Stabilité finlandaise et bouleversement européen

, par Alexis Vannier

Stabilité finlandaise et bouleversement européen

Après deux présidences en 1999 et en 2006, la Finlande prend une troisième fois la tête du Conseil de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2019. L’occasion pour elle de partager sa stabilité à une Union qui vit de nombreuses turbulences en ce moment, pour le meilleur et pour le pire.

Un programme commun entre stabilité et banalité

Comme depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009, la présidence du Conseil de l’Union européenne se fait sur le mode d’une rotation de trois pays sur trois fois six mois. C’est ainsi que depuis le 1er janvier 2019, c’est le triplet Roumanie-Finlande-Croatie qui assure cette présidence tournante À tour de rôle ce sont les ministres roumains, puis finnois puis croates, qui présideront les réunions des différentes formations (économique et financière, sociale, agriculture…).

Si les États membres ont souhaité instituer cette nouvelle configuration, c’est pour permettre aux nouveaux adhérents d’assurer cette présidence plus rapidement, abandonnant enfin le système alphabétique qui a d’ailleurs permis à la Belgique et à Bruxelles d’abriter fortuitement la capitale de l’UE. [1]

De plus, cette nouvelle formation permet une cohérence et une stabilité profitables à l’efficacité des politiques européennes. Ainsi, les grandes lignes d’un programme commun sont décidées par les trois pays et sont détaillées et mises en œuvre tout au long de leur présidence, programme adopté le 18 décembre dernier. Peu d’originalité dans les chantiers entrepris par le trio : pour répondre aux changements structurels de l’économie européenne, une Union pour le travail, la croissance et la compétitivité ; pour répondre aux menaces brandies par certains politiques concernant le terrorisme et l’immigration, une Europe qui protège les citoyens et une Union de liberté, sécurité et justice ; pour répondre aux urgences environnementales, une Union de l’énergie ; pour répondre aux enjeux diplomatiques internationaux, une Union comme acteur mondial de premier plan.

Il n’est pas question que le pays qui assume ce rôle de président pendant six mois recycle son agenda de politique intérieure à l’échelle européenne, néanmoins, une spécialisation dans un domaine donné pourrait, pourquoi pas, servir les intérêts européens voire braquer davantage les micros et projecteurs sur une institution de l’UE encore trop confidentielle. Les efforts poursuivis par certains gouvernements dans une politique spécifique peuvent néanmoins être source d’inspiration, comme l’a montré l’exemple estonien en 2017 avec le numérique.

Une orientation plus précise doit être donnée par chaque pays, néanmoins, en raison d’un contexte national et européen riche de turbulences, le nouveau gouvernement finlandais ne l’a pas encore dévoilée. Le budget prévu avoisine les 70 millions d’€. Preuve d’une volonté de stabilité -ou de manque d’intérêt ?- l’identité visuelle choisie par le gouvernement finlandais est la même que celle utilisée en 2006. Selon les mots de son designer Timo Kuoppala, la couronne de pétales vert d’eau flottant dans la brise symbolise la croissance, la transparence et la cohésion.

Une nouvelle présidence « de la dernière chance » ?

La troisième présidence finlandaise du Conseil de l’UE intervient alors que l’Europe est en pleine transformation. Tout d’abord, d’un point de vue national, la Finlande a renouvelé son Parlement, l’Eduskunta, en avril dernier permettant au socialiste Antti Rinne de former un gouvernement europhile allant de la gauche radicale aux centristes en passant par les Verts. Une victoire des nationalistes Vrais Finlandais faisait craindre une nouvelle présidence tenue par un gouvernement, en partie du moins, populiste et eurosceptique après celle de l’Autriche l’an dernier.

De plus, la Finlande succède à la Roumanie. La première présidence de ce pays aura surtout mis en lumière les tentatives désespérées du pouvoir socialiste de se dépêtrer de scandales de corruption et de détournement de fonds publics. La désignation du chef du Parquet européen aura même donné lieu à un psychodrame que les scénaristes hollywoodiens n’auraient certainement pu imaginer. La Finlande aura donc la lourde tâche de finaliser ce roman-savon dont seule Bruxelles a le secret.

Alors qu’elle était prévue pour la présidence roumaine, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a été -mainte fois- repoussée. Cette saga interminable n’en finit plus de lasser Britanniques et Européens. Alors que le grand blond à la dent acérée Boris Johnson semble favori pour succéder à Theresa May au poste de Premier Ministre, la sortie est prévue le 31 octobre. La Finlande aura donc le cruel rôle de plier les bagages d’un État membre… du moins jusqu’au prochain report. Enfin, la Finlande prend ce 1er juillet les rênes d’une Europe renouvelée par les élections de mai dernier. Celles-ci ont créé la surprise à plusieurs égards. Tout d’abord, la participation en nette hausse par rapport à la baisse continue depuis 1979. De plus, de manière plus attendue, les partis traditionnels de gauche et de droite ont accusé un net recul, leur faisant perdre leur majorité, au profit de la montée des populistes, des libéraux et des écolos. C’est un Parlement fragmenté qui devra valider le choix de la nouvelle Commission dans les prochains mois, choix d’un Conseil européen lui aussi divisé confirmant les remises en question du système du Spitzenkandidaten.

Le manque d’ambitions voire de moyens accordés par les États-présidents, l’actualité européenne brûlante, un court-termisme politique navrant et une transparence tout juste idéalisée sont autant d’éléments empêchant une réelle efficacité de ce système de présidence tournante. Relique d’un intergouvernementalisme indécrottable ou moyen de mobilisation des États, ce système a au moins le mérite de faire parler des pays qui ont du mal à se faire entendre.

Notes

[1LAMANT L., Bruxelles chantier, Montréal, Lux Éditeur, 2018.

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