Un mouvement de protestation qui prend de l’ampleur
Les protestations ne sont pas nouvelles en Serbie, mais l’ampleur et la durée des manifestations actuelles sont sans précédent depuis les années 1990, lorsque les gens s’opposaient au règne de Slobodan Milošević. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue ce week-end, les estimations allant de 100 000 selon les chiffres officiels à bien plus de 300 000 selon les organisations de la société civile. Ces protestations ont commencé après l’effondrement mortel du toit d’une gare fraîchement rénovée à Novi Sad, qui a fait 15 morts. Les revendications ont très vite dépassé la simple demande de transparence liée à cet incident, et les manifestants dénoncent ainsi la corruption, le contrôle des médias et la régression démocratique dans le pays.
Malgré la pression croissante, le président Aleksandar Vučić reste inflexible. Alors qu’il reconnaît publiquement la nécessité de changements, son gouvernement a au contraire réagi par des tactiques d’intimidation. Ainsi, la police a probablement utilisé, le week-end du 15 mars, une arme basée sur le son ou des impulsions à haute fréquence. Des vidéos montrent comment les manifestants sont brusquement dispersés. En janvier, le Premier ministre Miloš Vučević a été limogé, mais les manifestants y ont vu une mesure symbolique plutôt qu’une réponse pertinente à leurs revendications.
Le gouvernement a également tenté de contrôler la couverture médiatique en diffusant des informations erronées. Les médias publics ont par exemple accusé les manifestants de provoquer la violence. « Le système politique ici a été délégitimé par les protestations », déclare Nenad Bušić, président de la JEF Serbie.
Les principales revendications
Le mouvement de protestation, mené principalement par des étudiants, a formulé quatre revendications claires : Une transparence totale concernant la catastrophe de la gare de Novi Sad, y compris la déclassification de tous les documents. Justice pour les victimes de la violence politique, notamment l’identification et la punition des responsables des attaques contre les manifestants. Le rejet des accusations portées contre des militants poursuivis pour leur participation à des manifestations pacifiques et à des blocages de rues. Une augmentation des ressources financières pour les universités, reflétant le mécontentement général face aux investissements du secteur public.
Ces revendications n’incluent pas la démission de Vučić, mais un véritable changement nécessiterait sans doute un changement à la tête du pays. Le président exerce un contrôle étendu sur les institutions serbes. L’année dernière déjà, des citoyens sont descendus dans la rue pour s’opposer à un accord d’extraction de lithium entre la Serbie et l’Allemagne. Alors que cet accord était perçu par beaucoup dans l’UE comme un pas vers la réduction de la dépendance vis-à-vis de la Chine, de nombreux habitants de Serbie y voyaient un nouvel exemple de processus décisionnels opaques, de menaces environnementales et d’influence étrangère.
Une démocratie prisonnière ?
L’érosion des institutions démocratiques en Serbie est en marche depuis des années. Beaucoup voient dans le gouvernement de Vučić une continuation de la politique nationaliste issue des conflits yougoslaves. Les partis d’opposition ont du mal à gagner du terrain, et les institutions, du parlement à la justice, sont affaiblies, de sorte qu’il est difficile pour les forces démocratiques de défier le Parti serbe du progrès (SNS) au pouvoir.
L’un des facteurs clés du déclin de la démocratie en Serbie est le paysage médiatique contrôlé. Comme l’explique Nenad Busić de la JEF Serbie, l’accès à une information indépendante est limité : « Il n’y a pas de chaîne accessible au public qui touche tous les citoyens. La plupart des médias sont soit contrôlés par l’État, soit diffusent des contenus proches du gouvernement, créant ainsi un environnement qui s’oppose à un discours démocratique. » Les récentes protestations ont toutefois conduit à quelques changements : La chaîne publique RTS couvre désormais plus régulièrement les manifestations, mais de nombreux médias restent sous la forte influence du gouvernement.
La dimension internationale
Malgré les troubles politiques internes, Vučić continue de bénéficier d’un grand soutien international. Son gouvernement bénéficie des relations économiques avec des puissances européennes comme l’Allemagne et la France, qui donnent la priorité à la stabilité par rapport aux préoccupations démocratiques. Si certains hommes politiques européens se sont ralliés aux revendications des manifestants, l’Union européenne dans son ensemble n’a pas encore pris de mesures décisives contre le déclin démocratique de la Serbie.
Parallèlement, Vučić entretient des relations étroites avec la Russie. La Serbie n’a pas appliqué les sanctions de l’UE contre Moscou et l’influence russe reste importante dans les médias et dans le secteur énergétique du pays. Même si la Serbie fait des concessions symboliques à ses partenaires occidentaux - comme le transfert de la propriété des entreprises pétrolières de sociétés russes à des sociétés américaines -, les liens historiques et politiques profonds avec la Russie demeurent.
L’avenir du mouvement de protestation
La Serbie se trouve désormais à la croisée des chemins. Les manifestants font pression pour des réformes systémiques, mais sans un leadership politique fort, il sera difficile de maintenir la dynamique. Le mouvement reste délibérément sans direction afin de se distancer des figures traditionnelles de l’opposition. L’absence d’alternative politique claire pourrait toutefois permettre à Vučić de traverser la tempête, comme l’ont fait les gouvernements précédents dans la région.
Filip Janković, de la JEF Serbie, souligne le profond défi culturel : « La Serbie est toujours coincée entre son passé et son avenir. Beaucoup considèrent la Russie comme un allié historique, tandis que la déception vis-à-vis de l’intégration à l’UE s’est accrue. Seuls 39 % de la population sont encore favorables à une adhésion à l’UE ». L’absence d’une voie européenne claire, combinée à la frustration largement répandue face à la corruption et à la stagnation économique, complique les efforts pour mobiliser un changement politique durable.
La campagne de la JEF Europe « Democracy under Pressure » nous rappelle que le combat pour la démocratie n’est pas terminé et que le soutien international aux forces démocratiques en Serbie reste crucial. Les mois à venir montreront si le mouvement mené par les étudiants parviendra à un véritable changement - ou si la Serbie continuera sur la voie du démantèlement de la démocratie.
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