis de la différence et vers la recherche d’une société plus douce et respectueuse de chacun qui est valorisée, mais l’autorité, l’ordre, la sanctification d’une austérité qui n’est plus subie mais choisie, et qui leur donne l’illusion de reprendre le contrôle de leur vie.
Le nationalisme, la stigmatisation de l’étranger et des différences, une interprétation rigoriste de la religion, se nourrissent de la perte de foi dans le progrès, dans le monde moderne occidental comme dans le monde musulman.
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