Le sommet était animé par Shavkat Mirziyoyev, président de l’Ouzbékistan et avait pour objectif de créer un réel partenariat multidimensionnel entre l’Europe et l’Asie centrale. “Ce sommet marque le début d’une nouvelle dimension dans nos relations, et il ne s’agira pas d’un cas unique”, ce sont les mots d’Antònio Costa lors de son intervention durant le sommet mettant en avant l’importance pour l’UE de commencer à nouer des liens forts avec des pays qui paraissent pourtant bien éloignés de l’Europe. Bien que la relation entre l’UE et les pays de l’Asie centrale s’était renforcée par une intensification des rencontres bilatérales en 2022 et 2023 avec la guerre en Ukraine, ce sommet et cette déclaration du 4 avril marquent le point de départ pour une relation d’un nouveau genre.
De nombreux enjeux stratégiques abordés lors de ce sommet
Le premier axe mis en avant concerne la paix et la sécurité. Dans un contexte géopolitique tendu, les deux parties affirment leur attachement au respect du droit international. Pour l’UE, il s’agit d’établir des partenariats géostratégiques capables de contrebalancer l’influence russe dans la région. Pour les pays d’Asie centrale, l’Union européenne représente un soutien potentiel pour encourager la stabilité de l’Afghanistan voisin, et éviter tout débordement régional notamment lié à l’implantation du groupe terroriste de l’Etat Islamique dans le Khorassan (EI-K), région afghane frontalière du Tadjikistan. En effet, l’EI-K, en plus de provoquer des flux de migrations par sa présence, va jusqu’en Asie centrale pour recruter des soldats.
Une fois le socle sécuritaire posé, l’attention s’est portée sur le commerce. L’UE souhaite renforcer les échanges à travers des partenariats bilatéraux renforcés, appelés EPCA (Enhanced Partnership and Cooperation Agreements), qui s’inscrivent dans le cadre de sa stratégie Global Gateway, destinée à soutenir des investissements durables hors de ses frontières. Aujourd’hui, l’UE est le premier investisseur étranger en Asie centrale, et le deuxième partenaire commercial après la Russie.
Le troisième point majeur et pas des moindres, concerne l’environnement et le changement climatique. Fidèle à ses principes, l’UE conditionne ses accords à des engagements climatiques, notamment en matière d’énergies renouvelables et ici de gestion et d’approvisionnement d’eau, un enjeu souvent complexe dans la région.
Mais derrière cet engagement environnemental, un autre objectif, peut-être plus stratégique encore, semble se dessiner : l’accès aux matières premières critiques comme définies par le Critical Raw Material Act (CRMA) en décembre 2023. En effet, les discussions ont mis en avant l’importance de la mobilisation des 10 milliards d’euros annoncés lors du Global Gateway Investors Forum de janvier 2024. Ces fonds doivent notamment permettre la création de nouveaux corridors de transport, aux côtés du « corridor du milieu » reliant la Chine à l’Europe en passant par le Kazakhstan, pour faciliter les échanges.
L’enjeu est clair : sécuriser l’approvisionnement en métaux rares comme le lithium ou l’uranium, dont regorge l’Asie centrale et qui sont essentiels à la transition énergétique européenne. C’est peut-être là la véritable motivation de la présence européenne à Samarkand : garantir un accès durable à ces ressources stratégiques, tout en habillant cette ambition d’un discours sur la durabilité et les garanties de sécurité.
L’UE à l’épreuve de la concurrence chinoise et russe en Asie centrale
Bien qu’en retard par rapport à la Chine ou à la Russie, l’Europe à tout de même une carte à jouer dans la région. Les pays d’Asie centrale recherchent tout de même à diversifier leurs partenariats. Ainsi, l’UE apparaît comme un partenaire sérieux, capable d’apporter des investissements, du savoir-faire et des nouvelles technologies dans la région. De plus, les capacités minières des pays comme le Kazakhstan et l’Ouzbékistan sont encore inconnues puisque les ressources sont sous-exploitées pour certaines et non exploitées pour d’autres. Pour preuve, le journal Reuters annonce la dernière trouvaille du Kazakhstan le 2 avril dernier : des terres rares renferment environ 20 millions de tonnes de minerais dont de l’Uranium dans la zone d’Almaty. L’UE pourrait alors avoir un impact en investissant dans l’exploration minière et en créant des partenariats avec des entreprises européennes alimentant ainsi un cycle initié en partie par Emmanuel Macron lors de sa visite en novembre 2023. Enfin, l’UE est plus à même de proposer des partenariats équilibrés prônant davantage la coopération que la domination et exposant des contreparties claires sur la gouvernance, l’écologie ou encore les droits de l’homme.
L’Europe n’arrive donc pas trop tard, cependant elle n’est pas pour autant pionnière et le risque d’être en retard est réel. La chine a déjà positionné ses pions et contrôle beaucoup d’infrastructures clés le longs des grands axes routiers qu’elle a financés dans toute la région nouant, par ailleurs, des liens politiques forts. La Russie quant à elle, grâce à un héritage de domination de plus d’un demi-siècle, a pu se servir largement déjà et reste influente dans la région, gardant un poids économique, linguistique,culturel et militaire. Si l’UE veut concurrencer ces deux géants dans la région, elle devra indéniablement aller plus vite et se débarrasser de la lenteur bureaucratique due au manque de coordination de ses Etats-membres.
Ce sommet de Samarkand met en lumière une volonté affirmée de renforcer les liens entre l’Europe et l’Asie centrale autour de thématiques variées comme la sécurité et l’environnement. Pourtant, l’un des enjeux les plus stratégiques pour l’Union européenne reste l’accès aux ressources critiques, qui n’apparaît qu’en toile de fond, comme un prolongement discret des ambitions affichées. Ce partenariat révèle l’importance cruciale que revêt l’Asie centrale dans la transition énergétique européenne. À travers ce partenariat, l’UE cherche à construire une relation durable, tout en sécurisant un accès à des ressources devenues essentielles.
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