Soutenir les pays de l’Union
Ursula von der Leyen a présenté un plan en cinq volets pour faire « face à un danger clair et immédiat d’une ampleur qu’aucun d’entre nous n’a connue dans sa vie d’adulte ». Le ton est donné rapidement pour renforcer la défense européenne mais aussi l’Ukraine dans sa guerre face à la Russie. 150 milliards € sous la forme de prêts aux pays de l’UE seront mis à disposition pour améliorer les cadences de production d’armement et renforcer les chaînes d’approvisionnement. Des secteurs ont été clairement identifiés en lien avec les innovations et besoins identifiés sur le champ de bataille ukrainien. La défense aérienne, la production de missiles, les drones et la lutte anti-drones et les systèmes d’artillerie sont considérés comme prioritaires par la Commission.
Aussi, Bruxelles souhaite assouplir les règles du Pacte de stabilité et de croissance, en excluant les dépenses militaires de la règle des 3% de déficit. L’objectif est d’inciter les Etats à dépenser plus. En effet, la Commission parie une hausse des dépenses militaires équivalentes à 1,5% du PIB de chaque pays de l’UE permettant de générer 650 milliards € d’ici 2030. Si certains pays de l’UE ont atteint le fameux seuil des 2% de PIB en dépenses militaires, notamment la Pologne qui consacre 4,12% de son PIB à la défense en 2024, d’autres rechignent à passer à l’acte. L’Espagne n’a dépensé que 1,12% de son PIB dans la défense, illustrant le fossé stratégique et les intérêts entre l’Est et l’Ouest. Les fonds de financement de l’UE pourraient être mobilisés dont celui pour le COVID ou plus de 90 milliards € n’ont pas été dépensés.
Enfin, Ursula von der Leyen souhaite créer une synergie entre les investissements publics et privés. Excluant jusqu’ici, le financement des activités liées à la défense, la Banque Européenne d’Investissement pourrait être mobilisée. Déjà en 2024, une première modification du règlement permet désormais les biens, services et projets à double usage dans le domaine de la défense tirant plus de 50 % de leurs recettes escomptées des applications civiles. Le 6 mars, les pays de l’UE ont approuvé le plan ReArm Europe. Ce plan a été annoncé dans un mouvement de prise de conscience du danger de la défection américaine. La Pologne continue de multiplier les achats pour massifier son armée tandis qu’en France, un budget équivalent à 3,5% du PIB est évoqué à l’horizon 2030. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu a évoqué le chiffre de 100 milliards €. En Allemagne, le futur chancelier allemand, Friedrich Merz rompt avec la tradition atlantiste de la CDU mais surtout il souhaite réinvestir massivement dans la défense en modifiant le frein à l’endettement. Le Danemark, impliqué dans le conflit en Ukraine mais aussi au Groenland, envisage un départ à la retraite à 70 ans pour financer son effort de défense. Pour faire simple, l’Europe se réarme et cela va s’accélérer. L’UE va-t-elle se transformer en une alliance militaire comme l’a annoncé le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov ? D’après Moscou, le plan ReArm Europe serait une menace pour la paix et réduirait les chances d’obtenir une fin de la guerre en Ukraine.
La préférence européenne
Le chemin sera long pour les pays de l’UE pour se réarmer. D’après la dernière étude du SIPRI sur les exportations d’armement et les dépenses militaires dans le monde, les pays européens membres de l’OTAN ont importé 64% de leurs armements des Etats-Unis durant la période 2020-2024. La part était de 55% entre 2015 et 2019. Bien évidemment, il s’agit d’une moyenne cachant des disparités, les BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense) de chaque pays de l’UE étant à des niveaux différents. La France possède une expertise qui peut profiter aux autres pays européens avec Dassault Aviation, Thalès ou encore Naval group. Attention à ne pas tomber dans un chauvinisme tentant dans lequel le pays de De Gaulle se voit comme seule alternative fiable aux Etats-Unis. L’Allemagne est elle aussi en capacité de répondre aux besoins avec Rheinmetall, producteur du célèbre char Leopard 2. Navantia, Leonardo, Saab, PGZ, FN Herstal… les exemples sont légion pour illustrer les entreprises de la défense capables aux besoins des armées de l’UE. Sans oublier MBDA, KNDS et Airbus Defence & Space, exemples de la coopération européenne dans la défense.
L’enjeu pour l’UE est donc de se réarmer avec des produits européens élaborés sur son sol. Si l’EDIP (European Defence Industry Program) a déjà établi des objectifs chiffrés tandis que le mécanisme EDIRPA (European Defence Industry Reinforcement through Common Procurement Act) incite à l’achat conjoint de produits européens, il est nécessaire d’instaurer une préférence européenne comme le recommande Mario Draghi dans son rapport sur la compétitivité de l’UE. L’ancien gouverneur de la BCE clame aussi la nécessité de créer des géants par secteur avec une division du travail et une spécialisation. Par ailleurs, une modification de la politique de prêt de la BEI doit être envisagée pour aider financièrement à renforcer le processus de production. Enfin, le sujet de la dette commune aussi appelé eurobonds doit être remis sur la table en raison de l’évolution sans précédent du contexte géopolitique européen. Plus récemment, c’est la Turquie qui se positionne en tant qu’acteur essentiel de la sécurité européenne. Son industrie d’armement a vu émerger des acteurs reconnus mondialement tels que Aselsan, Baykar ou encore Havelsan. Son expertise dans les drones et sa capacité de production pourraient intéresser l’UE, non sans contrepartie.
Un coup de force de la Commission ?
Si le plan ReArm marque une avancée significative du rôle de Bruxelles dans la défense, certains Etats craignent une prise de pouvoir de l’UE dans la défense. Cette crainte est alimentée par des précédents où Ursula von der Leyen a centralisé les décisions au niveau européen, notamment lors de l’achat de vaccins pendant la pandémie de Covid-19 et dans la coordination des sanctions contre la Russie au début de la guerre en Ukraine, ce qui lui a valu le surnom de « Reine Ursula ». Les dirigeants européens souhaitent éviter une répétition de cette centralisation à l’occasion de l’augmentation des budgets de défense. En effet, la défense reste au cœur de la souveraineté des Etats membres d’autant plus que l’article 346 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’UE) permet aux États membres de déroger aux règles du marché intérieur et de la concurrence pour protéger leurs intérêts essentiels en matière de sécurité. Il leur permet notamment de ne pas divulguer certaines informations sensibles et de restreindre l’application des règles européennes sur les marchés publics pour les équipements militaires. Cependant, ces dérogations doivent rester limitées aux strictes nécessités de la défense nationale et ne doivent pas être utilisées abusivement pour contourner les règles de l’UE.
Au Parlement européen, les eurodéputés craignent un recours à l’article 122 pour l’approbation du plan ReArm. L’article 122 du TFUE permet à l’UE de prendre des mesures de solidarité en cas de graves difficultés économiques, notamment en matière d’approvisionnement énergétique. Il autorise aussi l’octroi d’une assistance financière aux États membres touchés par des catastrophes naturelles ou d’ événements exceptionnels échappant à leur contrôle. Surtout, il permet au Conseil, sur proposition de la Commission de décider « sans préjudice des autres procédures prévues par les traités ».
Suivre les commentaires :
|
