Solidarité, reconnaissances et pressions : le rôle européen à Gaza

Le Courrier d’Europe

, par Alice Rossi, Le Courrier d’Europe

Solidarité, reconnaissances et pressions : le rôle européen à Gaza
Manifestations pro-palestiniennes à Hanovre, en Allemagne ©ramigzon (Unsplah)

Deux ans après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et le déclenchement de l’offensive israélienne, le bilan humain à Gaza est accablant : plus de 65 500 Palestiniens tués, selon le ministère de la Santé local dont les chiffres sont jugés fiables par l’ONU. La crise humanitaire s’aggrave, entre blocus total, destruction des infrastructures, pénurie de vivres et de soins. Dans ce contexte dramatique, l’Europe et la communauté internationale sont appelées à sortir de leur posture d’observateur et de clarifier leur rôle sur la scène proche-orientale.

Famine imminente et solidarité internationale

Sur le terrain, la situation humanitaire à Gaza atteint un niveau d’urgence sans précédent. La famine s’aggrave chaque jour, conséquence directe du blocus imposé par Israël, qui bloque depuis le 2 mars 2025 toute entrée de biens, y compris alimentaires. S’il y a eu dans le passé des restrictions fluctuantes, il s’agit cette fois de la forme la plus brutale et totale du blocus. Selon la dernière analyse de l’Integrated Food Security Phase Classification (IPC) publiée le 22 août 2025, plus d’un demi-million de personnes se retrouvent dans une situation de famine. Elles sont confrontées à une faim généralisée, à la privation et à de trop nombreux décès, tandis que les organisations humanitaires peinent à intervenir. Les rapports mensuels de l’OCHA et les bulletins de l’UNICEF dressent le même constat : la destruction des infrastructures, l’absence de reconstruction et la paralysie des services essentiels condamnent la population à une détresse chronique.

Face à ce blocus, des initiatives citoyennes tentent de contourner l’asphyxie. La Global Sumud Flotilla, lancée le 31 août depuis plusieurs ports méditerranéens, se présente comme la plus grande tentative jamais réalisée pour briser le blocus israélien. Constituée de 51 bateaux et de délégations issues de 45 pays, elle rassemble des militants, des médecins, des humanitaires et des personnalités publiques. Parmi elles, figurent Greta Thunberg, déjà présente lors d’une précédente tentative. Cette flottille a pour objectif d’acheminer des médicaments et des denrées de survie à la population gazaouie. Ce nouvel envoi, tente de répondre aux revers subits auparavant : : les navires Madleen en juin et Handala en juillet avaient été interceptés par les autorités israéliennes, leurs équipages expulsés, parfois même brièvement détenus. Le mouvement s’affirme indépendant de tout gouvernement et fédère plusieurs coalitions telles que le Mouvement mondial vers Gaza, le Maghreb Sumud Flotilla, ou encore le Sumud Nusantara, qui coordonnent des départs depuis différentes régions du monde.

La traversée reste toutefois périlleuse. Fin septembre, alors que les précédents bateaux naviguaient au sud de la Grèce, plusieurs d’entre eux ont été attaqués par des drones non identifiés. Les organisateurs affirment avoir compté au moins treize explosions et des largages d’objets sur une dizaine de navires, entraînant des dégâts matériels et une obstruction massive des communications. Si aucun blessé n’a été signalé, cet épisode illustre les risques encourus par les volontaires qui tentent de rompre le siège.

L’Europe, entre unité fragile et gestes forts

Sur le front diplomatique, le mois de septembre 2025 a marqué un tournant. La France et la Belgique ont officiellement annoncé leur reconnaissance de l’État de Palestine le 22 septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. « We can no longer wait », a déclaré Emmanuel Macron, condamnant les attaques du 7 octobre ainsi que la colonisation israélienne, tout en appelant à une solution à deux États. Ces annonces s’ajoutent à celles du Royaume-Uni, du Portugal, du Canada et de l’Australie, qui avaient franchi le pas dès le 21 septembre. Dans la foulée, Malte, le Luxembourg et Saint-Marin se sont joints au mouvement.

Ces déclarations s’inscrivent dans une dynamique plus globale : près des trois quarts des 193 États membres de l’ONU reconnaissent déjà la Palestine, dont la majorité des pays du Sud global. Les grandes puissances occidentales, en revanche, s’étaient jusqu’à présent abstenues. Cette initiative marque donc une rupture avec une position longtemps alignée sur celle des États-Unis, qui conditionne l’existence d’un État palestinien à la conclusion d’un accord négocié. Or, aucun pourparler de paix israélo-palestinien n’a eu lieu depuis 2014, et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a répété récemment qu’« un État palestinien ne verra jamais le jour à l’ouest du Jourdain », insistant sur la poursuite et l’extension des colonies en Cisjordanie.

Au sein de l’Union européenne, ces reconnaissances soulignent aussi des divergences. L’Italie, refuse toujours de reconnaître l’État palestinien. La Première ministre Giorgia Meloni invoque la libération de l’ensemble des otages israéliens et l’exclusion du Hamas d’un éventuel gouvernement comme conditions pour reconnaître un État de Palestine. Cela n’a pas empêché Rome n’en a pas moins condamner fermement l’attaque contre une flottille humanitaire en Méditerranée fin septembre. À l’inverse, la Commission européenne a décidé de franchir un cap : dans son discours sur l’état de l’Union du 10 septembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la commission, a annoncé la suspension partielle de l’accord d’association UE–Israël. Fondé sur le respect des droits humains, cet accord régit les relations commerciales entre Bruxelles et Tel-Aviv depuis 2000. Sa suspension, motivée par l’aggravation de la crise humanitaire à Gaza et l’accélération de la colonisation en Cisjordanie, affecte directement les dotations prévues entre 2025 et 2027, ainsi que plusieurs projets de coopération institutionnelle.

Reconnaissance symbolique, impact limité

Toutefois, des limites subsistent. La Palestine reste cantonnée au statut d’observateur à l’ONU et son accession au statut d’État membre dépend du Conseil de sécurité, où le veto américain bloque toute avancée. En d’autres termes, si la reconnaissance de l’État palestinien par des puissances européennes marque un changement d’époque, son impact concret dépendra de la capacité de ces pays à traduire leurs déclarations en mesures politiques contraignantes.

Ici, l’envoi de flottilles humanitaires, la suspension partielle de l’accord d’association UE-Israël et la reconnaissance croissante de l’État palestinien par plusieurs États membres témoignent d’une volonté de peser davantage. Mais ils posent une question essentielle : ces reconnaissances, si importantes symboliquement, suffisent-elles à modifier l’équilibre des forces sur le terrain ? Ou ne risquent-elles pas de rester de simples déclarations, tant que l’UE n’accompagnera pas ces prises de position de mesures contraignantes et cohérentes envers Israël comme envers les Palestiniens ? L’avenir du conflit dépendra en partie de la capacité de la communauté internationale à relancer un processus de négociation, au point mort depuis plus d’une décennie.

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