Cette création de poste d’ambassadeur auprès de la « Big Tech » peut paraître anodine. Cependant, elle représente une importante évolution de la perception de ces grandes organisations auprès des pouvoirs publics. Elle peut poser toutefois question : Gerard de Graaf se rend-t-il en Californie pour défendre les politiques européennes en matière de réglementation du numérique ou pour être un intermédiaire entre leurs demandes et les institutions communautaires ?
Cet ambassadeur de l’Union européenne n’est pas le premier à être envoyé auprès des grandes entreprises américaines du numérique. Le Danemark a été un précurseur avec la création de ce poste en 2017. Symboliquement, ces géants (Méta, Google, Apple) sont perçus aussi puissants que des États. Casper Klynge a défendu sa mission dans une interview au New York Times, et a expliqué :
Qu’est ce qui a la plus grande influence sur notre quotidien ? Un État du sud de l’Europe, ou en Asie du Sud-Est, en Amérique Latine, ou serait-ce les géants du numériques ?
La défense des intérêts européens
Une représentation diplomatique auprès de ces acteurs stratégiques est certainement nécessaire. L’intérêt d’un ambassadeur dans la Silicon Valley est similaire à celui d’un diplomate dans la capitale d’un État. Ledit envoyé tisse un réseau qu’il peut alors utiliser en fonction des besoins de son État. C’est particulièrement essentiel en période de crise. Les pannes ou attaques informatiques sont de plus en plus fréquentes. Le diplomate peut ainsi trouver des partenaires pour résoudre temporairement ou permanemment l’incident. Casper Klynge a par exemple réussi à convaincre certaines plateformes de supprimer plus rapidement des vidéos d’un citoyen danois tué lors d’une attaque islamiste.
Parallèlement, les États se concurrencent pour attirer talents et entreprises du secteur du numérique. Entre autres, la présidence de la République française organise chaque année une conférence « Choose France » pour convaincre des investisseurs de s’installer en France. Divers diplomates sont chargés de renforcer l’attractivité de leur marché auprès des acteurs économiques. Un ambassadeur a une influence plus forte. Il peut appuyer les efforts des différents représentants des 27 en Californie, et évidemment les politiques de la Commission européenne.
Un hussard noir du droit communautaire
L’Union européenne a récemment légiféré pour réglementer le secteur du numérique. C’est par exemple le cas de la récente loi sur les services numériques et de la loi sur les marchés numériques.
L’objectif de la première est de lutter contre la cybercriminalité mais aussi de réguler le marché du numérique (l’usage de la publicité par exemple). La deuxième vise à contrebalancer l’hégémonie des GAFAM avec des sanctions pouvant atteindre des milliards d’euros. Un ambassadeur de l’Union européenne dans la Silicon Valley peut défendre ces politiques et possiblement convaincre d’autres États de suivre le même chemin. Cependant, il doit veiller à ne pas se transformer en médiateur auprès de la Commission européenne au profit des géants du numérique.
L’Europe a des objectifs ambitieux en matière de souveraineté numérique. L’un d’eux est de doubler la production domestique de semi-conducteurs. Cela ne peut être fait qu’en coopérant avec les firmes californiennes. Il est inutile de manufacturer plus de ces pièces si elles ne sont pas achetées ou utilisées.
Les résultats de Gerard de Graaf en Californie dépendent largement des ambitions européennes et de la mission qui lui est conférée. Si ce n’est que pour assurer une présence dans ce technopole, pour promouvoir les échanges avec le vieux continent, alors l’envoi d’un ambassadeur n’est pas si nécessaire ; un représentant économique aurait suffit. En revanche, si le but recherché est de contrebalancer l’impressionnante influence des géants américains du numérique en négociant d’égal à égal, la tâche sera plus difficile et le poste plus adapté.
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