Sviatlana Tsikhanouskaya : la diplomatie de l’espoir

, par Nika Valmontone

Sviatlana Tsikhanouskaya : la diplomatie de l'espoir
Svetlana Tsikhanouskaya, présidente du gouvernement en exil du Bélarus, au Parlement européen en 2020 (crédit : Parlement européen)

En un an, Sviatlana Tsikhanouskaya, la leader démocratique du Bélarus, forcée à l’exil depuis les élections présidentielles tronquées d’août 2020, est devenue la voix et l’espoir de son peuple sur la scène internationale. Ancienne professeure d’anglais, dévouée à sa famille et ayant tenté d’entrer dans le monde de la politique seulement aux dernières élections, poussée par l’enchaînement chaotique des événements, elle est aujourd’hui la représentante officielle, pas seulement de son mari, maintenu derrière les barreaux depuis sa tentative avortée de se présenter aux élections en printemps 2020, mais bien de toute la « nation torturée ».

En douze mois, elle a rencontré plus de 30 présidents et premiers ministres, dont la majorité sont des dirigeants de pays de l’Union européenne. Son compte Twitter est devenu digne de celui d’un politique chevronné. Son agenda est quotidiennement rempli par d’éminentes réunions, où elle est chaleureusement accueillie par les principaux dirigeants européens et américains. Elle a remporté le prix Sakharov en 2020 et a été nommée pour le prix Nobel de la paix par le président lituanien en 2021. Elle s’est adressée aux étudiants de Sciences Po, ovationnée à l’issue de son intervention. Le Conseil de coordination, dont elle a pris l’initiative lors des événements d’août 2020 et dont les membres ont dû faire face à de graves répressions de la part du régime, travaille sans relâche à l’organisation de nouvelles élections équitables au Bélarus et à la mise en œuvre de réformes profondes qui feraient de la dernière dictature d’Europe enfin une démocratie.

La posture de Tsikhanouskaya est un phénomène sans précédent dans le monde post-soviétique. Pour la première fois dans l’Histoire du Bélarus indépendant, sa présidente légitime a rendu visite à un nombre impressionnant de dirigeants de l’UE, a participé au travail de la commission d’Helsinki et a rejoint les intervenants des conférences organisées par des universités occidentales réputées. Aucun autre leader démocratique forcé à l’exil n’avait émergé sur la scène internationale, avec une présence diplomatique et politique aussi forte, comme Tsikhanouskaya, prêchant constamment auprès des démocraties de maintenir son pays sous pression et de ne pas oublier l’enjeu démocratique dans ce dernier.

La nécessité de cet appel est plus que pressante. Le régime, qui a forcé Tsikhanouskaya à l’exil, maintient le pays sous son emprise autoritaire depuis près de trois décennies et mène depuis août 2020 des répressions inédites et violentes. Sur son compte Twitter, Mme Tsikhanouskaya a indiqué qu’au 9 août 2021, le régime avait maintenu derrière les barreaux plus de 600 prisonniers politiques, avait placé en détention environ 36 000 Bélarusses pour des motifs politiques. Depuis les élections de 2020, la dictature a constamment ciblé ses opposants, résidant dans le pays ou même à l’étranger. Par ailleurs, outre les répressions nationales massives, le régime s’est impliqué cet été dans le terrorisme international en détournant un avion européen pour arrêter un opposant et journaliste et a fait preuve d’un mépris fort envers l’Union européenne d’une part, en quittant le Partenariat oriental et d’autre part, en déclarant une guerre hybride à la Lituanie et à la Pologne à travers des flux migratoires importants.

Sviatlana Tsikhanouskaya et son équipe ne cesse d’alerter les démocraties de ces atrocités. Depuis un an, la communauté internationale a assisté à un nombre impressionnant de poignées de mains diplomatiques, d’entretiens sur les principales chaînes de médias nationales et d’appels forts à augmenter la pression sur le régime de Loukachenko. Elle n’a cessé de réclamer des sanctions sectorielles et non seulement des sanctions individuelles, telles que des interdictions de voyager et des gels d’avoirs, ces dernières étant largement privilégiées par l’UE. Elle a souligné la nécessité d’élargir les possibilités d’entrée sur le territoire européen pour les étudiants bélarusses soumis à la répression et à simplifier la délivrance de visas pour la population qui, dans sa majorité, est actuellement incapable de voyager et de séjourner en Europe. Elle a proposé d’organiser une conférence internationale sur le Bélarus et tenté de convaincre le FMI de ne pas allouer le milliard de dollars au Bélarus dans le cadre de son programme de droits de tirage spéciaux, arguant que le régime s’en servirait sans attendre pour intensifier la répression et financer les oligarques qui soutiennent le régime dictatorial. Elle a également exprimé sa gratitude au caucus bipartisan des “Amis du Bélarus”, constitué au Congrès américain, qui a demandé à la Maison Blanche de se tenir aux côtés du peuple bélarusse dans sa lutte pour la démocratie. Elle a également exhorté la communauté internationale à lancer une campagne d’urgence pour soutenir les médias indépendants bélarusses et a demandé que les responsables des actes criminels envers son peuple soient traduits en justice, « que ce soit au Bélarus libre, ou devant des tribunaux internationaux ».

Cependant, malgré plus d’un an d’efforts diplomatiques acharnés, le régime continue de causer des souffrances massives et le nombre de morts dû à la répression grimpe sans cesse. Et dans les moments de désespoir, il peut sembler que le statu quo ne sera jamais ébranlé par des mesures prises au niveau international, indéniablement louables mais désespérément insuffisantes. A cela s’ajoutent les perspectives hautement prévisibles d’une intégration encore plus étroite avec la Russie, qui, en plus d’une répression continue, érode pas à pas la souveraineté du Bélarus. En outre, les répressions de nature physique, psychologique et sexuelle, qui se produisent sans relâche envers les opposants du régime, peuvent faire penser que cette impunité grossière ne cessera pas ; que le Bélarus s’enfoncera systématiquement dans un état de plus en plus isolé et répressif, anéantissant à jamais l’espoir de construire un pays libre, indépendant et démocratique. Et pourtant, les visites diplomatiques de Tsikhanouskaya semblent avoir le pouvoir de changer ces sombres perspectives. Pour les démocraties occidentales il s’agit d’une diplomatie persévérante et réfléchie, fondée sur les valeurs européennes, pour des millions de Bélarusses, c’est avant tout une diplomatie de l’espoir. Le leader de la nation se tenant au milieu d’un parterre de drapeaux internationaux à Paris projette une vision forte de ce que pourrait être la diplomatie bélarusse après la chute du régime. Cette vision préserve l’espoir de voir, un jour, le Bélarus devenir membre à part entière de la communauté internationale, un État engagé dans une coopération politique et économique étroite avec les démocraties, étant profondément enraciné dans l’Histoire européenne et désireux de préserver soigneusement cet héritage. Et malgré les atrocités perpétrées au Bélarus, l’espoir ancré dans cette diplomatie ne peut être sous-estimé. Il s’agit d’un rappel puissant de la solidarité des démocraties occidentales envers cette aspiration à la liberté. Cet espoir se nourrit de la reconnaissance d’une volonté, d’une foi et d’un courage exceptionnels du peuple bélarusse et de sa représentante, rappelant inlassablement au monde que le chemin vers la démocratie est long et douloureux, et qu’il peut très rarement être parcouru seul.

C’est ce que rappelle Sviatlana Tsikhanouskaya lors de ses visites diplomatiques, et c’est ce que les Lituaniens, les Lettons et les Estoniens ont réussi à faire à la fin de l’été 1989 : rester unis. Cette promesse donne de l’espoir à tous ceux qui sont isolés du monde démocratique, à ceux qui ne peuvent franchir librement les frontières, à ceux qui sont persécutés ou qui ont trouvé un refuge en Europe ; à ceux qui luttent pour la démocratie de leur pays depuis l’étranger et surtout à ceux qui sourient sereinement derrière les barreaux sachant que le renouveau est proche.

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