Un groupe de réflexion se penche sur le fléau de la corruption au sein de l’Union européenne

, par Jérôme Flury

Un groupe de réflexion se penche sur le fléau de la corruption au sein de l'Union européenne
Image : moerschy / Pixabay

Le think-tank du Club des Juristes, présidé par Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre français, constate, dans un rapport publié jeudi 19 novembre 2020, l’ampleur de la corruption à l’échelle de l’Union européenne et propose un paquet de mesures pour faire face à cette problématique.

Le constat est simple mais les chiffres vertigineux : Les pertes de l’Union liées à l’absence de protection des lanceurs d’alerte sont estimées entre 5.8 et 9.6 milliards d’euros [1]. Quant à la corruption, elle coûte chaque année jusqu’à 990 milliards d’euros à l’UE soit 6.3% du PIB européen [2]. Des montants colossaux qui sont complexes à estimer et sur lesquels s’est penchée une commission au sein du Club des juristes.

Cette commission compte 18 membres et un rapporteur, parmi lesquels on retrouve des professeurs, des avocats, mais aussi un ambassadeur de France, des représentants du Groupe Total, la directrice éthique et conformité du groupe Valeo, un référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne ou encore le directeur du centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE. Dans leur rapport, publié jeudi 19 novembre, les membres se prononcent notamment en faveur de l’instauration d’un droit européen concret dans le domaine.

Dans ce rapport final, “Pour un droit européen de la compliance”, Bernard Cazeneuve souligne que “les mesures importantes prises de longue date par la France” doivent être un motif d’espoir dans ce domaine afin “de faire de la conformité un élément de compétitivité sur la scène internationale”. La commission recommande “l’adoption d’un paquet compliance européen” et la structuration d’un droit continental en la matière. “C’est là l’une des conditions du rééquilibrage de la relation euro-atlantique” considère Bernard Cazeneuve.

Une demande en faveur d’un droit européen en la matière

21 recommandations émergent dans ce rapport qui constate cette corruption et qui appelle à une prise de conscience au niveau européen. C’est nécessaire afin de “protéger nos entreprises face au risque que représentent les procédures extraterritoriales américaines” et aussi plus simplement car “la lutte contre la corruption est une condition de la confiance des citoyens dans le bon fonctionnement des pouvoirs publics et du marché.” rappellent trois membres de cette commission spéciale dans les colonnes de La Croix.

La commission productrice du rapport rend, dans une première partie, des avis propres à la France, qui doit “achever son modèle de compliance”. Ses membres demandent de manière simple de transposer la directive 2019/1937 sur les lanceurs d’alerte, mais proposent aussi par exemple de créer un référentiel compliance anti-corruption, qui serait adapté aux collectivités territoriales.

Dans un second temps, les rédacteurs s’attaquent au niveau européen, proposant par exemple d’adopter un paquet européen anticorruption, qui passe par une imposition faite aux Etats membres de l’incrimination des faits de corruption. Ils proposent d’intégrer également des clauses anticorruption nécessaires à respecter dans les accords de partenariat économique entre l’UE et les Etats tiers et demandent d’étendre la compétence du parquet européen, créé cette année, dans le domaine. Enfin, ils appellent également à renforcer la coopération entre les Etats membres au sein d’Eurojust.

Une lutte contre la corruption limitée au sein de l’Union européenne

Parmi les constats que dresse la commission d’études, l’absence d’uniformité des législations en Europe. Plusieurs conventions existent, dont celle portant sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de l’Organisation de la coopération et du développement économique (OCDE). L’historique dressé par la commission mise sur pied par le Club des juristes met également en lumière le tardif développement de l’Union européenne en matière de lutte contre la corruption.

Parmi les décisions importantes, le placement de la corruption au rang des dix “eurocrimes” énumérés à l’article 83 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009. L’innovation “majeure” est alors celle du “passage d’une logique intergouvernementale à une logique communautaire pour la matière pénale”. Mais le bilan du rapport est sans appel : “le cadre juridique progressivement établi par l’Union européenne en matière de lutte contre la corruption présente un domaine d’application assez étroit.”

Il semblerait que la corruption ne soit pas encore jugée comme une priorité par les instances européennes. “L’examen des lettres de mission adressées par la nouvelle Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, aux Commissaires désignés par les États membres, a montré qu’aucune d’entre elles ne mentionnait la lutte contre la corruption comme un objectif de la future mandature”, détaille par exemple le rapport dirigé par Bernard Cazeneuve.

Finalement les Etats membres appliquent de manière éparse les mesures en question et les outils de vérification et de suivi des dispositifs anti-corruption de l’Union restent faibles. Un outil a été mis en place en 1999 par le Conseil de l’Europe, le Groupe d’États contre la corruption (Greco) auprès duquel l’Union européenne est devenue observatrice en juillet 2019, ce qui a fait dire à Frans Timmermans, vice-président actuel de la Commission européenne que cette participation “renforce nos efforts communs pour consolider l’État de droit et la lutte contre la corruption à travers l’Europe”. Elle est cependant très tardive.

Une situation loin d’être saine sur le continent

La corruption est désormais considérée comme un domaine de criminalité particulièrement grave, comme le précise l’article 83, paragraphe 1, du TFUE qui la classe à ce titre dans les problématiques revêtant une dimension transfrontière. Des actualités, comme l’interpellation en septembre de Keith Schembri, le chef de cabinet de l’ancien premier ministre Joseph Muscat dans le cadre d’une enquête sur des pots-de-vin viennent ponctuellement rappeler que le continent est loin d’être épargné.

En effet, même si l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International indique que l’Europe est la région considérée comme la moins concernée par la corruption, les affaires impliquant notamment la vente de “passeports dorés” posent des difficultés aux institutions. La Commission vient d’ouvrir des procédures d’infraction à l’encontre de Malte et Chypre. De manière générale, le rapport du Club des juristes déplore tout simplement une “absence de contrôle effectif de la mise en oeuvre des instruments de lutte contre la corruption”.

Surtout, la corruption pourrait être amplifiée par le contexte actuel. Selon une étude du cabinet d’audits EY de 2020, 90% des dirigeants d’entreprises jugent que la crise sanitaire pourrait avoir des conséquences sur l’éthique de la pratique des affaires [3]. Pour la commission du Club des juristes, il est désormais nécessaire que l’Union européenne se dote d’une politique en matière de lutte contre la corruption afin de garantir le respect de l’État de droit et de la démocratie, d’instaurer un niveau de jeu égal entre les entreprises européennes, défendre les intérêts des entreprises européennes dans le monde et enfin promouvoir les normes et pratiques européennes de lutte contre la corruption dans le monde. Le rapport a notamment été transmis à Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, alors que la France prendra la présidence tournante du Conseil de l’Union dans un peu plus d’un an à peine.

Notes

[1Estimating the Economic Benefits of Whistleblower protection in Public Procurement, Commission européenne, 2017

[2The Cost of Non-Europe in the area of Organized Crime and Corruption, Parlement européen, 2016

[3Etude Integrity Report, 16e éd., EY, 2020

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