Pour observer le bon déroulement de cette élection, une mission internationale a été déployée par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Jules Bigot, membre des Jeunes Européens et fin connaisseur de la Moldavie, faisait partie de cette mission d’observation électorale. À son retour, Le Taurillon a recueilli son témoignage.
Le Taurillon : Bonjour Jules, le Parti action et solidarité (PAS) a obtenu plus de 50 % des suffrages dimanche 28 septembre, loin devant le camp prorusse incarné notamment par le Bloc électoral « Patriotique » (BEP) qui a récolté environ 25% des voix ; et ce malgré, les nombreuses tentatives d’ingérences russes pour faire basculer le résultat des urnes. Quelle a été ta réaction à l’annonce des résultats ?
Jules Bigot : Je pense que le premier sentiment qui m’a traversé, lorsque les premiers résultats consolidés ont commencé à nous parvenir, fut la surprise. La surprise de découvrir que, bureau de vote après bureau de vote, l’écart entre le PAS et le bloc « Patriotique » continuait à se creuser jusqu’à l’obtention d’une majorité par le parti pro-européen.
Bien qu’en tant qu’observateur, nous ne nous intéressons pas au résultat du scrutin, il était surprenant de voir advenir cette victoire du PAS que quasiment aucun analyste n’avait vu venir. La démocratie moldave est, en effet, la cible, depuis plusieurs années, d’attaques hybrides de la part de la Russie qui visaient à la détourner de son chemin vers l’intégration européenne. Ce scrutin ne représentait, en cela, pas une exception. Les tentatives d’ingérence se sont multipliées et diversifiées : achat de voix, campagnes de désinformation massives, ou encore l’intimidation des électeurs. Dans ce contexte, et étant donné la taille du pays, il était surprenant de voir, pour la troisième fois en moins d’un an [après le référendum constitutionnel sur l’intégration européenne et l’élection présidentielle de 2024], la Moldavie parvenir à déjouer avec autant de brio ces ingérences russes.
Le Taurillon : Tu es arrivé à Chișinău quelques jours plus tôt pour participer à la mission d’observation électorale des élections législatives en Moldavie pour le compte de l’OSCE, en quoi consistait ta mission ?
Jules Bigot : Les missions d’observation de l’OSCE sont une machine très bien rodée, qui dispose de l’expérience accumulée lors de plusieurs centaines d’observations, menées dans plusieurs dizaines de pays. Elles se basent donc sur une méthodologie précise, qui permet d’éviter certains biais qui nuiraient à l’objectivité des observations menées.
Les observateurs arrivent donc quelques jours avant le scrutin et reçoivent, dans un premier temps, un briefing approfondi sur la situation politique dans le pays, sur le cadre législatif qui encadre les élections, sur la méthodologie qui guidera leur observation, et enfin sur les aspects logistiques de la mission. L’objectif est de donner à tous ces observateurs issus de différents États participants à l’OSCE, les clés de compréhension de l’élection et de leur mission.
Les jours précédant le scrutin sont consacrés à la familiarisation des observateurs avec la région dans laquelle ils seront déployés. J’ai pour ma part été affecté à la région de Strășeni, au nord de la capitale Chișinău. C’est par ailleurs l’occasion de s’intéresser plus précisément au contexte politique de la région concernée et de se familiariser avec les bureaux de vote que l’on pourrait être amené à observer. C’est aussi un moment important pour apprendre à connaître l’observateur avec qui l’on est déployé, mais également le chauffeur et l’interprète qui nous accompagneront tout au long de notre mission.
Le Taurillon : Quelle était l’ambiance à quelques jours du scrutin ?
Jules Bigot : Ce qui était particulièrement intéressant pour moi, lors de ce scrutin, était le contraste saisissant entre la différence d’atmosphère de la campagne électorale, et celle de Chișinău et plus largement dans les villages où nous étions déployés. Si la campagne en ligne et dans les médias peut être qualifiée de violente et dans une certaine mesure de déloyale, l’atmosphère dans les rues, elle, était très calme. À l’exception de quelques tentes de partis politiques dressées sur les grandes artères de la capitale, la campagne n’était pas si visible que ça. Le ciel bleu et la température douce de cette semaine-là ont sans doute aidé à rendre l’atmosphère plus agréable et respirable.
À l’inverse, j’ai senti les gens avec qui j’ai pu m’entretenir en amont du scrutin assez inquiets. Certains craignaient de voir la perspective d’un avenir européen pour la Moldavie s’envoler en cas de victoire des partis pro-russes, d’autres redoutaient que le scrutin et son issue ne soient émaillés de fraudes ou de violences. Je pense que cela dit beaucoup de la façon dont était perçu ce scrutin, tant en Moldavie qu’à l’étranger, comme un scrutin potentiellement décisif pour la Moldavie
Le Taurillon : Comment s’est déroulée ta journée le jour du vote [dimanche 28 septembre] ? As-tu constaté des irrégularités ?
Jules Bigot : Le jour du vote (“e-day” dans le jargon des observations) est une journée très longue et éprouvante, mais aussi passionnante. On se lève aux aurores pour assister à l’ouverture d’un bureau de vote, puis on sillonne, pendant toute la journée, les bureaux de la région à laquelle on a été affecté, et compilons nos observations et nos remarques sur le respect des procédures électorales dans chacun d’entre eux. C’était très intéressant d’être présent dans des bureaux de vote de zones rurales où cette journée s’apparentait réellement à une fête. Dans certains bureaux de vote, les murs et le plancher étaient décorés de tapisseries traditionnelles, dans d’autres, les membres du bureau étaient vêtus des tenues traditionnelles, tandis que certains diffusaient de la musique, parfois traditionnelle, parfois populaire. Ces petits éléments donnaient au scrutin une atmosphère vraiment spéciale, chaleureuse.
Ensuite, comme le détaillent les conclusions préliminaires de la mission de l’OSCE pour ces élections, nous avons été agréablement surpris par le professionnalisme avec lequel le processus électoral s’est déroulé. Les membres des bureaux de vote étaient très bien formés, un travail important avait été mené en amont par la police pour lutter contre la fraude électorale, et la Commission électorale centrale avait tiré les leçons des scrutins précédents et des ingérences russes, pour ne laisser que très peu de place aux irrégularités.
Le Taurillon : Selon les estimations à ce stade, le parti de la présidente Maia Sandu, le PAS, pourrait obtenir 55 sièges sur 101 au Parlement moldave, soit, malgré la victoire, un relatif affaiblissement de sa majorité qui comptait 63 députés en 2021. L’opposition pro-russe menée par l’ancien président Igor Dodon a d’ailleurs renoncé à reconnaître sa défaite et a appelé à manifester devant le parlement moldave. La Moldavie est-elle garantie de poursuivre son cheminement européen selon toi ?
Jules Bigot : En matière d’accélération du processus d’intégration européenne, la tâche sera assurément plus compliquée qu’elle ne le fut lors du précédent mandat du PAS. D’abord parce que contrairement à l’élection législative de 2021 où le PAS fut élu sur une promesse de lutte contre la corruption systémique qui gangrénait alors le pays, en 2025, celui-ci est élu sur la promesse de la finalisation de l’intégration européenne de la Moldavie à horizon 2028. Le parti sera donc attendu au tournant et devra produire des résultats. Ensuite, il me semble important d’insister sur le fait qu’heureusement ou malheureusement, la valse de l’intégration européenne se danse à deux. Quand bien même la Moldavie parviendrait, grâce à sa majorité pro-européenne, à mettre en œuvre toutes les réformes nécessaires en temps voulu, son progrès dépend également de la volonté et de l’unité de ses partenaires européens. Or, ne serait-ce que pour l’ouverture des premiers chapitres de négociation (étape fondamentale dans le processus d’intégration européenne), on voit que la Moldavie est une victime collatérale de l’opposition hongroise à l’intégration européenne d’Ukraine (qui est pour l’instant couplée, dans ce processus, à la Moldavie). La majorité pro-européenne à Chișinău ne fait pas tout, Bruxelles a aussi du pain sur la planche.
Aussi, cette victoire du camp pro-européen dans les urnes en dépit des ingérences russes ne garantit en rien que ces dernières cesseront ; au contraire. Il y a en effet fort à parier que l’accélération du rapprochement de la Moldavie avec l’Union européenne, consécutif à cette victoire, conduira à une intensification des attaques hybrides russes. Les autorités moldaves, tout comme leurs partenaires européens, devront garder un degré important de vigilance.
Mais il faut néanmoins reconnaître que bien que cette victoire ne soit pas une garantie de l’intégration européenne, elle permet assurément à la Moldavie d’aborder avec plus de sérénité ce processus d’adhésion à l’Union européenne sur lequel elle est engagée.
Le Taurillon : enfin, que retiendras-tu de ton séjour à Chișinău ?
Jules Bigot : Si je devais retenir une chose de ce séjour à Chișinău, c’est que la Moldavie nous a une nouvelle fois fait la démonstration que la démocratie est bel et bien vivante, qu’elle est encore forte, et que n’en déplaise au Kremlin, il n’est pas si facile que cela d’acheter la volonté d’un peuple. En 2024, lors du référendum et de l’élection présidentielle, un slogan était apparu sur les réseaux sociaux moldaves qui, il me semble, résume bien la situation. Il disait : « Nu pot ei fura cât putem noi vota », autrement dit « Ils ne peuvent pas frauder autant que nous pouvons voter. » Nos démocraties, aussi vieilles soient-elles, ont beaucoup à apprendre de la démocratie moldave et de la façon dont elle a géré, avec ses moyens, ces ingérences russes massives.

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