Quelle place pour la société civile dans le Partenariat oriental ?

Quatrième épisode d’une mini-série intitulée : le Partenariat oriental : bilan d’une décennie mitigée.

, par Théo Boucart

Quelle place pour la société civile dans le Partenariat oriental ?

2009-2019 : le Partenariat oriental fête ses dix ans. C’est le pilier de la politique européenne de voisinage, elle-même une pièce maîtresse de la politique extérieure de l’Union européenne. Malgré une progression en dix ans, la reconnaissance de la société civile en tant qu’acteur de la gouvernance est encore assez lacunaire et inégale selon les pays.

Comme rappelé dans les trois premiers articles de notre série, l’objectif central du Partenariat oriental entre l’Union européenne et son voisinage d’Europe de l’Est et du Caucase du Sud est l’européanisation des marges orientales, via notamment l’exportation des normes législatives européennes et l’intégration au marché unique. La structuration de la société civile est également un objectif fondamental de l’action européenne, du moins sur le papier. Une société civile dynamique et robuste permet en effet la stabilité démocratique d’un pays et un développement sociétal pérenne.

L’objectif de l’Union européenne est d’associer les organisations de la société civile dans l’ensemble des thématiques couvertes par le Partenariat oriental, renforçant par là même le sentiment d’appropriation de cette initiative politique par les citoyens des pays partenaires. Quels progrès ont été obtenus en une décennie de coopération ? Quels sont les domaines où des améliorations sont nécessaires ? La méthode européenne est-elle la plus adéquate pour renforcer le rôle de la société civile organisée dans la région ?

Un objectif transversal

S’il n’existe pas de plateforme thématique à proprement parler sur la société civile dans la structure multilatérale du Partenariat oriental, celle-ci est véritablement présente dans les travaux entre l’Union européenne et son voisinage de l’Est. La plateforme n°4 « mobilité et contacts interpersonnels » donne une première impression de l’importance du facteur « citoyen » du Partenariat oriental. Les trois panels composant cette plateforme (l’éducation et la jeunesse ; la recherche et l’innovation ; et la migration, la mobilité et la gestion intégrée des frontières) mettent l’accent sur l’interpénétration des sociétés de l’Union européenne et des pays partenaires. Dans les « 20 Deliverables for 2020 », une série d’objectifs thématiques concrets pour préparer la coopération après 2020, l’engagement actif avec les acteurs de la société civile est un objectif « transversal » (cross-cutting deliverable). Cela signifie que la collaboration avec la société civile ne doit pas être cantonnée à un certain nombre de thématiques, mais que celle-ci doit être un prérequis pour chaque domaine d’action, de l’intégration économique et à la coopération politique en passant par la sécurité énergétique et la gestion des flux migratoires.

Les acteurs de la société civile organisée se sentent en particulier concernés par les réformes promouvant le développement démocratique de la région (une problématique particulièrement sensible). C’est pourquoi le « forum de la société civile du Partenariat oriental » s’est constitué. L’objectif de celui-ci est de s’assurer que la société civile soit pleinement intégrée aux processus de création et d’application des lois dans les pays du Partenariat oriental. Le forum s’assure également que la liberté d’expression soit effective dans ces pays, tout comme les droits de l’Homme et les libertés fondamentales en général. Pour ce faire, le forum utilise plusieurs méthodes, dont la rédaction de rapports analytiques et d’information sur la situation de la société civile sur le terrain et son implication dans les grandes thématiques du Partenariat oriental, ainsi que des actions de plaidoyer auprès des institutions européennes à Bruxelles. L’intégration transversale de la société civile aux politiques du Partenariat oriental montre son importance aux yeux des institutions européennes et des pays du voisinage oriental. Néanmoins, une telle attention en théorie ne saurait cacher une situation plus contrastée sur le terrain.

La faiblesse structurelle de la société civile à l’Est

Le point commun principal des six pays du Partenariat est d’avoir été, plus ou moins longuement, des républiques soviétiques. Le joug communiste a eu des conséquences absolument considérables sur les structures sociétales de ces nouveaux pays, indépendants depuis le début des années 1990 seulement. D’une part, ces états n’ont aucune tradition étatique antérieure à l’indépendance de l’URSS, ce qui fragilise fortement leur transition démocratique. D’autre part, le totalitarisme soviétique a empêché toute prise de conscience massive de la société civile tout au long du XXème siècle. Cela ne veut pas dire que celle-ci soit inexistante, les révoltes pour l’indépendance ainsi que les différentes « révolutions de couleurs » (en Géorgie et en Ukraine au début des années 2000) sont une preuve que les citoyens peuvent faire entendre leurs voix. Néanmoins, la bonne organisation de la société civile pâtit encore de cet héritage encombrant et de nombreux exemples de bafouements de ses droits sont toujours à déplorer.

Il y a cependant des situations différentes selon les pays. Si la Géorgie, l’Arménie et dans une moindre mesure la Moldavie peuvent faire figure de bons élèves, la Biélorussie et l’Azerbaïdjan sont toujours des régimes dictatoriaux qui n’hésitent pas réprimer violemment toute tentative de manifestations. Devant l’hétérogénéité des situations, l’Union européenne doit adopter des solutions ad hoc, adaptées aux réalités de chaque pays. Elle ne doit pas non plus tomber dans le piège du « deux poids, deux mesures ». Ainsi, pourquoi la Biélorussie serait exclue de certaines instances de collaborations du Partenariat oriental (notamment l’assemblée parlementaire Euronest) et non pas l’Azerbaïdjan, riche en hydrocarbures et placé à une position stratégique pour l’Union européenne dans l’approvisionnement énergétique ? L’Union doit être prête à défendre sans réserve ses valeurs et ses principes, et soutenir sans condition les sociétés civiles dans ses pays partenaires.

Démocratisation vs. stabilité : la fausse dualité

C’est en effet une revendication principale du forum de la société civile, qui vient de publier un rapport-cadre sur la situation des sociétés civiles pour les dix ans du Partenariat oriental. Celui-ci esquisse les progrès (nombreux) réalisés en une décennie, les faiblesses (encore plus nombreuses) et suggère des pistes d’amélioration.

D’un point de vue de la participation démocratique, le Partenariat a été globalement bénéfique, l’influence et les exigences de l’Union européenne dans les domaines des droits fondamentaux et des réformes démocratiques ont permis tout au long de la décennie 2010 une meilleure intégration des acteurs de la société civile dans certains pays. Malheureusement, l’Union européenne n’a eu aucune influence sur la situation en Azerbaïdjan et en Biélorussie. De plus, de nombreux progrès peuvent encore être réalisés, notamment dans la défense de la liberté d’expression et la pluralité des opinions politiques. D’après l’indice du Partenariat oriental (Eastern Partnership Index), le fossé se creuse entre un groupe de pays qui commencent à récolter les bénéfices de réformes politiques et économiques (l’Ukraine, la Géorgie et l’Arménie) et un autre groupe de pays toujours minés par la corruption et l’autoritarisme politique (la Moldavie, la Biélorussie et l’Azerbaïdjan). Le forum de la société civile propose par conséquent tout un ensemble de mesures destinées à accroître la résilience du Partenariat oriental et son appropriation par tous les citoyens des pays concernés. Le Forum dénonce en particulier la volonté de l’Union européenne de stabiliser la région à tout prix, au détriment parfois des réformes démocratiques amenant une meilleure alternance politique.

L’Union européenne et le Partenariat oriental semblent mettre la participation de la société civile au rang de priorité. Néanmoins, malgré des progrès en dix ans, la situation reste complexe, surtout concernant sa participation au processus de démocratisation régional.

Cet article est le deuxième d’une série publiée sur Voix d’Europe.

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