Turquie et Europe : une Histoire contrariée

, par Volkan Ozkanal

Turquie et Europe : une Histoire contrariée
Le drapeau turc et européen flottant ensemble (crédit : Pixabay)

L’Histoire entre la Turquie et l’Europe est jalonnée de relations paradoxales. Tantôt proches, notamment au début des années 2000, tantôt lointaines, voire hostiles. L’Europe a toujours attiré la Turquie et cette dernière a toujours suscité l’intérêt géostratégique de l’UE. Pour autant, en cette nouvelle année, quelle sera la voie suivie pour les deux parties ?

La Turquie, porte d’entrée en Europe

L’Histoire de la Turquie a toujours été liée à l’Europe. D’un point de vue géographique - avec sa partie orientale allant d’Istanbul (notamment la Corne d’Or) jusqu’à Edirne, ancienne capitale ottomane jusqu’en 1453 et ville frontalière de la Bulgarie- mais également politique et stratégique, la Turquie faisant partie de l’OTAN depuis 1952 et aspirant à être membre de l’Union européenne depuis 1987. Un pays, avec son Histoire, ses richesses mais également ses parts d’ombre et ses défis au sein d’une région (le Moyen-Orient) « compliquée », pour reprendre les termes du Général de Gaulle.

D’un point de vue historique, les relations ont toujours existées notamment avec la célèbre alliance franco-ottomane de 1536 entre le Roi de France, François 1er et la Sublime porte de Soliman le Magnifique (Süleyman en turc), ayant matérialisée la possibilité d’entente entre le monde chrétien et musulman. Le fondateur de la République turque en 1923, Mustafa Kemal Atatürk, francophone et étant ouvert sur le monde occidental, s’est inspiré des valeurs européennes pour mettre en place une politique résolument tournée vers l’Europe notamment par l’instauration de l’alphabet latin et d’une laïcité “ à la française” de l’Etat. Une volonté qui a permis au pays de se tourner davantage vers l’ouest, délaissant alors quelque peu l’est de sa géographie. Dès lors, au-delà de ces considérations historiques, la Turquie a joué un rôle important pour l’Europe notamment par sa volonté d’adhérer à l’UE, volonté qui n’est toujours pas satisfaite après une attente qui excède aujourd’hui 35 ans et par la signature, en 1995, d’un accord d’union douanière entre la Turquie et l’Union. Malgré un intérêt de la jeunesse turque pour le modèle européen, aujourd’hui, c’est une identité teintée d’attirance et de rejet mutuelles qui peuvent définir les relations entre les deux entités. Pour autant, ces relations n’ont jamais suivi un cours tranquille allant du rapprochement à la confrontation, tout ça sur fond de problématiques rencontrées sur l’ensemble du continent qui ravivent le nationalisme et le repli.

Points de blocages et tournant européen raté des années 2000

Si la Turquie s’est tournée très tôt vers l’Europe et a envoyé ses ressortissants gonfler les rangs des travailleurs dès les années 1960 dans les pays d’Europe occidentale, l’arrivée au pouvoir du parti « islamo-conservateur », l’AKP, au début des années 2000 (« Parti de la justice et du développement ») de Recep Tayyip Erdoğan a rebattu les cartes au sein des instances européennes. La volonté de la Turquie, à l’époque, était de se conformer aux règles européennes par des réformes successives, ce qui a permis quelques avancées notables notamment grâce au tournant de 2004 avec l’arrivée au sein de l’UE des pays de l’ancien Bloc de l’est et de Chypre, dont la partie nord de l’île est occupée par la Turquie. Une arrivée chypriote qui avait laissée penser les observateurs que la réunification de l’île était possible et imminente.

Une période durant laquelle aussi bien en Europe qu’en Turquie, les relations étaient chaleureuses et sereines, du moins en façade, permettant ainsi de voir des possibilités d’amélioration sur l’ensemble des dossiers partagés par les deux voisins, la Turquie s’engageant même dans des réformes d’importance telles que « l’abolition de la peine de mort en 2002 et le soutien au « Plan Annan » visant à pacifier et réunifier les deux nations chypriotes divisées à la suite de la partition de l’île en 1974 » qui ont permis dès lors d’engager et poursuivre des « séries de négociations divisées en chapitres ». De grandes avancées pour un pays qui peut se braquer facilement sur ces sujets sensibles.

Des avancées supposées qui ont aidé la Turquie à se conformer au droit européen ainsi qu’aux respects des Droits de l’Homme, la Turquie étant membre du Conseil de l’Europe depuis 1950. Ce moment fut animé par la volonté de la part des Européens d’accompagner Ankara dans ces réformes, bien aidé par un Recep T. Erdoğan Premier ministre, qui souhaitait à l’époque s’attirer les bonnes grâces de l’UE. Cependant, toutes ces avancées se sont heurtées sur des réalités politiques notamment en France, avec l’arrivée au pouvoir en 2007 du Président français, Nicolas Sarkozy, hostile à tout processus d’adhésion de la Turquie aussi bien politiquement que géographiquement. Ceci a grandement contribué, dans un premier temps, à braquer les Turcs. De plus, la démographie turque, importante et jeune, a également constitué un frein aux négociations. Dès lors, à partir des années 2010, les premières tensions sont apparues, jusqu’à ce qu’éclate une double crise entre 2015 et 2016.

Tensions régulières entre la Turquie et l’UE à partir de 2015

Après les Printemps arabes de 2011 qui ont fais vaciller, puis tomber les potentats de Tunisie, d’Egypte et de Libye, un vent de liberté a soufflé un peu partout au Maghreb et au Machrek. En Syrie, à partir de 2011, le pays s’enfonce dans une guerre civile visant à destituer le président autoritaire Bachar El-Assad, provoquant dès lors un afflux de réfugiés aux portes de l’Europe, changeant de fait drastiquement la situation pour la Turquie. Pour l’Europe de 2015, confrontée à une arrivée sans précédent de personnes à ses frontières , le moment est à la division, entre l’Allemagne d’Angela Merkel ouvrant ses portes aux réfugiés et l’Europe centrale et orientale, menée par la Hongrie de Orban qui se barricade derrières des murs de barbelés. Pour la Turquie également, les choses changent, le pays devient un poste-frontière européen moyennant finances à l’Union pour garder ou renvoyer les réfugiés dans leurs pays respectifs, loin du territoire européen.

C’est dans ce contexte d’intensification des tensions qu’est organisée, le 15 juillet 2016, une tentative de Coup d’Etat visant à destituer le Président turc. Un putsch qui sera l’occasion pour le pouvoir présidentiel turc de stabiliser et de dictatorialiser son pouvoir, notamment par des purges et des interdictions de manifester. À partir de ce moment, entre l’Europe et la Turquie, les relations seront de plus en plus rudes, relations qui seront d’ailleurs tendues par l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en France. Dès lors, entre les présidents français et turc, les occasions ne vont pas manquer de se confronter. Adeptes d’une parole directe et sans ambiguïté, les deux hommes auront moultes occasions de s’affronter.

« Macron est un problème pour la France. Avec Macron, la France vit une période très dangereuse. J’espère que la France va se débarrasser du problème Macron le plus tôt possible » (R. T. Erdogan)

Cette multiplication de tensions montre que, désormais, l’Europe n’est plus la priorité pour la Turquie. La Turquie qui, sous la houlette du président Erdoğan, souhaite ressusciter la sphère d’influence de l’Empire ottoman, au Moyen-Orient (Syrie, Irak), dans les Balkans (Bosnie-Herzégovine, Albanie, Kosovo), ou même dans la péninsule arabique (Qatar). Le Président turc développe donc une certaine idée du pragmatisme, la Turquie semble ainsi s’éloigner de l’Europe en tant qu’entité institutionnelle et politique («  nous n’avons pas obtenu ce que nous souhaitions de l’UE ») mais n’abandonne pourtant pas l’idée d’être liée à l’Europe (« l’UE reste pour nous un partenaire stratégique de première importance »).

Dès lors, entre la Turquie et l’Europe, les relations risquent de ne plus être sous la sacro-sainte adhésion mais d’égale à égale, en tant que partenaires. Entre un pays qui souhaite désormais diversifier ses alliances et une Europe qui a du mal à parler d’une voix unique, il va être intéressant de voir quelle direction va donner la Présidence française du Conseil de l’Union européenne à la Turquie. Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdoğan souhaitent-ils réhabiliter l’Alliance entre François 1er et Soliman au milieu du concert européen et des problématiques de l’Union ? Difficile à dire aujourd’hui mais l’année 2022 risque de donner matière à réfléchir sur les identités liées et/ou antagonistes entre l’Europe et la Turquie. Reste à savoir si la route prise va aller vers l’Union ou la… désunion.

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