Quelle place pour Malte dans l’Union européenne ?

Entretien avec le président du Mouvement européen - Malte

, par Xavier de Raulin

Quelle place pour Malte dans l'Union européenne ?
Manifestation à Rome le 25 mars 2017, pour célébrer les 60 ans du Traité de Rome

Malte assure la présidence du Conseil de l’Union européenne pour le premier semestre de 2017. L’occasion pour le Taurillon d’interviewer le professeur Roderick Pace, président du Mouvement européen - Malte depuis 1996. Il enseigne à l’Institut d’études européennes de l’Université de Malte qu’il a aidé à fonder en 1991 et qui est un Centre d’excellence Jean Monnet.

Le Taurillon : Quand le Mouvement européen - Malte a-t-il été créé ?

Roderick Pace : Il a été créé en 1965, un an après que Malte ait obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne. En 1965, Malte a également rejoint le Conseil de l’Europe, qui a été décrit par le Premier ministre à l’époque, le Dr George Borg Olivier, comme un retour à la maison après des années d’absence. Le Mouvement européen - Malte compte environ 160 adhérents.

Quelles sont les raisons de sa création ?

Avant 1964, de nombreux hommes politiques maltais avaient exprimé le souhait de voir Malte accéder à l’indépendance et rejoindre la Communauté économique européenne (CEE). L’accès au marché commun était essentiel pour stimuler le développement économique de Malte. Le Conseil de l’Europe, auquel Malte a adhéré en 1965, a permis d’ancrer l’identité européenne de Malte. En 1970, Malte a signé un accord d’association avec la CEE qui devait conduire à une union douanière. En 1990, le pays a présenté une demande d’adhésion à l’UE et en est devenu membre en 2004, puis a introduit l’euro le 1er janvier 2008. Malte est un membre à part entière de l’accord de Schengen. Le Mouvement européen - Malte a été créé précisément pour promouvoir l’idéal européen. On a vite compris que l’unité européenne favorisait la paix et que l’avenir de Malte était de participer à cette unité.

Quels types d’actions organise-t-il ?

Jusqu’en 1988, le Mouvement Européen militait pour que Malte donne à ses citoyens le droit de présenter une pétition individuelle à la Cour européenne des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Après cela, il a fait campagne activement en faveur de l’adhésion à l’Union européenne et a été très actif lors du referendum sur cette question en 2003. [1]

Depuis, les dirigeants du Mouvement européen sont actifs dans les médias et dans les débats auxquels ils sont invités de temps en temps. L’activité a beaucoup diminué depuis l’adhésion, en grande partie parce que nombre des dirigeants du Mouvement ont été impliqués dans les institutions de l’UE. Cependant, depuis ces derniers mois, on assiste à un regain d’intérêt pour l’Europe.

Le Mouvement européen - Malte participe-t-il à la présidence maltaise de l’UE ?

Il n’est pas officiellement impliqué dans la présidence maltaise de l’UE. J’ai participé à certaines activités liées à la présidence à titre personnel et professionnel. Ce qui est plus important, c’est que la présidence maltaise du Conseil de l’UE a commencé sur une bonne base et va dans une direction positive.

Qu’aimeriez-vous transmettre aux dirigeants maltais ?

Six mois sont courts, et les priorités de l’Union sont nombreuses et variées. Il existe des limites évidentes à ce qu’une présidence unique peut atteindre et à ce que le plus petit État membre de l’UE peut faire. Ce qui serait formidable, c’est que la présidence maltaise parvienne à conduire l’Europe à un pas de plus vers une plus grande unité et vers la redécouverte de soi et de ses idéaux en ces temps difficiles. L’Europe est toujours la solution pour tous les Européens, mais nous devons convaincre les sceptiques et ceux qui, pour des raisons justifiées, se sentent laissés pour compte. Le temps n’est pas de notre côté. Entre-temps, les défis auxquels la présidence maltaise est confrontée sont, c’est le moins qu’on puisse dire, plutôt exceptionnels. La Grande-Bretagne a activé l’article 50, la solidarité interne dans l’UE est ébranlée. De nombreux mouvements politiques réclament un retour à la politique de 1914 ou 1930, alors que nous avons manifestement besoin d’unité. La Russie menace les frontières européennes postcommunistes, et une nouvelle administration aux États-Unis veut disloquer l’UE. L’Accord de Paris sur le changement climatique est sapé et de nouvelles guerres commerciales peuvent être déclenchées, ce qui pourrait secouer l’économie mondiale. Nous sommes au seuil d’une nouvelle époque et chaque étape que l’Europe franchit doit être soigneusement calibrée. La présidence maltaise a un travail « bureaucratique » à faire. Cependant, d’autres événements pourraient brutalement s’immiscer dans son programme.

Que représente l’Union européenne pour les Maltais ? Peut-elle être proche des gens ? Qu’en attendent-ils ?

Les Maltais reconnaissent que l’UE est importante pour la sécurité économique et politique de Malte, pour maintenir son indépendance et sa liberté dans une région turbulente, la Méditerranée, et dans une Europe de plus en plus agitée. Mais ce qui est le plus important, c’est que la majorité des Maltais apprécie le fait que l’UE ait conservé la paix en Europe. Les Maltais appuient l’unité européenne et s’attendent à ce que les États membres resserrent les rangs et renforcent la solidarité, notamment en ce qui concerne le partage des responsabilités et la réinstallation des migrants.

Malte estime que les Etats membres devraient faire davantage pour contribuer au bien-être général de l’UE. Malte est l’un des plus gros contributeurs au fonds de sauvetage pour la Grèce. Ce n’est pas parce que les Maltais ont beaucoup d’argent à épargner, mais parce qu’ils comprennent comme tout le monde ce que cela signifie pour un pays comme la Grèce d’être en difficulté.

Malte est également intransigeante contre les politiques d’austérité. Lorsque les États membres sont confrontés à une récession économique, il ne faut pas davantage de privations pour combler les lacunes budgétaires, mais des investissements stratégiques dans les infrastructures, l’éducation et la recherche afin de donner aux jeunes un emploi décent et renforcer les perspectives de croissance économique.

Voyez-vous un euroscepticisme croissant parmi la population ?

Notre pays a prospéré à un tel point que généralement les Maltais sont satisfaits de l’UE. Plus de la moitié des habitants ont une image très positive de l’UE et seulement 8% ont une image totalement négative. Il y a un certain euroscepticisme parmi la population, mais pour le moment il est limité et inefficace.

Le Premier ministre Joseph Muscat a été ferme sur l’attitude à adopter vis-à-vis du gouvernement britannique. Étant donné les liens historiques, commerciaux et sentimentaux que Malte entretient avec la Grande-Bretagne, pensez-vous qu’il maintiendra cette position ?

Tout d’abord, je tiens à souligner que je suis d’accord avec la position du Premier ministre. En tant que président du Conseil de l’UE, il est obligé d’affirmer la position de l’UE, même vis-à-vis d’un ami comme la Grande-Bretagne. Le plus dur est que nous avons des liens très forts avec ce pays. Mais si l’UE est affaiblie ou pire encore, démantelée (et le Brexit menace de le faire), notre pays en souffrira. Le Premier ministre maltais devrait-il rester silencieux alors que tout le monde a son mot à dire ?

L’Europe vit des temps difficiles et l’UE ne doit pas s’épuiser dans une compétition entre petits Etats qui seront, à terme, éliminés un par un par des puissances plus fortes. Nous avons besoin d’une plus grande unité en Europe pour surmonter nos difficultés et dissuader d’autres puissances de tenter de nous dominer. Nous avons aussi besoin d’un solide partenariat transatlantique, si l’autre côté de l’Atlantique comprend vraiment ce que cela signifie. La réalisation d’une plus grande unité en Europe est la bataille actuelle parce que les divisions sont profondes, le nationalisme est en hausse, les réformes des traités sont hors de question et aucun véritable dirigeant digne de ce nom n’a émergé pour raviver la fierté dans le projet européen alors que des milliers de personnes subissent des épreuves inouïes sans aucun signe de répit rapide.

Le gouvernement maltais s’oppose à l’harmonisation fiscale en Europe. Comment expliquez-vous cette position ? Pensez-vous qu’il pourrait un jour changer d’avis ?

Je ne pense pas que l’actuel gouvernement ou tout autre gouvernement maltais acceptera un jour l’harmonisation fiscale. Malte est un petit État périphérique entouré de régions encore en développement. Nous ne sommes pas situés au cœur de l’économie européenne du nord, nous sommes insulaires et la connexion avec le reste du continent est faible et difficile. Il faut remédier à ce handicap inhérent qui ne pourra jamais être éliminé. La fiscalité est l’une des méthodes par laquelle Malte tente de surmonter ses handicaps pour attirer l’investissement. Si l’UE impose une harmonisation fiscale à chaque État membre dans le cadre d’une approche unique, les conséquences pour Malte ne seront pas bonnes. L’harmonisation fiscale n’atteindra jamais l’objectif visé, si on veut récupérer les revenus qui échappent à de nombreux grands États membres. Il est nécessaire de garder un œil plus attentif au niveau de l’UE et des États membres pour faire en sorte que les responsabilités fiscales soient assumées par tous, en particulier par les grandes multinationales qui bénéficient à la fois de taux d’imposition moins élevés et d’impôts irréguliers.

Malte était en première ligne avec l’arrivée des migrants il y a quelques années. Face au manque de solidarité de certains États membres pour les accueillir, Joseph Muscat veut « essayer de recueillir des progrès, favorisant la compréhension mutuelle ». N’est-ce pas une mission impossible ?

La crise des migrants ne sera pas résolue du jour au lendemain, et si nous disons que nous voulons mieux protéger les frontières de l’Europe, nous devons être plus unis, coopératifs et prêts à partager des ressources et des informations. Cela prendra beaucoup de temps. Promouvoir la compréhension mutuelle est très important à ce stade, car elle fait défaut. Il y a des pays européens qui pensent unilatéralement qu’ils peuvent se tenir à l’écart de la question de la migration et des défis qu’elle pose, tout en laissant les autres se débrouiller avec ce problème. Ils ont tort. Et soyons francs, ils sont imprudents, même d’un point de vue purement « d’intérêt national ». Ils sapent la solidarité, une position qui se retournera contre eux quand ils s’y attendront le moins. Ce que je veux dire, c’est que demain, ces Etats membres qui hésitent à partager leur responsabilité peuvent se retrouver en difficulté et subir à leur tour, un manque de solidarité. Les positions sont très dures de tous les côtés, mais je pense que si la raison et le dialogue prévalent, les Européens peuvent trouver une solution, que nous devons chercher sans relâche. Si nous abandonnons l’espoir et cessons de chercher, alors la peur nous engloutira. En ce sens, Joseph Muscat a raison d’essayer de progresser. Il aurait totalement tort s’il baissait les bras.

Notes

[1Le referendum maltais sur l’adhésion à l’UE du 8 mars 2003 a vu la victoire du oui à 53% et un taux de participation de 91%.

Vos commentaires
  • Le 26 août 2017 à 23:01, par Germain En réponse à : Quelle place pour Malte dans l’Union européenne ?

    Une barmonisation fiscale, déja négative pour l’Europe, conduirait a la ruine de Malte, pays courageux, où tout le monde ou presque travaille avec ardeur (souvent deux emplois comme aux USA), pas pour supporter les assistés et une politique guerrière, mais pour seulement améliorer la situation économique de sa famille respective. Copier le système européen, voire français conduitait à la faillite. Comme dit la bible : Aide toi, Dieu t’aidera......

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