Sans taux de change dans la zone euro, les écarts se creusent
La zone euro est composée de pays dont les économies divergent. La diversité, principe fondateur de l’Union Européenne se traduit également en matière de productivité et de coût du travail. Entre 2000 et 2010, le coût du travail en Allemagne a augmenté de 2% contre 35% en Grèce [1].
Si ces multiples variations avaient eu lieu entre des pays avec des monnaies indépendantes, les taux de change auraient évolués en freinant ces écarts. Si par exemple l’Allemagne baisse son coût du travail, le pays augmente sa productivité par rapport à ces partenaires. Cette augmentation de productivité se traduit par une augmentation de ses exportations. Or si les exportations augmentent, la monnaie s’apprécie compensant partiellement les gains de productivité réalisés. La monnaie agit ici comme une sorte de régulateur.
Avec une monnaie commune, il n’y a plus de taux de changes entre deux pays de la zone euro. L’appréciation/dépréciation d’une monnaie par rapport à l’autre n’est plus possible, le rôle d’équilibre joué par la monnaie disparait au sein de la zone euro.
Certains économistes (comme Alberto Bagnai [2]) mettent en avant l’absence de taux de changes comme raison fondamentale des déséquilibres de la zone euro. En quoi le fait d’avoir des différences de productivité dans une même zone monétaire pose-t-il un problème structurel ? Avant l’entrée en vigueur de l’euro, la France avait-elle une évolution de sa productivité également répartie sur son territoire ? La productivité était bien évidemment différente suivant les régions [3] et ceci est encore vrai aujourd’hui. Toute zone monétaire est assujettie à une répartition inégale de sa productivité suivant sa géographie, ce n’est donc pas la différence de productivité entre les pays de la zone euro qui est la cause recherchée.
Comment le problème est-il traité dans les autres pays ? Par de la flexibilité (mobilité de la main d’œuvre) et de la compensation (imposition, investissement de l’Etat, etc...). Or la zone euro ne possède pas les outils nécessaires pour effectuer ces politiques. Comme le rappelle justement l’économiste Jacques Mistral : « il faut aussi un fédéralisme fiscal pour permettre au gouvernement central de venir en aide aux régions en difficultés. [4] . L’absence d’une Union fiscale se fait de plus en plus sentir.
Le problème de la zone euro n’est pas conjoncturel mais bien structurel car la crise n’a finalement eu un rôle que de révélateur. A iso traité, et si les critiques sont avérées, il n’existe que deux directions pour retrouver une zone monétaire optimale : sortir de la zone euro (zone monétaire optimale au niveau national) ou renforcer une politique fiscale au niveau européen (zone monétaire optimale au niveau européen) [5] .
Ce débat préexistait à l’entrée en vigueur de l’euro. Elle va dans le sens des propositions des fédéralistes européens qui en parallèle de la monnaie unique, ont toujours demandé un gouvernement économique doté d’un budget conséquent.
Une zone optimale au niveau européen = vers une intégration plus poussée de la zone euro
Quels seraient les montants nécessaires pour que cette redistribution soit efficace ? Le chiffre de 200 / 300 Milliards d’euros [6] Ce montant serait difficile à obtenir par un simple transfert d’un pays vers un autre, une solution au niveau de la zone euro dans son ensemble voire de l’Union Européenne s’impose.
Par ailleurs, ce chiffre correspond aux montants que l’initiative citoyenne européenne « Pour un plan européen extraordinaire de développement durable et de création d’emplois » [7] cherche à obtenir. Cette proposition permettrait sans modification des traités de générer les sommes nécessaires pour alimenter un plan de relance européen.
Une zone optimale au niveau national = sortir de la zone euro
Que la sortie de la zone euro soit irrévocable ou uniquement temporaire, son objectif est de gagner de la compétitivité à l’export en dévaluant la nouvelle monnaie.
Selon une étude [8] , une dévaluation de 10% engendrerait un gain de 1% du PIB en France.
Plus la dévaluation est importante et moins les modèles économiques fondés sur les variations des importations et des exportations sont fiables. En effet, l’offre doit pouvoir absorber une augmentation de capacité sur une très courte période. Idem pour la demande internationale qui doit pouvoir absorber le surplus de produits fabriqués [9] Nous avons donc tendance à croire que l’effet de la dévaluation n’est pas linéaire et tend à être de moins en moins "efficace" plus la dévaluation est importante.
Les effets bénéfiques d’une dévaluation se feront sentir sur une quelques d’années ce qui pousse les économistes à considérer cette solution comme une bouffée d’air temporaire qui doit permettre de faire des réformes en profondeur sous peine d’être inutile.
De plus, les effets positifs à court terme d’une dévaluation sont inégalement répartis. Ce sont généralement les ménages qui en paient le prix fort à cause de la hausse des importations. Quant aux entreprises, celles qui exportent le plus (généralement les plus productives) sont celles qui sont le plus sensibles (le plus élastiques) qui en bénéficient le plus. Dans tous les cas, la réponse de la demande n’est pas également répartie entre les secteurs [10].
Bloquer les capitaux :
Une fois la volonté de dévaluer connue, les porteurs de capitaux auront intérêt à sortir leur d’argent du pays pour y échapper sous peine de voir les avoirs fondre du montant de la dévaluation.
Dans le cas de la séparation de la Tchécoslovaquie (ou juste après), un contrôle aux frontières a été imposé pour limiter la fuite des capitaux suite à l’annonce publique. A l’heure de l’informatique où la moindre rumeur peut générer des mouvements financiers importants, il faut qu’entre l’annonce par un pays de la sortie de l’euro et sa mise en place, les marché ne soient pas ouverts (donc une nuit en semaine voire un weekend au mieux).
On peut également soulever une objection juridique sur la limitation de la circulation des capitaux telle qu’elle serait nécessaire en cas de sortie de l’euro, cette dernière s’opposerait à l’article 26, par. 2 du TFUE qui dispose que « le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ».
Et que devient la dette d’un pays en euro ?
L’argument utilisé le plus souvent est le que les dettes émises en euro s’apprécieront lors d’une dépréciation de la nouvelle monnaie. Si vous dépréciez le « franc » et que vous avez des dettes en euro, alors la valeur de votre dette explose. Or le point clef n’est pas la monnaie dans laquelle la dette a été contractée mais la juridiction du contrat [11] Si la dette est émise dans la juridiction du pays sortant de l’euro, le transfert dans la nouvelle monnaie est possible. Donc si la France a des dettes en euro, ces dernières pourraient être transformées en « francs » et donc ne pas s’apprécier.
Pour ce qui est de la dette non émise dans le droit du pays sortant de la zone euro, c’est le principe Lex Monetae qui s’applique. Et pour le restant, la majorité des dettes émises hors zone euro étant en droit anglais ou New-Yorkais, ce seront les tribunaux qui trancheront sur la convertibilité de la dette. Ce sont les dettes de ces deux dernières catégories qui pourraient s’apprécier.
Selon les partisans de la sortie de la zone euro, les divergences économiques entre les pays sont une condition structurelle nécessaire et suffisante pour générer une crise durable. Une sortie de la zone euro devient donc inéluctable pour permettre une dévaluation et ainsi regagner de la compétitivité sur une courte période. Néanmoins, cette sortie doit s’effectuer sur un temps très court afin d’éviter des fuites des capitaux qui pouvant réduire à néant le système bancaire. Cette condition peut-elle être remplie ?
1. Le 11 mai 2014 à 02:33, par Chamaillé En réponse à : Sortir de la zone euro : aspects économiques
Article intéressant qui change des imprécations et autres eschatologies européistes habituelles, cela fait du bien !Tous les arguments que vous avancez sont justes il me semble que vous en oubliez qui changent radicalement la perception de la question, par exemple :
– Comme vous l’avez rappelé, l’euro est davantage politique qu’économique (malgré ce qui fut dit en 92...) Une sortie l’est donc tout autant. Les préoccupations économiques ne sont donc pas les seuls moteurs du rejet de la monnaie unique. Il faut ici prendre en compte la volonté du peuple de reprendre en main une partie considérable de sa souveraineté, c’est à dire la capacité à choisir et non plus à subir (comme c’est le cas avec une BCE indépendante et un collège 18 « pays »).
– Toujours sur des questions politiques plus qu’économiques il faut en effet prendre en compte le coût important des transferts entre les espaces géographiques mais cela est vain si on y intègre pas la notion de consentement. Il faut que s’exprime une solidarité entre ces espaces pour que les transferts soient possibles, or l’inexistence d’un peuple européen et le peu de liens réels qu’entretiennent certains pays (Europe de l’ouest avec les pays baltes par exemple, et dans une moindre mesure d’Europe centrale.) invalide de facto la légitimité de ses transferts aux yeux de certains contributeurs (les nets le plus souvent). En somme pourquoi ces sommes ne seraient-elles pas utilisées pour le pays lui même (surtout en temps de crise) ou pour le développement de pays proches (Afrique de l’ouest et Maghreb pour la France par exemple).
– La maitrise de la monnaie permet ensuite une monétisation partielle de la dette et donc un gain sur les intérêts de celle-ci ou un financement « gratuit » de dépenses d’investissement sans effet majeur sur l’inflation dès lors que l’usage n’est pas abusif. On peut ajouter qu’une inflation plus importante pourrait même représenter un élément de dynamisme pour l’économie. L’euro est une monnaie de rentier parfaitement adaptée à la situation allemande de vieillissement mais pas pour un pays plus jeune comme le nôtre.
– J’ai lu que le pourcentage de la dette touchée par une dévaluation après conversion serait de l’ordre de 15 % du montant actuel, ce qui, sans être négligeable, n’est absolument pas la catastrophe présentée parfois (surtout avec d’éventuel gain sur les intérêts).
– Enfin, il me semble important d’indiquer que si la France sortait de l’euro, il est très improbable que la monnaie unique survive, en vertu de quoi c’est un ajustement monétaire généralisé qui devra se mettre en place. Les importations ne seraient en conséquence pas plus chères en soi, mais plus chères pour les produits allemands et moins chers pour les produits espagnols.
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