Dans son discours à la conférence du parti Conservateur, La Première Ministre Theresa May a annoncé quelques principes qui guideront la ligne britannique dans ses négociations de sortie de l’Union Européenne. Le Brexit risque fortement d’être « dur » et d’entrainer la fin de la participation britannique au Marché Unique, May écartant ainsi la possibilité pour le Royaume Uni de négocier un partenariat à la norvégienne ou à la suisse. En effet, la politique politique suivie par les dirigeants britanniques actuels va sans doute favoriser une rupture nette avec l’Union Européenne.
A l’intérieur : virage à droite vers un "hard Brexit"
Theresa May est sous la pression des éléments Europhobes du parti Conservateur et de l’électorat. Les partisans du Leave s’inquiétaient que le pays ne s’engage dans un Brexit ne permettant pas au Royaume-Uni de « reprendre le contrôle » de sa souveraineté. Si cela est de toute façon illusoire dans le monde d’aujourd’hui, ce slogan a été d’une importance majeure dans la campagne du Leave. Revenir sur encore une promesse – à l’instar des £350,000,000 par semaine soi-disant versés par le Royaume-Uni qui devaient aller au service national de santé au lieu de l’Union Européenne mais qui n’ont en fait jamais existé – serait couteux politiquement pour le parti Conservateur et tous ceux associés à la campagne du Leave.
Pour calmer ces peurs et anticiper d’autres, notamment venant des marchés, Theresa May a fait trois grandes annonces dans son discours du 2 octobre : l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne sera déclenché au plus tard en mars 2017. De quoi gagner du temps pour que les ministères concernés recrutent des négociateurs et commencent à se préparer pour ce qui s’annonce être la série d’accords la plus compliquée que le pays n’ait eût à négocier. Un projet de loi de « Grande abrogation » libèrera le pays du « boulet » des régulations européennes, et les juridictions britanniques ne seront plus soumises à l’autorité de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Le Royaume-Uni n’« abandonnera pas le contrôle de l’immigration », suggérant que May s’oriente vers un hard Brexit : ces objectifs sont en effet incompatibles avec un soft Brexit.
Effectivement, la liberté de circulation des personnes est une liberté fondamentale de l’Union et une composante essentielle du marché unique. David Davis, le ministre chargé de la sortie de l’Union Européenne, nie toute différence entre Brexits mou et dur, mais est d’accord sur les objectifs voulus par le gouvernement : reprendre le contrôle de l’immigration et des lois, et assurer le « meilleur accès possible » - pas la participation totale – au Marché Unique. Ainsi, selon lui, le Brexit n’aura « aucun mauvais côté », seulement des « bons côtés ». Le ministre du commerce Liam Fox veut même quitter l’Union douanière de l’Union Européenne afin de commercer avec le reste du monde – confirmant une orientation vers un hard Brexit.
La Chambre des Communes veut son mot à dire sur le Brexit : certes, 52% des votants ont voté pour sortir de l’Union Européenne, mais un hard Brexit n’a pas été décidé démocratiquement – comme le répètent beaucoup d’Ecossais et d’Irlandais du Nord. En fait, il semblerait qu’une majorité de Britanniques soient plus attachés au maintien dans le marché unique qu’à un contrôle accru des frontières qu’il faudrait « reprendre » comme le clame le gouvernement depuis le Brexit. Il serait donc sensé que les députés britanniques, représentants des citoyens Britanniques, aient leur mot à dire sur le processus du Brexit. Mais le gouvernement rejette l’argument en les accusant de tenter de détourner la démocratie et la volonté du peuple, et se borne à refuser de commenter régulièrement les négociations. La Haute Cour de Londres (High Court of London) a tranché, début novembre, en faveur des parlementaires Britanniques, mais le gouvernement va faire appel devant la Cour Suprême. Cette décision a néanmoins déclenché l’ire des Brexiters contre les juges de la Haute Cour, désignés comme les "ennemis du peuple" par le Daily Mail, un des tabloïds les plus lus outre-Manche...
A l’international : un soft Brexit est-il encore possible ?
Sur le continent, cette rhétorique – ainsi que les tentatives britanniques de contourner les règles en insistant sur des pré-négociations avec l’Union Européenne et en tenant des négociations commerciales avec des pays tiers – poussent l’Union et les Pays Membres à des positions plus extrêmes. Evidemment, proposer, comme l’a fait la ministre de l’intérieur Amber Rudd début octobre, que les entreprises n’employant pas assez de travailleurs Britanniques soient nommées publiquement et couvertes de honte (une proposition entre temps retirée) ne pousse pas à une atmosphère détendue sur le continent.
Le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker a conseillé aux dirigeants nationaux d’être « intransigeants » avec Londres. Le président du parti européen ALDE Guy Verhofstadt, qui représentera le Parlement Européen aux négociations, prioritisera les règles et valeurs européennes. François Hollande a déclaré que « le Royaume-Uni a décidé de faire un Brexit, je crois même un Brexit dur » et prévient qu’il doit y avoir un prix, une menace, quelque chose de négatif qui découragerait d’autres de faire leur propre exit. Ses opposants – populistes exclus – à l’élection présidentielle risquent de maintenir cette ligne dure dans les négociations. Mais le signal le plus clair d’un changement d’humeur est peut-être venu d’outre-Rhin. La chancelière Allemande Angela Merkel, a demandé aux entreprises de ne pas faire pression pour un Brexit favorable à Londres au détriment des règles et valeurs européennes, principalement la libre circulation des personnes.
Le meilleur argument qui expliquerait pourquoi un hard Brexit va sans doute arriver est peut-être le fait qu’un soft Brexit est très improbable : en l’absence de pré-négociations sur le fond, Theresa May a peu de raisons de changer son discours avant mars 2017. Les entreprises britanniques qui plaideront pour un soft Brexit pourront être stigmatisées comme faisant partie de cette « élite internationale » cupide et sans attaches décrite par May. Même la question de la frontière avec l’Irlande risque de ne pas suffire à décourager les plus Europhobes de se jeter du haut de la falaise. Une fois les négociations démarrées, le Royaume-Uni disposera de deux ans pour négocier plusieurs accords. C’est déjà très peu de temps, et il semble très improbable que Londres revienne sur la « grande » abrogation, le contrôle des frontières, et la juridiction de la Cour de Justice de l’Union Européenne, car cela reviendrait, outre-Manche, à une humiliation.
D’autant plus qu’un soft Brexit ne présente que des désavantages par rapport au statut d’Etat Membre : pas de pouvoir de décision ni possibilité d’empêcher un Etat fédéral Européen – qui a présent n’existe que dans les cauchemars des Europhobes et dans les rêves des pro-Européens – de prendre forme. La Norvège et la Suisse – qui disposent d’un accès privilégié au marché unique mais doivent en respecter les règles – ne sont pas forcément disposées à « partager » leur modèle avec le Royaume-Uni, car il risquerait de s’en trouver changé. Enfin, si les négociations, et surtout celles sur un accord provisoire, échouent dans les deux prochaines années – par manque de temps, ou tout simplement d’accord entre les 27 – le Brexit le plus dur de tous s’abattra sur le Royaume-Uni. Dans ce cas, le Royaume-Uni deviendrait un pays tiers, sans le moindre accord commercial, et serait de ce fait coupé du commerce international.
Ainsi, pour des raisons de politique nationale, le Royaume-Uni a choisi des objectifs incompatibles avec les règles et normes de l’Union Européenne, notamment la libre circulation des personnes. Le pays s’oriente donc vers un hard Brexit, malgré les réticences de l’Ecosse, de l’Irlande du Nord, de Londres, et surtout du Parlement. Au niveau Européen, les Etats Membres et les représentants des institutions européennes ne sont pas disposés à réécrire les règles pour accommoder le Royaume-Uni. Rien n’est encore décidé, et le verdict de la High Court en faveur du Parlement, s’il est confirmé en appel par la Cour Suprême en décembre, pourrait forcer le gouvernement à modifier ses objectifs.
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