Résultats des élections législatives en République tchèque. Ondřej Kolář : “Andrej Babiš est un homme d’affaires populiste à la Trump”

, par Paul Gelabert Y Nuez, Quentin Fady

Résultats des élections législatives en République tchèque. Ondřej Kolář : “Andrej Babiš est un homme d'affaires populiste à la Trump”
Ondřej Kolář lors de la session plénière d’octobre au Parlement européen de Strasbourg (07/10/2025) © European Union 2025 - Source : EP

Les élections législatives en République tchèque, les 3 et 4 octobre 2025, ont été remportées par le parti populiste ANO 2011, dirigé par l’ancien Premier ministre Andrej Babiš, avec environ 34,5 % des voix. Cette victoire pourrait entraîner des changements significatifs dans la politique étrangère de la République tchèque, notamment une approche plus critique de l’Union européenne et un éventuel ajustement du soutien militaire et politique apporté à l’Ukraine pour se défendre face à l’agression russe.

Dans ce contexte, le député européen Ondřej Kolář, membre du parti de centre-droit tchèque TOP 09 (“Tradition, responsabilité, prospérité”) appartenant groupe du Parti Populaire Européen (PPE), nous a accordé une interview pour analyser les conséquences de ce scrutin au niveau national et international.

Le Taurillon : Le paysage politique en Tchéquie n’est pas forcément bien connu de la majorité des Français. Comment le présenteriez-vous ?

Ondřej Kolář : Nous avons un grand nombre de partis politiques, ce qui rend le système assez fragmenté. Ce n’est pas comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, où deux partis principaux s’affrontent. Certains partis penchent plutôt à droite et sont conservateurs, d’autres sont plus libéraux ou de gauche.

Au Parlement européen, cette diversité se reflète dans la répartition des eurodéputés tchèques entre plusieurs groupes politiques. Le mouvement ANO 2011, qui a remporté les dernières élections européennes, est membre du groupe Patriotes pour l’Europe (PfE), une alliance de partis nationaux-conservateurs. Avec 8 des 20 députés européens tchèques, ils forment le groupe majoritaire de la délégation tchèque.

La coalition au pouvoir sortante Spolu, réunissant des partis de droite et de centre-droit, est éparpillée dans différents groupes européens : TOP 09 siège au Parti populaire européen (PPE) et compte 4 eurodéputés, tandis que l’ODS est affiliée aux Conservateurs et réformistes européens (CRE) et compte 3 eurodéputés. Un autre parti, à base plus locale, l’Union chrétienne démocrate (KDU-ČSL) est également rattaché au PPE. Le SPD, parti d’extrême droite et nationaliste, est membre de l’Europe des Nations souveraines (ENS), seul un député tchèque appartient à ce parti, Ivan David. Enfin, la délégation tchèque compte aussi des députés Non-Inscrits, dont Ondřej Dostal, vice-président du mouvement politique “Stačilo !” (“Ça suffit !”), une formation politique populiste et souverainiste et Kateřina Konečná, une députée communiste membre du Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM).

Le Taurillon : Quelle est votre première réaction à la victoire d’Andrej Babiš et du mouvement ANO, qui arrivent en tête avec 34,5 % des voix et 80 sièges sur 200 ? Les sondages les annonçaient à environ 31 % : vous attendiez-vous à une avance aussi nette ?

Ondřej Kolář : Je m’attendais vraiment à ce que Babiš gagne, pas seulement à cause des sondages, mais aussi parce que le gouvernement sortant a commis beaucoup d’erreurs. Pendant quatre ans, il n’a pas su expliquer clairement ses décisions et ses réformes aux citoyens.

Quand on n’explique pas ses choix, la réaction du public est forcément négative.

Babiš est aussi très habile pour critiquer et bloquer le processus politique. Par exemple, la Chambre des députés a été paralysée pendant des années, et peu de lois importantes ont été adoptées. Cela lui a permis d’accuser le gouvernement sortant d’incapacité, même lorsqu’il avait la majorité.

Le Taurillon : Sans majorité absolue, quelle stratégie Andrej Babiš pourrait-il adopter pour former un gouvernement ?

Ondřej Kolář : Son rêve serait de former un gouvernement à parti unique, ce qui est évidemment impossible pour l’instant, car il n’a pas la majorité. Sur 200 sièges, il lui faudrait soit un partenaire de coalition, soit l’appui d’un autre parti politique à la Chambre des députés qui soutiendrait le gouvernement sans y participer.

Il a actuellement deux partenaires potentiels : le parti « Motoriste » [« Les automobilistes pour eux-mêmes », « Motoristé sobě » en tchèque], et le SPD. Deux partis de droite : l’un est extrémiste [SPD], et l’autre... nous savons pour l’instant seulement avec certitude qu’il porte un nom "amusant" et que ses membres aiment se pavaner de grandes déclarations et d’une théâtralisation qui semble simpliste et un peu trop voyant.

Reste à voir s’il arrivera à former un gouvernement comme il le souhaite ou non.

Le public n’a pas reçu les explications du gouvernement, mais a surtout entendu les critiques de Babiš et du SPD. Et, comme on dit, si l’on répète un mensonge assez souvent, il finit par être cru : c’est ce qui s’est passé en République tchèque.

Le Taurillon : Comment Andrej Babiš compte-t-il se positionner vis-à-vis de l’Union européenne ?

Ondřej Kolář : Babiš n’est pas opposé à l’Union européenne, il n’a aucun intérêt à en sortir, c’est un homme d’affaires [à la tête d’un empire agro-alimentaire] et ses intérêts dépendent largement du marché européen. En revanche, il pourrait adopter une posture très critique envers Bruxelles en dénonçant les politiques européennes, notamment celles liées au climat, qu’il juge néfastes pour le pouvoir d’achat.

Comme Viktor Orbán ou Robert Fico, il tient un discours hostile à l’UE tout en soutenant, dans les faits, certaines politiques communes lorsque cela sert ses intérêts. C’est une attitude populiste mais pragmatique : beaucoup de critiques, sans remettre en cause l’appartenance de la Tchéquie à l’Union. Son parti, membre du groupe Patriotes pour l’Europe (PfE), dispose de très peu d’influence à Bruxelles.

Concrètement, il ne peut pas peser sur les décisions européennes : sa seule arme reste donc la critique et rien que la critique, à moins de changer de groupe politique au Parlement européen.

Le Taurillon : Comment pensez-vous que la population tchèque voit l’Union européenne ? Porte-t-elle un regard plutôt positif ou se tourne-t-elle au contraire vers l’euroscepticisme ?

Ondřej Kolář : Je pense que c’est très difficile à déterminer. Mais la République tchèque et sa population sont perçues comme eurosceptiques. À mon avis, c’est parce que depuis notre adhésion en 2004, aucun gouvernement n’a été ouvertement pro-européen en expliquant les bénéfices pour notre pays d’être membre de l’Union. Trop souvent, l’Union a été utilisée comme excuse à nos échecs. Lorsque l’on échoue, c’est la faute de Bruxelles, mais lorsque l’on réussit, c’est uniquement grâce à nous-mêmes, nous sommes les meilleurs. Et pour moi, c’est une énorme erreur.

Mais implicitement, la majorité des Tchèques apprécient faire partie de l’Union européenne car ils profitent de nombreux avantages que nous n’avions pas par le passé : se déplacer librement, étudier à l’étranger… Le marché commun est quelque chose que nous apprécions beaucoup. Il faut donc maintenant que les Tchèques se rendent compte que tous ces avantages sont possibles grâce à l’UE. Et pour cela, c’est bien simple : il nous faut un gouvernement pro-européen qui explique effectivement aux gens tous ces avantages. Il nous faut des politiciens qui comprennent que la critique, et rien que la critique, n’est pas la solution.

Le Taurillon : Pensez-vous que ce résultat pourrait changer la position de la République tchèque sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie ?

Ondřej Kolář : C’est une question complexe. Tout d’abord, cela dépendra de qui fera partie du gouvernement. De mon point de vue, une des principales erreurs qui est faite est de présenter Babiš comme un anti-occidental, un pro-Russe. Il ne l’est pas du tout. C’est un homme d’affaires qui agit en fonction de ses intérêts. Et actuellement, tous ses intérêts sont en Europe et en Occident, pas en Russie, en Chine ou en Iran.

Il écoute ce que l’opinion publique pense du conflit en Ukraine, pour dire ce qu’elle a envie d’entendre. Andrej Babiš est comme Donald Trump : à base de grands gestes, tout sera beau, tout sera grand. Mais je suis persuadé qu’il est conscient qu’il a besoin de l’Union européenne, que ses entreprises en dépendent. S’il entre en conflit avec l’Union européenne de quelque manière que ce soit, cela pourrait nuire à son business. Il est parfaitement capable de faire ce calcul dans sa tête. Il apportera sûrement quelques changements quant à l’approche de la République tchèque dans le cas ukrainien, mais rien de majeur tant que ses intérêts sont en Europe.

Il essaie de promouvoir une approche plus pragmatique de la situation : il faut négocier avec la Russie. Mais il ne mentionne jamais que la Russie n’a aucun intérêt à négocier avec la République tchèque, qu’elle désigne comme son deuxième ennemi sur sa liste. L’approche de Babiš est naïve : croire que la Tchéquie et la Russie vont s’asseoir à la même table est naïf. En résumé, tout ce qu’il fait et fera dépend de ses intérêts économiques. Pour le moment, ses intérêts sont en Europe, donc il n’y aura pas de changement majeur.

Le Taurillon : Et personnellement, qu’en pensez-vous ? Jusqu’à quel point l’Union européenne doit-elle soutenir l’Ukraine dans son effort de guerre ?

Ondřej Kolář : Comme je l’ai déjà défendu à plusieurs reprises, il faut absolument accorder à l’Ukraine l’adhésion à l’Union européenne dans le futur. Elle doit faire partie de la famille européenne et il ne faut pas la considérer comme un candidat standard. Même si cela peut paraître cliché, l’Ukraine se bat actuellement aussi pour notre sécurité, celle de tout le continent. Elle n’est pas un candidat ordinaire et se trouve dans une situation totalement différente. Il faut lui accorder un statut spécial, car elle le mérite.

Donc, investir en faveur de l’Ukraine ? Oui, c’est une nécessité. Fournir des armes à l’Ukraine ? Oui, si nous en avons et que nous le pouvons. Et si nous pouvons nous permettre d’élaborer ou de créer un statut de candidat spécial pour l’Ukraine, qui accélère son rapprochement avec l’Union européenne et sa candidature, alors je serais à 100 % pour. Il est de notre devoir d’aider l’Ukraine autant que possible à atteindre les standards nécessaires à son adhésion à l’Union le plus rapidement possible.

Le Taurillon : Quelles seront les priorités à venir de votre parti politique en République tchèque ?

Ondřej Kolář : Au-delà d’un agenda politique concret, mon parti doit trouver une façon plus pragmatique de gouverner. Il doit s’éloigner de l’idéalisme et apprendre à mieux communiquer avec la population. L’ère où l’on pouvait dire “laissez-moi, je gouverne” est révolue. Les gens veulent que les politiques communiquent avec eux.

Nous devons réapprendre et repenser comment être transparents, comment expliquer les enjeux liés à l’appartenance à l’Union européenne. Dans l’ancienne coalition gouvernante, nous étions un des plus petits partis politiques. Nous avions donc choisi de laisser les autres nous dicter ce que nous devions faire et les chemins que nous devions emprunter.

Nous devons adopter une nouvelle manière, plus proactive, de gouverner.

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