La confirmation de l’engagement suédois
Après avoir envoyé, en février 2021, 150 militaires, trois hélicoptères d’assaut (UH-60 Black Hawk) et un avion de transport (C-130 Hercule) aux forces spéciales, la Suède est désormais aux commandes de la Task force Takuba. C’est le colonel Peter [1] du Särskilda Operations Gruppen, le groupe des opérations spéciales des Forces Armées suédoises, qui en prend la tête. Il s’agit de la première fois que la task force est dirigée par un officier non-français, un an après que la mission ait atteint son niveau opérationnel en mars-avril 2021.
Une force avant tout opérationnelle
La force d’intervention Takuba est composée d’un poste de commandement, deux Task Groups encadrant une Unité légère de reconnaissance et d’intervention malienne chacune – l’une franco-estonienne, l’autre franco-tchèque –, et d’une force de réaction rapide héliportée, armée par les Suédois. En juin 2021, onze États avaient déjà signé une déclaration commune de soutien à l’opération. Parmi eux, huit ont envoyé des forces spéciales, pour constituer les 600 militaires de la force, agissant dans la région du Liptako malien et répartis entre Gao et Ménaka.
Takuba, un laboratoire d’intégration européen
Takuba n’est pas qu’une force opérationnelle militaire. Elle est surtout un « laboratoire d’intégration au combat des partenaires européens » dans l’esprit du président français Emmanuel Macron, à l’initiative de ce projet en janvier 2020. C’est aussi une source d’engagement politique européen pour les chefs d’État et de gouvernement. Par exemple avec l’Italie, déjà présente depuis le mois de mars 2021, qui a annoncé en septembre un renfort de déploiement de 150 à 200 militaires, 20 véhicules et 8 hélicoptères (dont 4 d’attaque A129 Mangusta). Cela fera prochainement d’elle le second contributeur en moyen humain, derrière les français (300 soldats français).
De l’autre côté du continent, le ministre lituanien de la Défense Arvydas Anusauskas a annoncé, lors du Conseil de défense du 18 octobre, engager la Lituanie avec la participation future d’un avion de transport (Spartan), comprenant ses pilotes et une équipe logistique. C’est aussi le cas de la Hongrie, où le parlement a voté fin septembre la proposition gouvernementale pour « enclencher sa participation ». Avec ce vote, c’est l’assurance de l’engagement de 80 militaires maximum sur deux ans, dont un premier déploiement d’une vingtaine de commandos fin 2021. L’intérêt pour son chef de gouvernement, Viktor Orban, en proie à de nombreuses polémiques sur la scène européenne, étant de participer à la sécurité euro-atlantique et surtout l’endiguement de la pression migratoire par l’Afrique sahélo-saharienne.
Une task force largement dépendante des contributions nationales
La participation suédoise a pourtant vocation à s’atténuer. Le gouvernement suédois a d’ores et déjà annoncé pour le dernier trimestre 2022 un retrait partiel de ses troupes, en maintenant son unité médicale et des officiers d’état-major. C’est le lot de toute opération militaire que de dépendre de l’évolution de la posture de ses participants et encore plus dans le cadre de l’IEI (initiative européenne d’intervention) qui s’extrait du cadre formel d’approbation des missions et opérations de la PSDC. Traditionnellement, celles-ci doivent être approuvées à l’unanimité par les 27, comme cela a été le cas pour la mission de formation de l’UE au Mali (EUTM Mali) lancée en 2013. Dans le cadre de l’IEI, le procédé est plus flexible puisqu’un État peut proposer à un ou plusieurs autres États volontaires une participation commune et propre à eux.
Assister et former les forces armées maliennes
Cette force a pour objectif d’apporter conseil, assistance et accompagnement (Assist, Advise, Accompagny) aux combats aux Forces armées maliennes (FAMA) à l’aide d’unités d’élite que sont les forces spéciales. En pratique, elle est un renforcement de l’opération française Barkhane, initiée en 2014 pour sécuriser la bande sahélo-saharienne dans la lutte contre les groupes armés terroristes, avant d’en devenir petit à petit son substitut. L’initiative de cette force s’inscrit donc dans la conception d’une « défense européenne », c’est-à-dire dans une intervention extérieure au continent. Il faut comprendre dans cette conception le caractère opposé à la défense du territoire, qui est une prérogative de l’OTAN. Mais bien plus, cela illustre aussi la construction, sujette à débat, d’une puissance européenne, autonome et forte de sa propre doctrine, dans un monde multipolaire et de plus en plus instable. [2]
Une prise de commandement qui n’est pas sans risque
Néanmoins, cette prise de commandement suédoise, tout comme le soutient de nombreux pays à cette force, sont conditionnés politiquement à deux risques. D’un côté, l’instabilité politique du Mali, qui a vécu en 2021 un double coup d’État militaire après celui de l’année précédente, et de l’autre, la possibilité d’une nouvelle présence internationale dans le pays. L’annonce du colonel malien, à la tête du coup d’État, d’une arrivée possible de mercenaires de la société militaire privée russe Wagner, afin d’assurer la protection de hautes personnalités du pays entre autres, a en effet créé un malaise chez les Européens. Pour rappel, la Russie est perçue comme une menace grandissante pour l’intégrité des frontières de nombreux États européens à l’est comme au nord, notamment après son intervention musclée en Ossétie du Sud (Géorgie) en 2000, et son annexion de la Crimée en 2014. Annonce sans acte pour l’instant, cette situation est pourtant révélatrice de la fragilité de la « puissance » européenne sur la scène internationale.
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