Au soir du 9 juin 2024, Lena Schilling, activiste climatique en Autriche, s’apprête à vivre un véritable changement dans son engagement militant. A seulement 24 ans, celle qui est décrite par le Monde comme l’activiste “la plus connue” de son pays vient d’être élue députée européenne, et s’apprête à faire ses premiers pas dans un Parlement européen où l’âge moyen est de 50 ans.
Après avoir mené des manifestations dans le cadre du mouvement Fridays for Future, et s’être fait connaître lors de l’occupation d’un chantier menaçant l’environnement -celui d’un tunnel près de Vienne - elle est nommée tête de liste du parti des Verts autrichiens : Les Verts - L’Alternative verte (parti politique écologiste positionné au centre gauche). Depuis sa candidature, la jeune politique a fait le tour des médias, de Libération en France jusqu’au New York Times de l’autre côté de l’Atlantique.
Nous la retrouvons dans un bar du Parlement destiné aux eurodéputés, accompagnée de Stefanie Evita Wehlend, sa “spokesperson” (“porte-parole”).
Vous êtes entrée en politique récemment, comment en êtes-vous arrivée là ?
Je n’avais jamais envisagé de devenir politique et je n’en avais pas l’envie, mais je le suis devenue car je veux défendre la justice sociale qui n’est pas donnée. En tant qu’activiste, j’avais épuisé les moyens dont je disposais. Quand on est petits, on nous enseigne des valeurs : respecter les autres, respecter l’environnement… Mais quand on grandit, on se rend compte que rien de cela n’est mis en pratique. Je me bats pour réparer les injustices. L’Europe me semble être le bon endroit, j’ai de la chance d’être ici et j’en suis reconnaissante.
Vous avez été engagée très jeune dans l’activisme climatique. Aujourd’hui, en tant qu’eurodéputée, comment percevez-vous l’activisme écologique ?
Il est nécessaire. La politique, ce n’est pas que le Parlement, c’est aussi dans les rues. Pouvoir faire de l’activisme est un privilège et quand on l’a, on doit en profiter. Sans cela, nous n’avons pas de droits, nos ancêtres se sont battus pour qu’on en ait, et il faut continuer pour en avoir.
Dans une interview accordée à la radio autrichienne fm4 le 11 novembre 2022, vous faites la distinction entre l’activisme radical, c’est-à-dire occuper de nouvelles infrastructures qui sont nocives pour le climat, de l’activisme extrême, comme détruire quelque chose. Dans un article du Monde datant du 28 janvier 2024, il est écrit que vous critiquiez les méthodes du mouvement écologiste Dernière Génération, considérant que les blocages de voitures ou les jets de peinture contre des œuvres d’art étaient « contre-productifs ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour commencer, jeter de la peinture sur les œuvres d’art est inadmissible. Nous devons unir les combats sociaux et environnementaux. Nous devons faire face à la crise climatique avec tout le monde. Personne ne sera avec nous si nous bloquons les gens dans leur quotidien. Il faut leur faciliter la vie et non les ennuyer.
Toujours dans cet article du Monde vous affirmiez : “Les activistes de Fridays for Future n’iront jamais chez les Verts, [car] nous ne leur faisons plus confiance pour tenir leurs promesses”. Avez-vous changé d’avis ?
Oui, j’ai changé d’avis. Je ne viens pas d’une famille de Verts, et j’avais une image du parti qui ne me correspondait pas, mais ça a changé. Après avoir protesté pendant un an contre un même chantier, nous étions en hiver, la nouvelle ministre de l’Environnement, Leonore Gewessler, qui faisait partie des Verts, a décidé d’aller dans notre sens en bloquant le projet. C’est un combat que je n’oublierai jamais et sans la décision de cette ministre, je ne serais pas ici. Elle a changé la vision que j’avais du parti.
Vous voyez votre rôle comme celui de changer le parti des Verts ?
Le changement dépend plutôt du contexte national. Ils [les Verts] font du bon boulot en ce moment (sourit). Je suis aussi en accord avec tous les partis progressistes, le plus important, c’est qu’il y ait de jeunes gens. Cela ne veut pas dire que je changerais aisément de parti, je suis très attachée au parti des Verts, mais ça ne veut pas dire non plus que j’encourage tout le monde à rejoindre ce parti, c’est un choix personnel que chacun a à faire. Mais les Verts sont cools (rires).
Au cours de votre mandat, quels sont les sujets qui sont les plus importants pour vous ? Quels dossiers portez-vous activement ?
Défendre tous les sujets qui concernent la protection du climat et de l’environnement, donc défendre le Green Deal [ndlr : le Pacte Vert, ensemble d’initiatives visant à rendre l’Europe climatiquement neutre], mais aussi la diversité. Pour changer la politique, il faut changer les politiques. La moyenne d’âge est de 50 ans et la majorité sont des hommes. J’aimerais voir plus de jeunes et de femmes qui apporteraient de nouvelles idées.
La moyenne d’âge des eurodéputés est d’environ 50 ans, et vous êtes la plus jeune, 53 ans vous sépare de l’euro-député le plus âgé. Est-ce que vous ressentez un décalage avec vos collègues ?
L’âge ne crée pas trop de décalage, ce sont surtout les lignes politiques qui en sont l’origine. Je ressens plus un décalage avec une personne d’extrême droite, de mon âge, qu’avec Leoluca Orlando, le député le plus vieux de mon parti et de l’hémicycle [77 ans]. Malgré tout, il faut plus de jeunes dans les partis politiques.
Vous avez fait, l’année dernière, l’objet de plusieurs polémiques. [Selon un article de Libération du 16 mai 2024, Lena Schilling aurait été l’objet d’accusations, rendues publiques, pour avoir colporté des rumeurs dans les cercles politiques viennois et laissé entendre avoir été harcelée par un député et un journaliste de télévison]. Comment avez-vous géré cela en tant que jeune femme politique ?
C’est une situation étrange quand votre vie personnelle rencontre les médias. Dans cette situation, je me suis demandée “Pourquoi est-ce que je suis là aujourd’hui ?” Pour l’environnement et la justice sociale. C’est la question qu’il faut se poser quand ça va mal. La politique, c’est à propos de ce que tu as le pouvoir de changer, pas à propos de ce que tu ressens.
Avez-vous un commentaire à faire sur la situation politique dans votre pays ? Le parti FPÖ [parti d’extrême droite] était arrivé en tête mais ne fait pas partie du gouvernement basé sur la coalition entre les conservateurs, les sociaux-démocrates et les libéraux.
(soupir) Nous sommes un des pays où l’extrême droite est majoritaire et elle a failli être représentée. Les conservateurs aident toujours l’extrême droite. Il faut être vigilant, en Hongrie, c’est Orbàn, en Italie, c’est Meloni et ça a failli toucher notre pays. Au Parlement européen, ils représentent presque le tiers de l’hémicycle. Et nous, les partis de gauche, nous ne sommes pas non plus majoritaires. C’est un combat difficile où il faut négocier, mais pas avec l’extrême-droite, les Verts ne travaillent pas avec eux. Ils ne sont pas là pour représenter les intérêts des électeurs, mais pour représenter ceux des plus riches.
On peut lire dans un article de Libération paru le 16 mai 2024 que vous êtes également professeure de danse…
J’ai besoin de sport, pour avoir l’esprit clair, et je pense qu’on en a tous besoin. J’en ai fait pendant des années, mais je n’ai plus le temps en ce moment. La politique et la danse se ressemblent beaucoup. Il y a des exercices techniques pour les deux, et une forme de liberté d’expression. Être au Parlement européen me donne l’occasion de faire ressentir aux autres mes idées, comme lorsque je danse.
Quelle a été votre expérience la plus insolite depuis votre arrivée au Parlement ?
J’ai deux chats et je les ai emmenés avec moi à Bruxelles, depuis Vienne. J’ai fait le trajet en train et il y a eu une panne à Munich. Du coup, j’ai dû changer plusieurs fois de train avec mes animaux dans les bras, j’avais l’air d’une « crazy cat lady » (rires).
(Stefanie lui souffle quelque chose) Il y a aussi cette fois où j’ai été invitée à discuter avec un ambassadeur grec. Je ne savais pas pourquoi il voulait me voir. Une fois arrivée devant lui, il m’a posé la question suivante : “Mes enfants ne sont pas encore en politique, comment est-ce que je pourrais les convaincre de se lancer ?”.
Avec qui échangeriez-vous de rôle pour une journée ?
Sans hésitation, Manfred Weber [chef du parti PPE, Groupe du Parti Populaire Européen, un des huit partis politiques européens, positionné du centre droit à la droite]. Comme ça, je ferai en sorte que le PPE soit en accord avec les Verts, sourit-elle.
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