Le cadre financier pluriannuel (CFP), si caractéristique de l’UE, explique en partie l’âpreté des négociations entre les États membres et le Parlement européen. La procédure de vote du CFP est régie par l’article 312 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : le Conseil de l’UE, statuant à l’unanimité, adopte un règlement fixant le cadre financier pluriannuel (proposé par la Commission européenne) et n’a besoin que de l’approbation du Parlement européen (il s’agit de la procédure dite « d’approbation » où le Parlement peut refuser une proposition mais ne peut pas l’amender). Contrairement au budget annuel (où le Conseil et le Parlement ont les mêmes pouvoirs, voire plus pour ce dernier qui dispose d’un pouvoir de décharge budgétaire), le vote du CFP traduit la prééminence des États qui peuvent imposer leurs intérêts dans le cadre du vote à l’unanimité.
Pour la première dans l’histoire communautaire, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 a prévu moins d’argent que le précédent de 2007-2013 : 963 milliards d’euros, soit 3.5% en moins que le CFP précédent, restriction budgétaire oblige. Excuse facile, pour deux raisons. Premièrement, le budget européen est très faible (1% du PIB de l’UE) et les économies à faire n’y sont pas substantielles. Deuxièmement, il est évident que pendant une période de crise, un budget structurel doit être renforcé pour être efficace. Confrontée à de nouveaux défis, quel CFP l’Union européenne va-t-elle voter à une période charnière de son histoire ?
Le cadre financier pluriannuel : un problème en soi
Créé pour résoudre de nombreuses difficultés liées au vote du budget dans les années 80, le CFP doit permettre une plus grande efficacité et lisibilité du budget européen, tout en traduisant des priorités politiques de long terme. Cela est certes vrai, mais la rigidité du cadre empêche de réels ajustements en fonction de la conjoncture. Le budget européen est par conséquent purement structurel, sans possibilité d’aider les États lors de chocs asymétriques. Malgré les ressources propres de l’UE assurées par un pourcentage du Revenu National Brut (RNB) des États membres, ces derniers restent maîtres du budget européen et peuvent réduire les contributions comme pour le CFP 2014-2020. Le cadre 2021-2027 sera-t-il tout autant otage des intérêts nationaux ? Le Brexit est une clé importante de la réponse.
Le Brexit pose un gros problème de financement
La sortie du Royaume-Uni de l’UE d’ici mars 2019 sera un gros manque à gagner pour l’Union. Malgré le rabais britannique de 1984, le pays était toujours le quatrième contributeur au budget (derrière l’Allemagne, la France et l’Italie) avec près de 14 milliards d’euros en 2014. Il était même le deuxième contributeur net derrière l’Allemagne, ne recevant que 6.5 milliards d’euros en 2014. Le budget risque par conséquent d’être amputé de presque 10%. Où trouver l’argent qui devra compenser la contribution britannique ? Les États sont-ils prêts à verser plus d’argent ? Quels postes budgétaires devraient être « sacrifiés » ? De nombreuses voix s’élèvent d’ores et déjà (surtout en France) pour préconiser une nouvelle rationalisation des dépenses, ce qui inquiète les parlementaires européens. [1]
Le Brexit et l’apparition de nouveaux défis depuis 2014 comme la crise migratoire ou l’économie numérique pousse Bruxelles à repenser fondamentalement la structure du budget européen. [2] La politique agricole commune et la politique de cohésion sont les plus gros postes budgétaires, représentant à eux deux près de 80% des dépenses. Ils pourraient recevoir moins d’argent au bénéfice de la défense ou de la sécurité. L’économie numérique ainsi que la recherche sont également encouragées. Le budget européen semble donc à l’aube d’un bouleversement.
Les pays de l’Europe centrale et orientale sont prêts à dépenser plus…
Inquiets des possibles conséquences de tous ces bouleversements sur la politique de cohésion, des pays comme la Pologne ou la Hongrie se disent prêts à contribuer davantage au budget européen. La politique de cohésion, tout comme la PAC, voit son poids dans le budget être remis en cause. En mars 2017, la Commission européenne a proposé dans son Livre blanc sur l’avenir de l’Europe que la politique de cohésion soit repensée en fonction du leitmotiv « faire moins mais de manière plus efficace ». Cette politique ne devrait intervenir que dans les domaines où la valeur ajoutée de l’UE est manifeste et directement liés au marché unique. La politique de cohésion est de plus critiquée pour être en partie responsable du manque de convergence des régions en favorisant depuis la Stratégie de Lisbonne la compétitivité des régions en lieu et place du rattrapage des territoires les plus pauvres. [3] Tout cela met la pression sur ce poste budgétaire essentiel du budget, représentant près de 350 milliards d’euros du CFP 2014-2020.
Il serait temps de changer de mode de pensée et se montrer plus audacieux Une première proposition de CFP sera présentée par la Commission au mois de mai. Celle-ci sera ensuite prise en main par les États-membres. Doit-on craindre une nouvelle baisse des contributions allouées ? Y répondre de manière précise relève de la gageure tant les incertitudes demeurent aussi bien sur l’issue exacte du Brexit que sur les véritables intentions des États. C’est pourtant l’occasion de susciter un vrai débat sur l’augmentation substantielle et progressive de ce budget, en créant de nouvelles ressources entièrement supranationales. Il faut également sortir de la logique purement comptable de bien des gouvernements et se rappeler que le bénéfice du budget européen ne se mesure pas uniquement en subventions reçues.
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