À la suite des récents attentats en France et en Autriche, renforcer les frontières externes de l’UE, pour lutter contre le terrorisme, est devenu un enjeu central dans les échanges entre les Etats membres. Dans ce contexte, est-ce efficace et pertinent de bâtir des murs de plus en plus élevés face aux menaces de sécurité, ou faudrait-il plutôt réfléchir à un « saut fédéral », pour que l’UE puisse disposer des pouvoirs pour protéger ses citoyens ?
Le 13 novembre les Ministres de l’intérieur de l’UE ont adopté une déclaration sur les récentes attaques terroristes et annoncé que des nouvelles mesures seront prises d’ici la fin de l’année, avec un fort accent sur le besoin de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’UE. Ces sujets ont également été l’objet d’un échange entre les députés européens en présence de la commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson, et de la présidence allemande du Conseil le 16 novembre. La Commission européenne a, entre autres, annoncé qu’elle présenterait début décembre un plan d’action sur la lutte contre le terrorisme.
Déjà le 10 novembre, à la suite des attentats de Nice et de Vienne, le Président français Emmanuel Macron et le chancelier autrichien Sebastian Kurz avaient convoqué un « mini-sommet » pour échanger avec la chancelière allemande Angela Merkel, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Président du Conseil européen Charles Michel, sur comment modifier Schengen et renforcer les frontières extérieures de l’UE afin de lutter contre le terrorisme.
Est-ce vraiment la solution ? Rétablir les contrôles aux frontières, limiter la liberté de circulation et compter sur la coopération policière pour lutter contre le terrorisme ? Plutôt, n’est-il pas temps de faire un bond en avant dans le secteur de la sécurité européenne ? Dépasser la simple coopération policière et judiciaire, et lancer un débat pour confier un « pouvoir coercitif » aux institutions européennes pour lutter contre la criminalité transnationale organisée, la mafia et le terrorisme sur le territoire de l’Union ?
L’exemple de Vienne montre que les attentats ont pu avoir lieu à cause des erreurs des forces de sécurité autrichiennes qui ont ignoré les avertissements de la Slovaquie et de l’Allemagne sur les dangers possibles d’une attaque sur le sol autrichien.
Aujourd’hui encore, dans l’UE, les États membres conservent leur pleine souveraineté en matière de sécurité intérieure, extérieure et en droit pénal. Notre sécurité dépend en grande partie de la coopération entre les forces de sécurité - police et justice - et du rapprochement et de l’harmonisation des législations entre les États membres. Il n’existe pas de véritable salle de contrôle en matière de sécurité, capable de prendre les décisions immédiates de coercition, qui sont plutôt confiées à chaque État membre. Il ne reste donc qu’une coopération essentiellement basée sur le partage d’informations, de données, de procédures.
Différentes agences ont été mises en place : Europol, pour la coopération policière ; le Collège européen de police (CEPOL) ; Eurojust, pour la coopération judiciaire en matière pénale ; l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), chargée des questions relatives aux droits fondamentaux et à la discrimination ; l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) ; le Corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), responsable de la coordination du contrôle aux frontières extérieures ; le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) ; et l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice (eu-LISA). Chacune d’elles soutient la coopération mais n’agit pas activement sur le terrain.
Rapidité, pragmatisme et énormes capitaux permettent aux organisations criminelles et terroristes d’adapter promptement leur organisation pour contourner les lois et utiliser au maximum le potentiel
des technologies les plus sophistiquées. En particulier, les organisations criminelles et les groupes terroristes ont appris à profiter à leur propre avantage des différences entre les législations d’un État européen à l’autre et de la lente et insuffisante coordination entre les forces de l’ordre et la justice européenne.
Pour lutter contre le terrorisme et éradiquer les organisations criminelles, nous devons sortir de la simple logique défensive du contrôle des frontières et du territoire national et passer à l’attaque : dotons l’UE des moyens et des institutions adaptés à prévenir et à combattre le terrorisme et les organisations criminelles.
Malheureusement, ces pouvoirs et compétences relèvent de domaines qui ne peuvent pas être "communautarisés" comme d’autres compétences, par exemple dans la sphère commerciale européenne : la sécurité et la défense sont des éléments essentiels d’un État, qui ne peuvent être exercés que par des institutions pleinement démocratiques, dont l’Union européenne, malgré les progrès accomplis, ne dispose pas encore.
Les notions d’Europe « résiliente », « puissance globale », Europe « qui protège » sont de plus en plus fréquentes dans les discours de la Présidente von der Leyen et du Président Emmanuel Macron. Pourtant, peut-on véritablement construire cette Europe sans doter l’UE de la légitimité et des institutions propres à un vrai Etat ?
La seule voie pour atteindre une sécurité européenne durable contre le terrorisme, est de compléter le processus d’intégration européenne à travers le « saut fédéral » et doter l’UE d’un pouvoir de coercition de dernier ressort, contrôlé par un Parlement effectivement démocratique et un gouvernement devant lui responsable politiquement.
La Conférence sur l’avenir de l’Europe – que nous espérons voir lancée rapidement – sera l’occasion de faire remonter la nécessité du saut fédérale : une Europe qui protège ses citoyens ne peut qu’être une Europe avec le pouvoir de le faire.
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