Trois ans après le référendum catalan, l’UE coupable de « sécession démocratique »

, par Antoine Potor, Théo Boucart

Trois ans après le référendum catalan, l'UE coupable de « sécession démocratique »
Le Président de la Généralité de Catalogne, Quim Torra. Crédit : « Presidente Puigdemont » via Wikipédia

OPINION. Depuis le référendum de 2017, Madrid s’efforce d’étouffer les velléités d’indépendance de la Catalogne. Son ancien Président, Carles Puigdemont a été poussé à l’exil, certains dirigeants ont été arrêtés et emprisonnés, au mépris de l’État de droit. Cette « reconquête » du pouvoir central a débuté avec Mariano Rajoy, depuis remplacé par le socialiste Pedro Sanchez. Près de trois ans après le référendum, où en sommes nous ?

Un statut d’autonomie à part

Pour comprendre la situation actuelle en Espagne il est nécessaire de comprendre son organisation. Depuis la mort de Franco et le retour d’une Monarchie constitutionnelle, le pays s’est doté d’une Constitution en 1978. Celle-ci accorde une importance particulière aux 17 Communautés Autonomes qui composent le pays. Ce principe se retrouve dès l’article 2 du texte, qui bien que proclamant l’indivisibilité de l’Espagne, « reconnaît et garantit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles », cela implique notamment la jouissance de « l’autonomie pour gérer leurs intérêts propres » (article 137).

Chacune de ces communautés dispose de son statut d’autonomie, concernant la Catalogne, sa version actuelle date de 2006, c’est une sorte de frontière entre les pouvoirs détenus par la Généralité Catalane (Generalitat Catalana) et par l’État espagnol. C’est ce qui permet à la communauté d’être dotée d’un Parlement et d’un Gouvernement dont l’actuel Président est Quim Torra, successeur de Carles Puigdemont.

Pourtant, ces dernières années ont été marquées par une montée en puissance du désir d’indépendance, alors que pendant des décennies, celle-ci apparaissait comme parfaitement hypothétique. Les premières manifestations de grande ampleur se sont déroulées à la fin des années 2000 à Barcelone et dans les grandes villes de Catalogne. La grande manifestation du 11 septembre 2012, date de la fête nationale catalane, a créé un tournant dans les esprits : l’indépendance de la région la plus riche d’Espagne semblait « inéluctable et imminente », pour reprendre les termes d’un grand spécialiste du nationalisme catalan, Cyril Trépier. Les élections du 25 novembre 2012, organisées par le Président de la Generalitat Artur Mas, prédécesseur de Puigdemont, ont été inédite par leur ampleur et leur finalité implicite, à savoir si oui ou non, les Catalans voulaient l’indépendance de leur région.

Tout cela a amené la consultation du 9 novembre 2014, symbolique mais largement remportée par le vote pro-indépendance. Les résultats sont retoqués par le Tribunal Constitutionnel espagnol et Artur Mas est finalement poussé vers la sortie en 2016, en faveur de Carles Puigdemont, à l’époque maire de Gérone très peu connu du grand public. Ce changement est en outre intervenu après les élections anticipées du 27 novembre 2015 qui ont vu les partenaires de la coalition gouvernementale se déchirer sur la question de la sécession (l’Union démocratique de Catalogne étant défavorable).

Carles Puigdemont, avec sa coalition gouvernementale, sera celui qui organisera le second référendum sur l’indépendance le 1er octobre 2017, dont les conséquences seront bien plus lourdes que la consultation de 2014, puisque la large victoire du vote indépendantiste a mené à une déclaration officielle d’indépendance, puis à la répression madrilène, via notamment l’activation de l’article 155 de la Constitution, suspendant de jure les pouvoirs de la Generalitat, et ce jusqu’au départ de Mariano Rajoy début juin 2018.

La coalition gouvernementale actuelle, dirigée par le Socialiste Pedro Sánchez, semble être plus disposée à dialoguer, même si le climat de tensions n’est toujours pas dissipé et s’est même renforcé durant la crise du coronavirus.

De la doctrine Prodi à l’indifférence du Parlement européen

Face à cette situation très tendue, et qui risque encore de s’envenimer à mesure que l’on s’approche du 11 septembre, jour traditionnel de grandes manifestations dans les villes catalanes, que peut faire l’Union européenne ?

« Si une une partie d’un territoire d’un État membre cessait de faire partie de cet État, les traités ne s’y appliquerait plus ». Ces mots prononcés par Romano Prodi alors Président de la Commission européenne en 2004 sont repris depuis 2014 concernant les velléités d’indépendance de la Catalogne. Cette doctrine Prodi constitue aujourd’hui la colonne vertébrale de l’ignorance européenne, qu’il s’agisse des Institutions ou des États membres face aux évènements en Catalogne.

Au lendemain du second référendum d’indépendance, en 2017, Jean-Claude Juncker avait même déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une « affaire européenne », et qu’à son appréciation « l’Espagne [ne] viole [pas] l’État de droit ».

En réalité, cette doctrine a formé ce que l’on peut qualifier de « forme d’hypocrisie européenne » face à ce qui se passe en Espagne vis-à-vis de l’État de droit. Dans le même temps, les institutions et les États membres soulignent régulièrement - sans agir réellement - les écarts des gouvernements polonais et hongrois (pays d’Europe centrale). Alors que la sécession territoriale semble être un excellent alibi pour violer l’État de droit, ce sont bien les Institutions européennes qui se rendent coupable d’une forme de « sécession démocratique » en ne se rangeant pas du côté de ceux qui organisent des élections libres.

Lorsque l’on parle d’élections libres, on peut avoir en tête le référendum de 2017, mais les conditions de son organisation, sabotée par Madrid, peuvent peut-être remettre en cause ce statut. Cependant, en parlant d’élections libres et de sécession démocratique, il faut aujourd’hui davantage penser aux élections européennes de 2019, et ici le coupable est bien l’Union européenne.

Le constat est simple, les Institutions et le Parlement en tête ont délibérément abandonné un député européen dans les geôles espagnoles. Ce « coup de poignard » dont nous vous parlions en janvier dernier est une vraie blessure que l’Union européenne s’est elle-même infligée puisque l’Etat de droit est une de ses valeurs fondamentales, énoncées dans l’article 2 du TUE.

Pour rappel, après le référendum de 2017, de nombreux leaders indépendantistes dont Oriol Junqueras ont été arrêtés. D’abord poursuivis sur le fondement du délit de rébellion, les juges espagnols se sont rabattus sur celui de sédition qui ne leur était tout autant pas imputable. En effet comme l’a souligné Anthony Sfez pour Jus Politicum : « les leaders indépendantistes n’ont pas personnellement pris part au blocage des urnes [...] ils ne sont pas les auteurs matériels de l’infraction ».

A la suite de cette instruction strictement à charge, les élus catalans ont été condamnés à 13 ans de prison et d’inéligibilité en octobre 2019, or Oriol Junqueras avait été élu député européen en mai 2019, ce qui selon la Cour de Justice de l’Union européenne elle-même (décision du 19 décembre 2019) lui a conféré l’immunité parlementaire attachée à sa mission d’élu. C’était sans compter sur les autorités espagnoles qui, avec la complicité décomplexée du Parlement européen, ont ignoré la décision de la Cour de Justice européenne au mépris de la primauté du droit européen.

Il est clair qu’on ne peut plus s’étonner du caractère amorphe de l’action européenne concernant l’Etat de droit en Europe centrale, quand les Institutions vont bien au-delà du simple laisser-faire. En Espagne, l’Union européenne est complice d’une sécession démocratique.

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