Un parcours linéaire
Avocate de formation, Kaja Kallas entre rapidement dans la vie politique de son pays en suivant les traces de son père, Siim Kallas. Plusieurs fois ministre après la chute de l’URSS et Premier ministre en 2002 et 2003, il a fondé le Parti de la réforme d’Estonie (centre droit) – membre de Renew au sein du Parlement européen – que rejoint Kaja Kallas avant d’être élue députée en 2011 à la Riigikogu, le Parlement estonien. Trois ans plus tard, Kaja Kallas entre sur la scène européenne en devenant députée au sein de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE, aujourd’hui Renew) à partir de 2014. Quittant son poste en 2018, Kaja Kallas est à nouveau élue députée estonienne l’année suivante avant d’être nommée, deux ans plus tard, Première ministre d’Estonie. Elle a dirigé trois gouvernements marqués par des coalitions avec des partis issus du centre et les sociaux-démocrates. Le 1er décembre 2024, elle deviendra officiellement haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Toutefois, le nom de famille Kallas est déjà connu des institutions européennes. Son père, Siim Kallas, a été le premier commissaire européen de son pays. D’abord en charge des affaires économiques et monétaires en 2004, puis commissaire européen à l’Administration, à l’Audit et à la Lutte anti-fraude de 2004 à 2010 sous la présidence du Portugais J. Barroso, et enfin commissaire aux Transports de 2010 à 2014, toujours sous la présidence de Barroso. Par ailleurs, de 2004 à 2014, il est vice-président de la Commission européenne. Kaja Kallas perpétue l’héritage européen de son père en accédant à l’un des « top jobs » de l’UE, plus de deux ans après la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine.
Une position anti-russe
En février 2022, Vladimir Poutine déclenche une « opération spéciale » en Ukraine, rappelant à l’Union européenne qu’il ne suffit pas d’acheter du gaz pour garantir la paix. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Estonie a subi une intensification des opérations de déstabilisation : incidents frontaliers, cyberattaques et campagnes de désinformation. Partageant près de 300 km de frontières avec la Russie, l’Estonie se retrouve en première ligne et se considère, avec les autres pays baltes, comme le prochain pays potentiellement menacé par une invasion russe. Ayant été envahie à plusieurs reprises par son géant voisin, la période soviétique est perçue par beaucoup d’Estoniens comme une occupation. Kaja Kallas elle-même décrit la Russie comme un « État colonial ». En conséquence, le pays se prépare à un éventuel affrontement direct avec la Russie. Outre l’exercice Spring Storm réalisé dans le cadre de l’OTAN, des cours obligatoires sur la défense ont été introduits dans les programmes scolaires, tandis que le budget alloué à la défense atteint désormais 3 % du PIB. La future haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité incarne cet esprit de résilience.
Durant son mandat de Première ministre, Kaja Kallas a adopté une position fermement anti-russe, visible à travers une aide militaire régulière à l’Ukraine, composée de missiles antichars Javelin, de munitions, d’obusiers et de véhicules blindés. Influencée par son histoire familiale – sa grand-mère ayant été déportée en Sibérie après la Seconde Guerre mondiale –, Kaja Kallas apporte un soutien indéfectible à l’Ukraine. Dans un article publié par le magazine britannique Foreign Affairs en décembre 2022, Kaja Kallas souligne la nécessité d’une victoire de l’Ukraine dans le conflit et réclame justice pour les « agresseurs et criminels de guerre russes ». De plus, elle soutient l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Par ailleurs, elle a été inscrite sur la liste des individus recherchés par le Kremlin, à la suite du retrait de plusieurs statues datant de l’époque soviétique en Estonie. En dehors de sa position sur la guerre en Ukraine, Kaja Kallas a également proposé la création d’un poste de commissaire européen pour l’armement et plaide en faveur de l’utilisation d’euro-obligations pour le financement de l’industrie de défense de l’UE. Surnommée la « Dame de fer de l’Europe », Kaja Kallas pourrait recentrer la diplomatie de l’UE vers l’Est.
Des défis à relever
Initialement pressentie pour le poste de Secrétaire générale de l’OTAN, Kaja Kallas a reçu le soutien d’Ursula von der Leyen. Toutefois, sa nomination ne fait pas l’unanimité. En effet, le parti européen Renew, dont elle est issue, a subi une défaite lors des élections européennes de juin 2024, passant de 102 à 77 députés. Les pays du Sud de l’Europe ont exprimé leurs craintes quant à un trop fort recentrage de l’UE vers l’Est, au détriment des problématiques sécuritaires et migratoires en mer Méditerranée. Kaja Kallas devra prouver qu’elle est capable de dialoguer avec l’ensemble de l’UE et de faire preuve de polyvalence dans les nombreux dossiers différents.
L’UE doit faire entendre sa voix dans le conflit israélo-palestinien. Les pays européens entretiennent de nombreuses collaborations scientifiques et militaires avec Israël, tandis que l’UE a été, pour la période 2021-2024, le premier fournisseur d’aide au développement de la Palestine. En prônant la solution à deux États, l’UE a régulièrement appelé à un cessez-le-feu. Originaire d’un pays n’ayant pas participé à la colonisation du continent africain, Kaja Kallas aura également la lourde tâche de renouveler les relations entre l’UE et l’Afrique, principalement axées sur la sécurité et le commerce. De plus, l’UE déploie actuellement quatre missions civiles sur le continent.
En nommant Kaja Kallas cheffe de la diplomatie européenne, Ursula von der Leyen affirme la volonté de l’UE de soutenir l’Ukraine. Kallas semble être la candidate idéale pour affronter Vladimir Poutine, en espérant que ses déclarations seront suivies d’actes concrets de la part du futur collège des commissaires. Affaire à suivre.
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