Quel futur pour la politique climatique européenne ?

, par Charles Martinet

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Quel futur pour la politique climatique européenne ?
Karmenu Vella, Commissaire européen pour l’environnement, les affaires maritimes et la pêche. CC - EU2017EE Estonian Presidency

Parmi les conséquences d’une augmentation de 2°C de la température moyenne dans le monde par rapport au niveau pré-industriel, on peut citer l’augmentation considérable du nombre de migrants en Europe et dans le monde (jusqu’à 250 millions de réfugiés climatiques en 2050) ; l’envahissement par les eaux de villes construites sous le niveau de la mer comme Amsterdam, Tokyo ou Miami ; la disparition d’une espèce animale sur six [1] ... Pour lutter contre le réchauffement climatique, l’Union européenne s’est donc fixée comme objectif d’ici 2030 de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% par rapport aux niveaux de 1990 et d’atteindre 27% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique. [2] Elle s’est donnée les moyens de mener à bien sa politique climatique en mettant en place depuis 2005 son système d’échange de quotas d’émission (SEQE).

Le système d’échange de quotas d’émission

Pierre angulaire de la stratégie de l’Union européenne pour s’attaquer de front au changement climatique, le SEQE couvre plus de 11 000 installations énergétiques et industrielles responsables ensemble de la moitié des émissions de CO2 de l’UE. [3] En résumé, ce système incite financièrement les plus grands pollueurs à réduire leurs émissions. Il fixe un plafond sur la quantité de gaz à effet de serre que les entreprises peuvent émettre par an et exige une surveillance de ces émissions. Il est émis un nombre fixe de quotas qui constitue la « monnaie » du marché du carbone, chaque quota correspondant au droit à son détenteur d’émettre une tonne de CO2. Si une entreprise émet trop, elle doit réduire ses émissions ou acheter des quotas supplémentaires à un autre émetteur. Si elle émet une quantité inférieure à ce que ses quotas lui permettent d’émettre, elle peut les garder pour l’an prochain ou les revendre.

Au fil du temps, le plafond est réduit, ce qui entraîne une diminution des émissions globales. Couvrant plus de trois quarts du marché du carbone international, le SEQE de l’Union européenne, en étant flexible, rentable et favorable aux entreprises respectueuses de l’environnement, aide celle-ci à progresser plus vite vers un avenir plus vert et faible en carbone. L’objectif est d’atteindre d’ici 2050 une diminution d’environ 90% par rapport à 2005.

Cependant, le SEQE en l’état actuel a atteint ses limites. A la racine du problème se trouvent les divergences trop fortes entre les différentes politiques climatiques à travers le monde. En effet, les efforts de l’UE pour mettre en œuvre une solution efficace au réchauffement climatique sont compromis par des pays comme les Etats-Unis, qui vont dans la direction opposée. De plus, le SEQE peut avoir un effet négatif sur l’économie européenne en confrontant ses industries à des désavantages concurrentiels par rapport aux pays non-membres de l’UE, ce qui mène à l’exemption de nombreux secteurs du système d’échange pour éviter les délocalisations.

Une solution possible et celle proposée par la Commission européenne est d’unir le SEQE à d’autres systèmes d’échanges de quotas d’émission. Ainsi, celle-ci admet que « Le couplage entre le SEQE et d’autres systèmes nationaux ou régionaux de plafonnement et d’échanges peut donner naissance à un grand marché, susceptible de faire baisser le coût global de la réduction des émissions de gaz à effet de serre », [4] aboutissant à « un réseau mondial de systèmes d’échanges ». En pratique, le seul accord liant deux systèmes d’échanges de quotas d’émission est celui entre l’UE et la Suisse, et n’entrera en vigueur qu’en 2019. [5] Aucun autre partenariat n’a été sérieusement envisagé.

Un pacte finance-climat européen ?

Malgré toutes ses qualités, le SEQE n’est pas suffisant pour faire de l’Europe le leader mondial de la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, il ne couvre que la moitié du total européen des émissions de gaz à effet de serre et n’est pas assez incitatif envers les entreprises pour que celles-ci investissent dans la transition énergétique.

De toute façon, de récentes études scientifiques ont montré que dans n’importe quel scénario, les émissions ne peuvent pas être réduites assez rapidement pour atteindre les objectifs fixés par l’UE ainsi que par les accords de Paris. [6] Le dioxyde de carbone en trop dans l’atmosphère doit donc être retiré. Comme il n’y a pratiquement aucun débat public sur la manière d’obtenir les « émissions négatives » supplémentaires nécessaires pour réduire le stock de CO2, la promesse de limiter les dommages causés par le changement climatique sera, au rythme actuel, presque certainement rompue.

L’Union se doit donc d’investir dans la recherche pour trouver la meilleure façon de retirer le plus de CO2 possible (jusqu’à 810 milliards de tonnes en 2100, autant que l’économie mondiale produit en 20 ans [7]), et de financer la mise en place de cette solution. Les pistes privilégiées par les chercheurs sont la plantation massive d’arbres, l’utilisation de filtres chimiques pour capter le CO2 directement dans l’air, ou encore le remplacement du labourage profond des champs par un labourage superficiel, qui aiderait le sol à absorber et retenir plus de CO2.

Quelle que soit la solution choisie, celle-ci nécessitera un financement extrêmement important de la part de l’UE. Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, les auteurs de l’Appel pour un pacte finance-climat européen, [8] l’ont bien compris. Des figures telles que Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne, Jean-Marc Ayrault, ex premier-ministre français et Anne Hidalgo, maire de Paris, sont parmi les signataires de ce manifeste également soutenu par Nicolas Hulot, qui appelle les responsables européens à « négocier au plus vite un pacte finance-climat, qui assurerait pendant trente ans des financements à la hauteur des enjeux pour financer la transition énergétique sur le territoire européen ».

Depuis début 2015, la Banque centrale européenne (BCE) a créé grâce à l’assouplissement quantitatif (quantitative easing en anglais, ou QE) plus de 2 200 milliards d’euros de liquidités, mises à disposition des banques pour relancer définitivement l’économie suite à la crise de 2008. Ainsi, Pierre Larrouturou avance la proposition très ambitieuse de dédier la moitié de ces liquidités – 1 000 milliards – au financement de la transition énergétique. Ce projet aurait également pour conséquence de diminuer les effets négatifs de l’assouplissement quantitatif, qui en alimentant la spéculation financière peut potentiellement mener à une nouvelle crise économique.

Pour mener à bien cette réorientation du budget créé par le QE, la BCE prêterait progressivement les 1 000 milliards d’euros à la Banque européenne d’investissement, qui investirait à son tour dans le développement d’énergies renouvelables. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ces investissements permettraient la création de 900 000 emplois en France, et près de 6 millions dans l’Union européenne. [9] Le pacte finance-climat européen propose également la mise en place « d’un impôt européen sur les bénéfices » dont 5% seraient dédiés à « investir dans la recherche et lutter contre le réchauffement climatique ». Le projet de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou passe donc par l’harmonisation européenne de l’impôt sur les sociétés.

La mise en œuvre d’une véritable politique climatique européenne passe donc par l’amélioration du fonctionnement du système d’échanges de quotas d’émissions, notamment par la création de partenariats avec d’autres systèmes d’échange à travers le monde, ainsi que par la création d’un pacte finance-climat afin de financer la recherche pour trouver une solution au réchauffement climatique et mettre en place cette solution. Ces projets représentent des pas importants en vue d’une Europe fédérale et mieux intégrée. En effet, les auteurs de ’l’Appel’ ont comme objectif à terme d’organiser « un référendum sur l’adoption du nouveau traité européen incluant nos propositions ». [10] Nous leur souhaitons bonne chance.

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Vos commentaires
  • Le 4 janvier 2018 à 08:59, par jacques pinchard En réponse à : Quel futur pour la politique climatique européenne ?

    Très bel article évoquant le Pacte Finances-Climat européen initié par Jean Jouzel et Pierre Larrouturou issu de leur ouvrage « Pour éviter le chaos Climatique et Financier » dédicacé par Nicolas Hulot.

    150 personnalités européennes soutiennent l’initiative : Edgar Morin, Marie-Monique Robin, Romano Prodi, Manuela Carmela, Jean-Louis Etienne, Audrey Pulvar, Eric Osonna, Fred Vargas, Jon Palais, Isabelle Thomas, Yann Arthus Bertrand, Suzanne Georges, Matthieu Ricard, Mgr Marc Stenger, Delphine Batho, Cyril dyon, Joel Labbé, Daniel Cueff, Olivier Clanchin, Jean-claudePierre, Anne Hidalgo, Pervenche Berès, Pascal Lamy ... https://climat-2020.eu/les-premiers-signataires/

    Vous aussi, signez, faites connaitre, modifiez vos modes de consommation et vos choix d’investissements. Le Climat n’attend pas.Construisons une belle Europe responsable, ouverte sur le monde.

    Pour mieux comprendre, Visionner la conférence de Rennes : https://www.youtube.com/watch?v=Wl9iKlcwokQ&t=3s

  • Le 26 mars 2018 à 22:17, par Enzo Grisoni En réponse à : Quel futur pour la politique climatique européenne ?

    Très bel article, jeune homme ! Il m’a été particulièrement util à la compréhension des enjeux d’une Europe plus juste comme notament la solidarité, l’entraide et globalement la loyauté entre citoyens. Merci pour ce travail !

    Sincèrement,

    Enzo Grisoni

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