Quinze ans de politiques économiques en Europe : une analyse rétrospective (seconde partie, 2008-2020)

Le Taurillon fête ses 15 ans ! Retour sur une décennie et demie de politique européenne

, par Eric Drevon-Mollard

Quinze ans de politiques économiques en Europe : une analyse rétrospective (seconde partie, 2008-2020)

Après avoir brossé dans l’article précédent le décor des 15 dernières années de politiques économiques en Europe, et expliqué le déroulement de la période 2005-2008, passons ici à la période 2008-2020, qui a connu des changements inimaginables quelques années auparavant. Les crises accélèrent généralement le temps en politique comme en économie, il n’y a donc rien d’étonnant à cela.

Des réponses européennes maladroites à la crise de 2008

La troisième séquence économique, qui apparaît sur le graphique précédent après la récession de 2008, montre une très lente reprise, à cause de graves erreurs dans la gestion de la crise.

La plus connue et invoquée par les médias est la politique monétaire trop rapidement restrictive de la Banque Centrale Européenne, qui n’a pas assez attendu avant de remonter ses taux d’intérêt directeurs, contrairement à la gestion plus accommodante de la Réserve Fédérale américaine. La politique budgétaire de nombreux états-membres est également redevenue trop rapidement restrictive, avec une baisse des dépenses publiques assortie de hausses d’impôts. Le résultat a été dans de nombreux pays une retombée en récession, avec une dette publique qui continuait à gonfler malgré les baisses de dépenses publiques.

Dans le système monétaire actuel, ces explications sont valables, mais elles sont loin d’être suffisantes.

En effet, à côté de ces problèmes de dosage des politiques économiques conjoncturelles, se pose plus gravement encore l’incohérence des politiques structurelles. Le cas d’école est la Grèce, mais l’explication est aussi valable pour l’Italie, l’Espagne, la France ou le Portugal : tenter d’équilibrer les dépenses publiques est illusoire si la question de la taille du gouvernement n’est pas mise sur la table. Or le traité de Maastricht et sa règle d’or budgétaire, qui interdit de dépasser 60% de dette publique et 3% de déficit public pour un état-membre, sous peine de sanctions, a clairement oublié d’inclure le paramètre le plus important pour garantir l’agilité des économies européennes : un pourcentage maximal de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques, au moins sur une période de plusieurs années pour lisser les accidents conjoncturels.

La gestion de la crise grecque est ici un cas d’école : la troïka (Commission européenne, Banque Centrale Européenne et Fond Monétaire International) a certes imposé quelques objectifs structurels indispensables, comme la réduction du poids des retraites dans les dépenses publiques, la privatisation de nombreux secteurs de l’économie et la suppression de certains avantages corporatistes des oligarques, mais hélas, elle a aussi exigé de très fortes hausses d’impôts qui ont rendu toute reprise illusoire.

Mieux aurait fallu procéder à l’annulation d’une grande partie de la dette grecque, supportée par les banques qui l’ont aidé à maquiller ses comptes pour entrer dans la zone euro (notamment Goldman Sachs), mais en contrepartie exiger la suppression du statut de la fonction publique, en dehors de quelques hauts fonctionnaires gouvernementaux, ainsi que le licenciement de la profusion de petits fonctionnaires inutiles qui ruinent le peuple grec. Les tâches qu’ils effectuent auraient été confiées à des entreprises privées, avec des mécanismes de subventions publiques pour les rares domaines où elles sont indispensables du fait des externalités positives qu’elles produisent : l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche fondamentale.

Une échéance de cinq années aurait été donnée afin que les dépenses publiques ne dépassent pas 20% du PIB, avec une interdiction de plusieurs décennies de dépasser ce seuil, et l’obligation d’avoir une fiscalité qui ne déforme pas les incitations productives. Un impôt sur le revenu proportionnel et modéré assorti d’un revenu universel aurait assuré les ressources tout en évitant la grande pauvreté. Au lieu de stigmatiser ce pays et d’en faire le vilain petit canard de l’Europe, l’Europe aurait pu faire de la Grèce une vitrine pour les autres états-membres, grâce à l’exemple de réussite qu’elle aurait représenté.

La reprise arrive finalement, mais la politique s’en mêle

La quatrième séquence se situe entre 2013 et 2019 : la reprise économique s’accélère, et le rythme de croissance retrouve son niveau d’avant-crise. L’Espagne, grâce aux bonnes politiques du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, est un exemple spectaculaire de reprise économique (ainsi que le montre le graphique précédent), ainsi que l’Irlande.

La Banque Centrale Européenne aide à la reprise en assouplissant sa politique monétaire. Le maintien du prix du pétrole et des matières premières à des niveaux modérés ne vient pas casser la dynamique. La bonne santé de l’économie mondiale, ainsi que les traités de libre-échange négociés avec talent par Jean-Claude Juncker, président de la Commission à partir de 2014, maintient l’Europe sur sa lancée. Des accords sont conclus avec le Canada, l’Amérique du Sud, le Mexique et même le Vietnam (même si ce dernier accord a été conclu sous les auspices d’Ursula Von Der Leyen, qui a tenu les engagements de son prédécesseur dans ce cas précis).

En 2019, des militants politiques d’extrême-gauche aguerris créent, avec la complaisance de nombreux médias et enseignants, le phénomène Greta Thunberg, soit-disant pour défendre l’environnement. A noter que leurs seules préconisations sont de réduire la production, la consommation, et de plus ou moins détruire le capitalisme. Ils ne veulent pas entendre parler de l’énergie nucléaire, qui est pourtant capable de produire une énergie abondante, constante et bon marché sans émettre de gaz à effet de serre.

Le problème est que la nouvelle Commission et les membres de l’Eurogroupe se sont laissés convaincre par ces élucubrations, au point de proposer un « Green New Deal ». Il consiste en d’énormes montants d’investissements improductifs par le biais de subventions à des secteurs économiquement non-rentables, notamment la construction d’éoliennes, qui ne produisent plus quand le vent s’arrête.

Tout aussi grave : la politique d’ouverture commerciale de l’Europe sur le monde est remise en cause, et les vieilles idées protectionnistes, dont tous les économistes sérieux depuis David Ricardo savent qu’elles appauvrissent la population lorsqu’elles sont mises en pratique, sont remises sur le devant de la scène, avec un vernis environnemental. On parle de taxe carbone aux frontières, et d’arrêter de signer des accords de libre-échange parce qu’ils incitent à transporter des marchandises sur de longues distances.

La Commission Von Der Leyen porte clairement une grande responsabilité dans cette nouvelle orientation politique, en particulier à cause de Frans Timmermans, le vice-président socialiste néerlandais chargé de ce fameux « Green New Deal ».

La panique des élites face au coronavirus

La dernière séquence est en cours depuis mars 2020 : un virus venu de Chine, qui tue environ 0,5% des malades, dont l’écrasante majorité des décès ont lieu chez des personnes avec des pathologies préexistantes, et dont la moyenne d’âge des morts est de 80 ans, provoque une panique totalement injustifiée et une surréaction complètement folle des gouvernements européens.

Le coronavirus débarque d’abord en Italie, lorsque des Chinois vivant à Bergame rentrent de vacances du nouvel an chinois de leur pays, ramenant avec eux la maladie. Le nombre de malades et de décès grimpent rapidement du fait de la contagiosité de la maladie et de l’âge moyen avancé des Italiens.

Le gouvernement Conte décide alors de mesures dignes d’un Etat totalitaire : il oblige la population de la région à se confiner et à ne sortir que pour faire ses courses avec un justificatif autosigné. La police contrôle les déplacements dans les rues et verbalise les contrevenants. L’Espagne puis la France lui emboîteront le pas quelques semaines plus tard.

La réponse de la Commission Von Der Leyen et de la Banque Centrale Européenne fut consternante : loin de mettre le holà et de rappeler très sévèrement l’Italie à l’ordre, elles acquiescent. Christine Lagarde, à la tête de la BCE, promet même d’intervenir en urgence sur les marchés dès que la dette italienne commence à frémir. Pourtant une simple petite phrase désapprobatrice de sa part aurait évité la terrible dépression, du niveau de celle de 1929, qui s’abat sur l’Europe ! Les Italiens, vu le niveau de leur dette, ne pouvaient pas se permettre de lui désobéir. Un froncement de sourcil de sa part, et ils devaient illico presto lever le confinement puis ouvrir leurs frontières tout en reprenant leurs affaires.

La normalité, celle qui prévalait en 1968, aurait prévalu. Cette année-là, une pareille épidémie, la grippe de Hong Kong, avait touché l’Europe, avec des taux de mortalité équivalents chez les personnes âgées ou malades, dans l’indifférence générale. Hélas, nos élites ont oublié le nécessaire courage stoïque des hommes libres face à la mort, pour emboîter le pas des despotismes orientaux. Premier effet : la chute du PIB de près de 9% anticipée pour l’année 2020 dans l’UE. Schengen jeté aux orties. Des « mesures sanitaires » digne de la Chine de Xi Jinping.

Ensuite, des violations constantes et répétées des droits fondamentaux des citoyens européens, qui non seulement ne peuvent plus manifester, mais ne peuvent même plus aller en discothèque, voyager en Europe ni assister à un festival. Les conséquences politiques et économiques négatives s’imbriquent et se renforcent.

Le pire est probablement l’incertitude qui mine la capacité des entreprises à se projeter dans l’avenir pour réaliser des investissements : les gouvernements font penser sans cesse la menace de nouvelles restrictions, ou de leur levée, selon ce que leurs « experts » médicaux leur diront.

Pour éviter un effondrement immédiat et total de l’économie, la Banque Centrale Européenne multiplie les mesures non-conventionnelles, outrepassant très clairement son mandat : sa politique de d’assouplissement quantitatif va jusqu’à racheter de la dette des états-membres et des entreprises, pour un montant de 750 milliards d’euros. Si les meubles sont sauvés à court terme, à plus long terme de graves problèmes se préparent.

D’abord, des bulles d’actifs ne manqueront pas de se former avec cet excès de liquidités. Lorsqu’elles éclateront, de nouvelles crises apparaîtront. Ensuite, en intervenant à ce point sur le marché du crédit, le marché disparaît purement et simplement, parce qu’il n’y a plus de prix de marché, et le secteur des biens et services non financiers finit par être contaminé. En effet, un prix sert à égaliser l’offre et la demande d’une ressource rare. Si la monnaie devient « gratuite » (mais dans ce cas, est-ce encore de la monnaie ?), ce n’est plus une ressource rare. Donc il n’y a plus de concurrence entre les meilleurs projets pour obtenir du crédit (la BCE parle d’aider des entreprises solvables, mais elle est bien incapable d’en juger par elle-même). Les mauvais emprunteurs ne sont plus sortis du marché, ne dégageant plus de ressources pour les bons emprunteurs. L’économie européenne ressemblera donc de plus en plus à une économie administrée, où des planificateurs étatiques donnaient des ordres de production à des entreprises inefficaces... C’est peut-être encore plus grave que les bulles financières qui se préparent.

Entre 2005 et 2020, l’Europe a connu deux crises. Nous sommes au début de la dernière, de loin la plus grave depuis un siècle. Elle a aussi vu de grands changements d’orientation en matière de politique économique : d’une gestion plutôt efficace et tournée vers le croissance et l’insertion dans la mondialisation par le biais de traités de libre-échange, à une gestion dogmatique, protectionniste et faussement écologiste. Entre les deux, une assez mauvaise gestion de la crise de 2008, qui a été l’occasion manquée d’approfondir les réformes tout en les accompagnant intelligemment, et qui a donc suscité du ressentiment envers les institutions européennes. Si elles reconnaissent s’être trompées, elles font encore un mauvais diagnostic, promouvant plus d’intervention publique alors qu’il faudrait au contraire redonner de l’air aux investisseurs privés.

Concernant la dernière crise économique en date, on entre dans le domaine du surréalisme, dans la dystopie d’un mauvais roman de science-fiction : les autorités ont préféré provoquer un hara-kiri de l’économie européenne que d’admettre que le talent politique consiste à opérer une balance coût-avantages, et que cette balance penchait clairement en faveur de la non-intervention, ne serait-ce que pour les générations futures. Ici le choix a clairement été de donner quelques années de vie supplémentaires aux boomers, au détriment de l’avenir de la jeunesse européenne.

La réaction de nos élites à la crise qu’ils ont provoquée est à l’avenant : une destruction des mécanismes de marché à long terme pour sauver l’économie de marché à court terme. Toutes choses égales par ailleurs, il est raisonnable d’être très pessimiste pour les années à venir. Mais tout espoir n’est pas perdu : des entrepreneurs géniaux émergent souvent pendant les crises pour surmonter les problèmes qu’elles provoquent, amplifiant grandement la productivité et le bien-être des populations.

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