Santé sexuelle, un droit à harmoniser : l’UE cherche la bonne position

, par Jeanne Antoine, Le Courrier d’Europe

Santé sexuelle, un droit à harmoniser : l'UE cherche la bonne position
Crédits : Conseil national de l’Ordre des médecins

Alors que la Convention européenne des droits de l’homme oblige les États à protéger les droits encadrant la santé sexuelle, qui inclut l’accès à des informations complètes et des soins de santé adaptés, l’Union européenne, elle, ne possède pas de compétence en la matière. Cette disparité crée des écarts préoccupants dans l’accès aux soins et à l’éducation sexuelle parmi les États membres.

La santé sexuelle menacée en Europe

L’Union européenne n’a pas de compétence exclusive en matière de santé, laissant chaque État gérer ce domaine selon ses propres lois. En conséquence, les menaces sur la santé sexuelle sont multiples. Un exemple frappant est celui de la Pologne, pionnière dans la libéralisation de l’avortement au XXe siècle, pourtant devenue aujourd’hui l’un des pays les plus restrictifs en la matière. Sous la pression des mouvements conservateurs, le Tribunal constitutionnel polonais a durci la législation en janvier 2021, limitant l’avortement aux seuls cas de viol, d’inceste ou de danger pour la santé de la mère ou du foetus.

Parallèlement, la santé sexuelle en Europe est mise à mal par un manque d’éducation. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a signalé en mars 2024 une augmentation alarmante des infections sexuellement transmissibles. Entre 2021 et 2022, les cas avérés de chlamydia ont augmenté de 16 %, ceux de gonococcie de 48 %, et ceux de syphilis de 34 %. Ces trois infections ont respectivement touché 216 000, 70 000 et 35 000 personnes en Europe en 2022. Malgré des traitements efficaces, ces maladies peuvent entraîner de graves complications si elles ne sont pas soignées à temps.

L’OMS attribue cette hausse à la baisse de l’utilisation du préservatif chez les adolescents. Entre 2014 et 2022, l’usage du préservatif a chuté de 70 % à 61 % chez les garçons et de 63 % à 57 % chez les filles. Un tiers des adolescents admettent ne pas avoir utilisé de protection lors de leur dernier rapport sexuel. L’OMS déplore le manque d’éducation sexuelle et appelle à une réforme : “Les jeunes ont besoin d’espaces sûrs pour discuter du consentement, des relations intimes et de l’identité de genre. Les autorités doivent les aider à développer des compétences de vie essentielles, comme la communication et la prise de décisions éclairées.

Une éducation sexuelle encore très inégale

Dans de nombreux cas en Europe, la santé sexuelle se limite à des cours de biologie de la reproduction. Dans les pays à forte empreinte catholique, comme la Pologne par exemple, l’éducation sexuelle est souvent source de débats. Là-bas, les cours ne sont proposés qu’à partir de 15 ans et nécessitent l’accord parental, leur contenu variant en fonction des positions de l’Église. À l’inverse, en Allemagne, l’éducation sexuelle est obligatoire, et la justice peut aller jusqu’à sanctionner les parents qui voudraient empêcher leurs enfants d’y assister.

En Belgique et en France, ces cours sont souvent assurés par des animateurs du planning familial. En 2012, la Belgique avait même proposé d’élargir ces enseignements aux élèves du primaire, ce qui a inspiré la proposition de loi EVRAS (Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle) en France. Cependant, cette initiative a suscité des réactions vives de la part de certains groupes conservateurs et d’extrême droite, inquiets de voir l’éducation sexuelle perçue comme une « incitation au changement de sexe  » ou une promotion de la « théorie du genre  ». En Hongrie, où une loi de 2021 interdit la promotion de l’homosexualité et du changement de sexe aux mineurs, l’éducation sexuelle se concentre exclusivement sur les relations hétérosexuelles.

Quel rôle pour l’Union européenne ?

Bien que l’Union européenne n’ait pas de compétence exclusive en matière de santé, elle peut intervenir dans le cadre de la prévention. En adoptant des directives, elle fournit des outils aux ONG nationales pour faire respecter les droits à la santé sexuelle dans les États membres. Des députés européens demandent aujourd’hui au Conseil de l’UE d’ajouter les soins de santé sexuelle et génésique, ainsi que le droit à un avortement sûr et légal, à la Charte des droits fondamentaux. Ce ne sont pour l’instant que des propositions, mais la pression exercée par des ONG comme Médecins du Monde, Amnesty International et l’International Planned Parenthood Federation contribue à faire évoluer les mentalités.

Le 8 mars 2024, la Constitution française de 1958 intègre un nouvel alinéa qui garantit le droit des femmes à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette évolution s’inscrit dans un cadre européen où la majorité des pays de l’Union protègent le droit à l’avortement. En effet, 25 des 27 États membres autorisent et encadrent légalement cette pratique. Certains États membres l’ont d’ailleurs adopté assez récemment, comme l’Irlande, l’un des pays les plus restrictifs en la matière. En effet, il s’agissait d’allier le droit à la vie du foetus et le droit des femmes à disposer de leur corps. Finalement, le 1er janvier 2019, l’IVG entre en vigueur et sans condition.

Seules Malte et la Pologne imposent des restrictions sévères, limitant l’avortement au cas où la grossesse mette en danger la vie de la mère ou du fœtus. Malte est par ailleurs l’un des dernier pays à céder, puisque le texte de loi autorisant l’avortement est adopté à l’unanimité le 28 juin 2023. La Pologne et Malte sont des pays qui possèdent un gouvernement conservateur et sont très marqués par la religion catholique.

Le droit à l’avortement reste néanmoins particulièrement fragile. En Espagne, le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy prévoyait de le limiter aux cas de grave danger pour la vie, pour la santé physique ou psychologique de la mère, ou de viol. En Hongrie, si l’IVG est légale depuis les années 1950 jusqu’à la douzième semaine de grossesse, l’arrivée au pouvoir de l’ultra-conservateur Viktor Orban en 2010 signe la promesse de mesures pour limiter cette loi. Ainsi, depuis décembre 2022, un décret impose aux femmes qui souhaitent avorter d’écouter les battements du cœur du fœtus avant de prendre leur décision.

Dans un monde où des violences sexuelles restent tristement courantes - un exemple récent étant le drame à l’écho international qu’a vécu Gisèle Pélicot - l’éducation à la santé sexuelle s’impose plus que jamais. Elle permet d’éveiller les consciences sur le consentement, de poser et respecter des limites saines, et de mieux lutter contre les violences sexuelles, rappellent plusieurs organismes, dont Santé Publique France et l’Organisation mondiale de la Santé.

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