« Stupeur et tremblements » [1]
Mercredi 21 février 2018, 9h39, les journalistes et correspondants couvrant l’actualité européenne à Bruxelles sont convoqués à une conférence de presse qualifiée « d’urgente » par le président de la Commission européenne, lui-même, Jean-Claude Juncker. Un Evénement avec un « E » tant le Luxembourgeois fuit la presse comme la peste. Sur place, tout le monde comprend bien vite de quoi il en retourne : Martin Selmayr, chef de cabinet de Juncker est nommé secrétaire général de la Commission européenne (plus haut poste au sein de la fonction publique de la Commission) au terme d’un coup d’État express.
Ainsi que le professait Napoléon : « Mes meilleures armes sont les jambes de mes soldats ». Dans une série de manœuvres bien calculées, Martin Selmayr s’est d’abord dégagé le chemin vers le sommet avant de s’y installer tout en gardant la main sur le cabinet du président de la Commission. Prudence étant mère de toutes les sûretés, il semble en effet judicieux de garder un œil sur l’endroit d’où il vient au cas où un autre impétrant tenterait de le déloger de son nouveau bureau.
De nouveau bureau, il ne s’agit pas là simplement d’une image, puisque Martin Selmayr semble si assuré de son pouvoir qu’il semble avoir entamé de grands travaux au Berlaymont (le siège de la Commission) pour installer le bureau du secrétaire général à côté de celui du Président de la Commission européenne alors qu’il se trouve actuellement dans une autre aile, presque à l’opposé de l’endroit projeté.
Quo non ascendet ? [2]
Un tel culot traduit une arrogance et un mépris qui feraient passer Frank Underwood (personnage principal de la série américaine « House of cards ») pour un amateur.Détournant toutes les procédures ou presque, si ce n’est officiellement, au moins dans leur esprit pour s’assurer la haute-main sur la Commission européenne et son propre destin, Martin Selmayr semble avoir sous-estimé l’impact de ses manœuvres dans l’opinion publique. Pis, comme souvent, Martin Selmayr risque de tomber par là où il a pêché. Courtisant la presse anglo-saxonne et verrouillant la communication de la Commission, il a attiré la curiosité de Jean Quatremer, correspondant du quotidien français « Libération » à Bruxelles qui, article après article, dévoile les détails de cette petite conspiration entre amis.
En agissant ainsi, Martin Selmayr s’est retrouvé grisé par sa propre ambition. Ainsi que l’écrivit Lord Acton au XVIe s., « Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument ». Tout à régler les détails de son futur destin, l’eurocrate allemand qui pensait avoir tout prévu semble avoir négligé l’Histoire et plus précisément, celle d’un certain Nicolas Fouquet.
Ce dernier, surintendant des Finances de Louis XIV (l’équivalent du ministre des Finances alors) avait certes enrichi la France, mais s’était surtout enrichi lui-même mélangeant l’argent de l’État et le sien, et commerçait avec les ennemis de la France alors en guerre tout en construisant le plus beau château de l’époque à Vaux-le-Vicomte. Tout à son autocélébration, Nicolas Fouquet fit l’erreur de servir un fastueux repas dans de la vaisselle d’or alors que Louis XIV venait d’envoyer sa propre vaisselle d’argent (donc moins prestigieuse) à la fonte pour payer ses armées. Furieux, le Roi-Soleil manqua de le faire arrêter sur-le-champ, mais sa mère l’en dissuada. Cela n’empêcha pas ledit Fouquet de se faire arrêter quelques jours plus tard par d’Artagnan, capitaine des Mousquetaires du Roi et de finir sa vie en prison.
Une Commission décrédibilisée
Martin Selmayr connaitra-t-il un destin similaire ? S’il est encore trop tôt pour le dire et s’il ne faut pas non plus sous-estimer la capacité de rebond de l’intéressé, il n’en reste pas moins que l’ambition du presque quinquagénaire allemand a fait plusieurs victimes. La Commission européenne d’abord, qui est censée agir « en gardienne des traités ». Le bien commun, ensuite puisque l’ensemble des procédures prévues pour éviter de telles méthodes ont été tordues pour que l’Allemand parvienne à ses fins. L’Europe, enfin.
Alors que les citoyens européens n’ont jamais autant eu besoin d’une Europe qui protège, ce triste épisode montre que la Commission européenne est loin d’être le parangon de vertu pour lequel elle entend se faire passer. La Hongrie l’a bien compris, elle qui est récemment montrée du doigt depuis plusieurs années pour son non-respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et pour faire court de ne pas respecter « les valeurs européennes ».
Le porte-parole du Gouvernement a fait savoir qu’il n’avait plus de leçon à recevoir de la Commission européenne depuis la révélation de l’affaire Selmayr.
Une question taraude maintenant l’ensemble de la sphère européenne : combien de temps Martin Selmayr va-t-il s’accrocher à son nouveau poste ? Il semble évident qu’il est politiquement carbonisé. Le prochain Président de la Commission européenne, quel qu’il soit, ne saurait le conserver à son poste au risque de laisser une immense tâche sur sa présidence et de se le voir reproché en permanence.
Le Parlement Européen, qui a évoqué le cas Selmayr lors d’un court débat en session plénière, ne semble pas décidé à en rester là. Les eurodéputées néerlandais ont déjà demandé, toutes tendances confondues, à raccourcir l’eurocrate allemand d’une tête. La question n’est donc pas de savoir si Selmayr va partir mais quand il partira.
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