Terrorisme : De quoi l’Europe est-elle responsable ?

, par Sidonie Dastillung

Terrorisme : De quoi l'Europe est-elle responsable ?
Mardi dernier, les députés européens ont débattu d’une série de mesures pour renforcer la sécurité intérieure dans l’Union européenne. Une discussion parallèle à celle du Conseil pour adopter une stratégie commune de lutte contre le terrorisme. - © European Union 2014 - European Parliament

Très vite, après l’union remarquée des dirigeants européens autour de François Hollande et de Jean-Claude Juncker le 11 janvier, suite aux attentats perpétrés à Paris, s’est posée une question de fond : « Comment lutter contre la menace terroriste ? », rapidement complétée par deux autres : « A quand une réponse européenne ? », « Que faire contre l’islam radical ? ».

La France, en tant que pilier de l’Union, est touchée en tant qu’Etat national et en tant que puissance européenne. A l’heure où la réponse européenne s’organise au sein du Parlement européen, reconsidérons la place de l’Europe dans l’avènement de cette menace. Car à lire certains articles, il n’y aurait que des fautes européennes. Quand bien même l’Union ne serait pas exempte de reproches, est-ce là une expression fidèle du mal européen ? La critique de l’Union est peut être devenue de bon ton, mais je me dois de proposer une autre lecture des évènements.

Une impuissance de fait

La critique adressée à l’Union européenne n’est probablement pas dénuée de fondements. Où étaient les dispositifs européens censés empêcher les attentats de survenir à moins d’un mois d’intervalle à Paris et à Copenhague ?

Dans ces conditions, on voit mal comment de tels attentats pourraient signifier autre chose que l’échec de l’Union. L’appel adressé par Benyamin Netanyahou aux juifs européens se comprend ainsi : si l’Union européenne n’est pas capable de protéger ses citoyens, d’autres sont en mesure de prendre au sérieux la gravité des menaces contemporaines. L’Europe est-elle donc impuissante à assurer la protection de ses citoyens ?

Une lecture des maux européens

Cette lecture paraît d’autant plus justifiée qu’on peut multiplier les arguments qui renforceraient la responsabilité de l’Union. Du côté des dispositifs techniques de surveillance, n’existeraient ni fichiers pouvant permettre la surveillance des individus menaçants, ni contrôle des moyens par lesquels ces individus le deviennent. Bruxelles est accusée de céder son pouvoir aux grandes compagnies de l’Internet, dont elle ne parvient pas à endiguer le monopole. Du côté de la politique conduite par l’Union, plusieurs reproches lui sont adressés notamment à propos de la coordination des politiques de sécurité. Du côté de ses valeurs enfin, l’Union serait soit inexistante, soit exclusive : elle ne serait pas porteuse de valeurs fédératrices auprès de jeunes en errance identitaire.

Cette lecture est cependant simplificatrice car elle omet volontairement de mentionner que la stratégie pour lutter contre le terrorisme a été mise en œuvre depuis le début des années 2000 par l’Union européenne. Pourquoi ne parle-t-on pas de l’existence d’un coordinateur de lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, nommé en 2007 ? Qui a entendu parler de la réunion de 2004 sur la stratégie contre le mouvement de radicalisation et de recrutement des terroristes ? Nul n’est censé ignorer encore, qu’une réflexion occupe l’Union européenne sur la place qu’elle doit avoir dans la gouvernance mondiale d’Internet, et le modèle de société numérique qu’elle souhaite voir advenir. Est-ce à dire que les critiques ne sont que mauvaise foi ?

De beaux principes ?

On pourrait d’abord considérer que cette stratégie élaborée ne correspond qu’à des intentions louables, mais sans efficacité concrète. A l’inverse de cela, et pour ceux qui oublieraient de mentionner les dispositifs institutionnels de droit mis en place, nous ne pourrons que renvoyer à la liste que la Commission européenne a produite, à la suite des attentats parisiens. On y lit ainsi que depuis 2004, plusieurs outils de coopération judiciaire, tels que le mandat européen ou l’ECRIS, European Criminal Records Information System, favorisent le transfert d’informations à propos des suspects ou sur le casier judiciaire, utilisées par les services de sécurité européens.

Un réseau de sensibilisation à la radicalisation existe, qui rassemble plusieurs experts, présents au sein des services et secteurs sociaux des différents Etats, associations, forces de police. Enfin, l’Union européenne agit sur le financement de la lutte contre le terrorisme, même s’il n’est pas assez important. Un budget de 3,8 milliards d’euros a été ainsi alloué en 2014 au Fonds de Sécurité Intérieure, pour une période allant jusqu’à 2020. Le projet du PNR dont on parle actuellement n’est que la continuité de la politique poursuivie par l’Union européenne depuis des années.

Une identité et un modèle de civilisation en réponse de fond

Si les critiques semblent aussi contestables, c’est du fait même de l’existence d’un modèle européen, qui s’oppose aux idéologies de la haine et de la violence. Il n’est pas possible de laisser dire que l’Europe favorise un vide identitaire, dans lesquels des jeunes perdus trouveraient un moteur pour les idéologies extrémistes. L’Union est l’identité même qui s’oppose au fanatisme. Si on prenait soin de revenir à ses origines philosophiques, on s’apercevrait qu’elle est d’abord la recherche d’une diffusion universelle de la raison pensante, qu’incarne aujourd’hui le combat pour la démocratie. L’Europe, c’est d’abord celle des Lumières, qui se construit comme opposition à l’idéologie aveugle, où la raison sombre dans l’illusion du savoir. L’Union européenne, qui en est l’héritière, c’est l’Europe de la liberté et de la paix, qui permet la libre conscience.

Et il ne faudrait pas conclure que parce qu’elle est philosophique, cette Europe est abstraite. Rien n’est plus concret que les principes que consacre la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît les principes de libre conscience et de libre opinion. On oublie également qu’elle est à l’origine d’une conception positive de la laïcité. Rien n’est plus concret encore, que le modèle d’éducation d’échange et d’ouverture qu’elle incarne avec Erasmus. Rien n’est plus concret enfin que la ferveur que met le Comité économique et social européen à favoriser une société civile participative sur le modèle du débat public. C’est précisément parce que le modèle européen donne à penser de cette manière, qu’il est susceptible de recevoir toutes les critiques qu’on lui adresse et toutes les remises en cause, qu’il souhaite intégrer à son modèle.

Aussi, il ne faut certainement pas entretenir les inquiétudes que nourrissent actuellement l’établissement du PNR. Car l’Union européenne ne peut pas vouloir une réponse au terrorisme, qui supprime les libertés. D’où son insistance pour rappeler qu’elle place cette exigence au cœur de sa recherche. C’est précisément parce qu’elle est soucieuse de faire respecter les droits qu’elle a consacrés que l’Union tarde parfois à apporter les réponses qu’on attend d’elle.

La responsabilité de l’Union européenne

En fondant son modèle de civilisation sur la raison, la liberté et la paix, qu’elle cherche à mettre en œuvre, bien qu’imparfaitement, dans ses institutions politiques et sa politique éducative, l’Union européenne constitue en elle-même une opposition forte contre le terrorisme.

Il existe cependant bien une responsabilité de l’Union, qui consiste à ne pas suffisamment revendiquer l’existence de son propre modèle de civilisation, à ne pas faire assez efficacement savoir ce qu’elle fait et réussit dans le succès de ce modèle. En cela, on ne peut que regretter de voir les institutions utiliser si insuffisamment les nouveaux moyens de communication. Car en cela réside une des grandes différences entre les puissances américaine et européenne : l’Union ne se revendique jamais en tant que modèle, ou trop rarement.

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