Relance européenne : Merci Karlsruhe ?

, par Théo Boucart

Relance européenne : Merci Karlsruhe ?
La Commission européenne. Crédit Pixabay

La décision du Tribunal constitutionnel allemand remettant en cause la primauté du droit européen semble avoir provoqué une prise de conscience salutaire dans les cercles politiques allemands, ce qui a rendu possible la mutualisation partielle des dettes et les transferts budgétaires européens contenus dans le plan de relance de la Commission.

Ces deux dernières semaines pourraient s’avérer historique pour l’Union européenne et décisives pour sa survie en temps de crise de coronavirus. En effet, le 18 mai, Emmanuel Macron et Angela Merkel annonçaient une initiative commune pour relancer l’économie européenne, dont un emprunt communautaire de 500 milliards d’euros, redistribués ensuite aux régions les plus touchées sous forme de dotations budgétaires.

Le 27 mai, la Commission européenne reprenait largement la philosophie de la proposition franco-allemande en intégrant dans son plan de 750 milliards d’euros la mutualisation partielle de la dette au niveau européen et le principe de transferts budgétaires qui n’obéissent pas à la règle classique du « juste retour ». Ces deux innovations politiques majeures ont longtemps été jugées impossible à cause du « Nein » de l’Allemagne, notamment lors de la crise de la zone euro tout au long de la décennie précédente. Alors comment la Chancellerie fédérale a-t-elle pu faire volte-face aussi rapidement sur deux sujets aussi centraux pour construire une véritable union solidaire ?

Une partie de la réponse pourrait bien être à chercher du côté de Karlsruhe, ville rhénane tout à fait quelconque située à une vingtaine de kilomètres seulement de la frontière française.

Tremblement de terre

Retour en arrière. Mardi 5 mai, le Tribunal constitutionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht) situé à Karlsruhe a rendu un arrêt concernant la politique d’assouplissement quantitatif pratiquée à partir de 2015 par la Banque centrale européenne, à l’époque dirigée par l’Italien Mario Draghi. Les Juges ont alors demandé à la BCE de justifier la légalité de ce programme, faute de quoi ils menaceraient de le déclarer contraire à la Loi fondamentale allemande. Le problème, c’est que l’arrêt du BVG va à l’encontre de la décision rendue en décembre 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui justifiait le programme de la BCE. Les Juges constitutionnels allemands avaient alors qualifié la décision de la CJUE « d’incompréhensible » et l’ont explicitement désavouée lors de leur jugement.

Une remise en cause sans équivoque du principe de « primauté du droit communautaire établi depuis le début des années 1960 avec l’Arrêt Costa contre Enel, et donc une boîte de Pandore potentielle dévastatrice pour la cohésion de l’Union susceptible de s’ouvrir. La BCE comme la CJUE n’ont d’ailleurs pas manqué de le rappeler, cette dernière ayant publié un communiqué concis et sans équivoque pour rappeler ses prérogatives.

Lucidité d’Angela Merkel

Les autorités allemandes l’ont bien compris. Celles-ci ont réagi à l’annonce de Karlsruhe avec un long silence embarrassé. Il faut dire que le gouvernement allemand faisait face à un dilemme cornélien, comme le rappelait Jean Quatremer dans son blog : « donner raison à Karlsruhe, c’est condamner l’euro et l’Union ; s’opposer à la Cour, c’est déclencher une crise institutionnelle et politique. Les conséquences étant, dans les deux cas, totalement imprévisibles ».

Le 14 mai dernier, la Chancelière Angela Merkel s’est finalement rangée du côté de l’Union devant le Bundestag, la chambre basse du Parlement, en appelant à une intégration renforcée de la zone euro. Réagissant à l’arrêt du BVG, elle a déclaré qu’il fallait désormais « agir en responsabilité et de manière intelligente pour que l’euro puisse survivre », tout en incitant « à faire davantage en matière de politique économique, afin de faire progresser l’intégration ». Pour Quatremer, c’était la seule chose à faire : soutenir l’Union de transferts budgétaires, afin de soulager la BCE qui n’aura plus à intervenir sur le marché de la dette souveraine.

Un discours qui préfigurait ainsi les annonces de l’initiative franco-allemande du 18 mai, puis de la stratégie de relance Next Generation EU de la Commission neuf jours plus tard. Acculée par sa Cour constitutionnelle, l’Allemagne a finalement opéré un virage à 180 degrés pour officiellement préconiser ce qu’elle a toujours abhorré jusqu’à présent : financer à fonds perdus la solidarité à l’égard des pays du Sud, gravement ébranlés par la crise de la COVID-19, afin d’éviter la disparition de l’UE.

Il est toutefois étonnant que ce retournement de situation presque inespéré ait eu lieu si rapidement. Un début de prise de conscience dès les sommets européens laborieux (et assez acrimonieux entre les partenaires européens) de mars et d’avril a peut-être contribué à faire bouger les lignes en cette fin du mois de mai. L’arrêt du BVG n’aurait été alors que l’étincelle décisive.

Attention, la partie n’est pas gagnée pour autant. Le vote des différentes mesures nécessite l’accord de l’ensemble des États membres de l’UE (puisqu’elles sont adossées au budget européen).

Certains pays, en particulier l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède (surnommés les « quatre frugaux »), se montrent très réticents face à cette approche de subventions et préconisent plutôt des prêts classiques pour favoriser les investissements. Les négociations s’annoncent très ardues, la prochaine étape (mais certainement pas la seule) étant le Conseil européen des 18 et 19 juin.

En outre, les mécanismes de solidarité précités ne seraient actifs que le temps de la crise. Il n’est donc pas question pour le moment, comme l’a rappelé la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen, de créer un « trésor européen ». Une manière probable de rassurer les partenaires européens les plus inquiets. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’une union économique et monétaire ne peut pas survivre sans une solidarité budgétaire permanente.

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