Serbie-Kosovo-Albanie : entre unions et désunion

, par Alexis Vannier

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Serbie-Kosovo-Albanie : entre unions et désunion

Depuis des dizaines d’années, les Balkans sont le foyer de nombreuses et parfois violentes tensions, qu’elles soient de nature ethnique, religieuse, géopolitique, culturelle ou encore énergétique. Toutefois, l’accord de Prespa signé entre Skopje et Athènes le 17 juin 2018 et entré en vigueur le 12 février 2019 met fin au conflit sur la dénomination de l’Ancienne république yougoslave de Macédoine qui devient Macédoine du Nord. Si l’Union européenne est parvenue à apaiser le nord et l’est de la péninsule, les Balkans occidentaux constituent toujours un potentiel de crises graves, comme le montre l’exemple des tensions entre Serbie, Kosovo et Albanie.

Kosovo : entre indépendance et unification

Le Kosovo a déclaré son indépendance le 17 février 2008, néanmoins le chemin reste long vers une indépendance pleine et entière reconnue notamment par la Serbie. Alors que le gouvernement albanais fait face à des manifestations tendues dans tout le pays depuis la mi-février, les 43 députés du Parti démocrate d’opposition ont démissionné de leur fonction. Tous accusent Edi Rama de corruption et de fraude électorale, des arguments déjà utilisés quand le Parti démocrate était au pouvoir.

Cette situation n’empêche cependant pas l’idée d’une réunification des Albanais de la région, réunification régulièrement évoquée par les autorités albanaise comme kosovare. Même si, avant cela et dans un objectif de paix, le Premier ministre albanais Edi Rama appelle Belgrade à reconnaître l’indépendance de son ancienne province, ou, à tout le moins, résoudre pacifiquement la situation, Tirana partage ses ambassades aux missions diplomatiques kosovares, et Edi Rama continue d’évoquer l’hypothèse d’une Grande Albanie et suggère même un président commun aux deux États, dans un futur pas si éloigné.

Cette solution représente une finalité logique à la levée des barrières douanières entre les deux pays depuis le début de l’année, instaurant ainsi un « mini-Schengen », malgré les craintes émises par les États-Unis d’Amérique et l’Europe. Nouvel engagement vers une autonomie vis-à-vis de Belgrade, Priština a décidé de transformer la Force de Sécurité du Kosovo (KSF) en armée nationale. Cette décision est évidemment mal perçue du côté serbe qui y voit un « coup de revolver à la paix », mais également du côté de l’OTAN qui se dit contraint de « réexaminer [son] niveau d’engagement » étant déjà engagé via la mission KFOR.

L’intégration essentielle à l’Europe occidentale

Depuis plus de dix ans, une large part des Balkans occidentaux a fait de l’intégration à l’OTAN et donc d’un éloignement avec la Russie une priorité. La Slovénie a intégré l’Alliance en 2004, l’Albanie et la Croatie en 2009 et le Monténégro en 2017. La Macédoine du Nord est en bonne voie pour devenir le trentième membre en 2019 suite à l’accord de Prespa entre Skopje et Athènes sur la dénomination du pays. Enfin, la Bosnie-Herzégovine est candidate. De son côté, la Serbie préfère s’assurer le soutien de son allié russe. Les autorités kosovares souhaiteraient à terme rejoindre l’alliance atlantique. En outre, les trois États ont fait de l’adhésion à l’Union européenne une priorité politique. Cet ancrage à la première puissance économique mondiale leur permettrait d’ouvrir leur marché aux investissements étrangers et à de plus larges potentiels économiques. Néanmoins, les trois États n’en sont pas au même stade.

La Serbie a rempli 16 des 35 chapitres nécessaires pour son adhésion. L’UE a ainsi ajouté la normalisation des relations avec le Kosovo comme critère d’adhésion. Si certains interprètent ce chapitre comme une obligation pour Belgrade de reconnaitre son ancienne province comme un État indépendant, ce n’est juridiquement pas exact. Communs à tous les candidats de la région, les problèmes de corruption et de déficit de l’État de droit sont les principaux obstacles à l’adhésion de la Serbie.

S’agissant de l’Albanie, la volonté d’adhérer est aussi forte. Néanmoins, les défis structurels, institutionnels, juridiques et économiques sont autant d’arguments pour certains membres réfractaires à l’entrée de l’Albanie dans l’UE, comme la France et les Pays-Bas qui ont émis des réserves concernant l’Albanie, réserves qui se sont soldées par l’exigence d’une année d’attente supplémentaire avant l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord.

Le Kosovo, quant à lui, souhaiterait également intégrer l’Union européenne, mais le chemin est long et périlleux. Cinq États membres ne reconnaissent pas son indépendance, que ce soit pour des motifs liés à la sécession (Espagne, Chypre), religieux (Roumanie) ou géopolitique (Grèce, Slovaquie). Dans ce cadre, en 2014, l’Union européenne signe avec le Kosovo un accord de stabilisation et d’association permettant un soutien européen juridique pour l’amélioration de la situation du pays dans des domaines pointés par les autorités de Bruxelles notamment la lutte contre la corruption, la fraude ou plus simplement le partage de pratiques administratives efficaces. Cet accord poursuit la mission EULEX, confiée en 2008 à l’UE par le Conseil de sécurité de l’ONU, ayant pour objectif l’établissement d’institutions administratives démocratiques respectant l’État de droit. Le président kosovar a néanmoins prévenu Bruxelles qu’en cas d’échec des négociations, tous les Albanais de la région seraient appelés à vivre dans un seul et unique pays . Pas sûr que cette menace, qui déstabiliserait la région, n’apaise les relations avec Belgrade et accélère le processus d’adhésion à l’Union.

Le Kosovo se sert ainsi de deux leviers pour implanter son indépendance au niveau international, face à une Serbie toujours réticente. Tout d’abord en poursuivant ses efforts pour s’ancrer politiquement dans le continent européen à travers l’adhésion à l’OTAN et à l’UE, mais également en tissant des liens politiques et institutionnels forts avec l’Albanie culturellement très proche. Indépendance/intégration/unification, cette valse à trois temps de Priština peut représenter une menace pour la stabilité précaire de la région.

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