Un nouvel accord et des élections au Royaume-Uni : vers un Brexit en 2020 ?

, par Timothée Houzel

Un nouvel accord et des élections au Royaume-Uni : vers un Brexit en 2020 ?
Le Parlement britannique et le Big Ben, Source : Maurice

Timothée Houzel a interviewé Dr. Russell Foster, maître de conférence en politiques européennes et britanniques au King’s College de Londres.

Quelles sont les principales caractéristiques du nouvel accord signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) le 17 octobre dernier ? En quoi est-il différent de celui que Theresa May avait préalablement négocié ?

Il faut bien admettre que l’accord approuvé en octobre dernier est relativement identique à celui de Theresa May, bien que la principale différence consiste en la suppression du backstop (filet de sécurité) irlandais ?

Ce qui est frappant, c’est que la question de la frontière irlandaise n’a jamais été évoquée ou débattue lors de la campagne du référendum. Or, depuis le début des négociations en 2017, il s’agit d’une question cruciale : le Brexit implique le rétablissement d’une frontière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, celle-ci doit malheureusement diviser l’Irlande. Cela aurait pourtant pour conséquence de remettre en cause le fragile accord du Vendredi saint de 1998, et risquer un retour de la violence sur l’île.

Après plus de deux ans et demi de négociation, et après la controverse sur le backstop, le « nouvel » accord suppose que l’Irlande du Nord continue à appliquer une partie de la réglementation européenne, évitant ainsi le rétablissement d’une frontière physique entre les deux Irlandes. Dès lors, il est prévu que les marchandises produites en Irlande du Nord entrent dans l’UE sans contrôle douanier aux frontières, tandis que les produits en provenance du reste du Royaume-Uni ou des pays tiers destinés à être vendus dans le marché unique [de l’UE] seront contrôlés aux points d’entrée en Irlande du Nord.

Mais tant l’European research group (ERG) que le Parti unioniste démocrate (DUP) critiquent fortement ce nouveau mécanisme qui, selon eux, diviserait le Royaume-Uni et constituerait une tentative de l’UE de vassaliser le Royaume-Uni. Car pour ne pas avoir à établir une frontière entre les deux Irlandes, le mécanisme revient à déplacer cette frontière entre l’Irlande et le Royaume-Uni.

Après des années d’impasse et à l’approche des élections législatives du 12 décembre prochain, quel est l’enjeu de ces élections ? Et quelles sont les chances qu’une majorité en faveur du nouvel accord émerge ?

En réalité, le principal enjeu de ces élections réside dans ce qu’il est désormais coutume d’appeler la « Brexit fatigue », après plus de trois ans de débats vigoureux et d’instabilité politique chronique. Si le Brexit divise les Britanniques entre eux, leur volonté d’y mettre fin reste leur plus petit dénominateur commun, et ces élections représentent une opportunité pour sortir de cette impasse et résoudre le Brexit. Ce contexte rend le résultat final de ces élections difficile à prévoir pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, personne n’avait anticipé le résultat du référendum de 2016, le résultat des élections législatives de 2017 qui suivirent était inattendu, et a conduit à un Parlement sans majorité [« hung Parliament »]. Cela appelle à la prudence dans les commentaires et les pronostics de ces prochaines élections.

Ensuite, les partis politiques ne semblent pas vouloir répéter la campagne de 2016. Les Conservateurs (Tories) cherchent une majorité capable de ratifier l’accord afin de « get Brexit done » (finaliser le Brexit), les Libéraux-démocrates (LibDem) veulent révoquer l’accord tandis que la position du parti Travailliste (Labour) est toujours confuse.

Les derniers sondages indiquent que les conservateurs obtiendraient une majorité, ce qui traduirait aussi bien la confiance de la société dans la ferme volonté de Boris Johnson de mettre un terme au Brexit, que les faiblesses du parti Travailliste. Le Labour est en effet en proie à des accusations d’antisémitisme et son leader, Jeremy Corbyn, manque de popularité au sein même du parti. Mais l’absence de position claire sur le Brexit est beaucoup plus dommageable pour les Travaillistes qui ont annoncé vouloir renégocier l’accord - sans plus de précisions - et le soumettre à un nouveau référendum - sans donner d’orientation -.

Enfin, tant le refus de Boris Johnson de s’allier au Brexit Party, que l’annonce de Nigel Farage, son leader, de ne pas se présenter aux prochaines élections, laissent à penser que le Brexit Party sera davantage un acteur de second plan dans ces élections, que le pourfendeur de la majorité, en divisant les votes en faveur du Leave. En outre, Nigel Farage est de plus en plus contesté à cause de son opposition systématique à tout accord avec l’UE.

Troisièmement, étant donné la marge de manœuvre limitée des Libéraux-démocrates et la faible crédibilité du Brexit Party, ces élections pourraient en réalité marquer le retour à une vie politique britannique traditionnelle, structurée autour du bipartisme opposant les Conservateurs et les Travaillistes.

Dans le cas que vous évoquez, quelles seraient les prochaines étapes et les prochains défis pour la mise en œuvre de cet accord ?

Si les Conservateurs obtiennent une majorité - même faible -, ils auront suffisamment de députés pour ratifier l’accord, ouvrant la voie à un véritable retrait du Royaume-Uni de l’UE.

Mais le Brexit ne se résume pas à une affaire uniquement constitutionnelle. Ces trois dernières années, cette question a en réalité profondément divisé les Britanniques sur l’image qu’ils ont de leur identité.

Les recherches que je mène au King’s College démontrent que le Brexit a littéralement saturé la vie et la conscience britanniques, en devenant omniprésent dans la société et la culture britanniques. L’idée même que certaines pièces de monnaie britannique commémorent le départ du Royaume-Uni en est un exemple édifiant, la monnaie fiduciaire étant généralement destinée à représenter une histoire glorifiée et relativement consensuelle, tout l’inverse de ce que représente le Brexit.

Car supposons que le Royaume-Uni quitte l’UE en janvier, le Brexit restera malgré tout dans les esprits d’une société britannique divisée, où une certaine sacralisation a progressivement conduit à l’opposition de deux camps hermétiques qui ne s’écoutent plus. À ce titre, les dernières conclusions d’un sondage YouGov sont stupéfiantes et montrent à quel point le Brexit est devenu un véritable poison pour la société britannique.

En réalité, le référendum de juin 2016 ne portait pas sur l’appartenance à l’UE et donc sur les questions européennes. Celui-ci était davantage un vote d’opposition au status quo au Royaume-Uni, incarné par la toute-puissance de Londres, une élite politique désavouée et représentée par David Cameron, aux côtés d’une austérité sans fin. Ce vote constituait un appel à l’aide de communautés qui se sentent au mieux négligées, au pire abandonnées.

Une telle problématique ne sera évidemment pas satisfaite une fois le Brexit approuvé, ratifié et initié. Mais le vote en faveur du Brexit souligne bien la méfiance généralisée de la société britannique. Celle-ci s’illustre d’ailleurs par le grand nombre de députés qui ne souhaitent pas se représenter en décembre prochain.

En cas de Brexit, une période transitoire commencera, au cours de laquelle Londres et Bruxelles négocieront les grandes lignes de leur relation future, quels en sont les enjeux ?

Je crains malheureusement que les Britanniques, une fois le Brexit acté, ne s’intéressent guère à cette période de deux ans, qui sera principalement consacrée à des questions administratives et techniques.

Mais ce serait réducteur de considérer uniquement cette période sous un angle administratif. Du point de vue européen, le Royaume-Uni reste la deuxième plus grande économie du continent, un marché important et une passerelle entre les monde européen et anglo-saxon.

Les Britanniques sont obsédés par le Brexit, mais ils en oublient les autres défis auxquels l’UE est actuellement confrontée. Et ces défis sont nombreux, qu’il s’agisse des relations avec la Turquie, qui menace de laisser circuler des millions de réfugiés sur le territoire européen, des discussions d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie, de la menace russe, ou bien de la récession qui inquiète l’Allemagne et pourrait être plus générale sur le continent, faisant courir le risque d’une hausse de l’euroscepticisme.

Dans ce contexte plus global allant au-delà de la seule question du Brexit, et alors que la prochaine Commission européenne démontre bien que les décisions stratégiques sont encore prises à huis clos, le premier défi pour les institutions européennes reste bien de gagner en légitimité démocratique.

Russel Foster est maître de conférences [lecturer] en politique britannique et européenne au King’s College London et mène des recherches sur la relation entre le nationalisme, l’identité européenne et Brexit.

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