Quel pays dans le monde actuel n’est pas doté d’un chef de l’État ? En dehors de Saint Marin, minuscule république enclavée à l’intérieur de l’Italie et dirigée par dix Capitaines Régents, il n’en existe plus guère.
Un exécutif européen dilué et éclaté
Le pouvoir exécutif européen est actuellement exercé par une multitude d’acteurs, et, plus grave, il est sans tête. Il n’y a pas chef de l’État qui peut parler d’une seule voix à l’étranger, ni rendre des comptes au peuple sur la politique menée par le parti au pouvoir : on ne peut que le déplorer lorsque nous devons négocier avec les États-Unis ou la Chine, ou lors des pâles campagnes électorales européennes : les institutions de l’UE sont illisibles, sans réelle tête, éclatées entre deux organes plus ou moins concurrents.
A défaut d’avoir une réelle présidence de l’Union européenne, nous avons la Commission européenne dont le président, proposé par les chefs d’État, est validé par le Parlement européen, et nomme les commissaires (les ministres) qui seront validés à la fois par les chefs d’État et le Parlement. Elle est actuellement dirigée par Jean-Claude Juncker (ou bien est-ce Martin Selmayr ?). L’Union européenne dépend également très largement du Conseil européen, qui est l’émanation directe des gouvernements des différents états. Leurs ministres sont quant à eux réunis au sein du Conseil de l’Union européenne dont la présidence tournante (qui change tous les six mois, passant d’un pays à l’autre), dirige toutes les réunions des ministres des différents états de l’Union, qui sont organisées régulièrement par type de ministère : par exemple, il y a le Conseil des ministres de l’Environnement, celui de l’Économie... Tous sont concernés sauf celui des Affaires Étrangères, qui est présidé par la Haute Représentante, Federica Mogherini. Cette brève explication donne déjà des maux de tête. Il n’existe nulle part ailleurs dans le monde d’institutions plus complexes pour diriger un pays, même l’Iran et le Vatican font plus simple, c’est dire...
Un président de l’UE renforcerait la démocratie européenne
Une présidence élue directement par les citoyens de l’Union européenne donnerait corps aux partis politiques européens, quasiment inconnus par les citoyens des états membres : le président serait celui d’un parti, et les autres partis se définiraient par leurs oppositions et leurs points de convergence avec la personne élue à la présidence. Les grands médias parleraient bien plus de l’élection présidentielle que des actuelles européennes pour une raison très simple : ce serait beaucoup plus vendeur. La politique n’intéresse la population que lorsqu’elle s’incarne dans des personnalités fortes, comme celles qui émergent à l’occasion d’une présidentielle. Le choc des ego entre en résonance avec celui des programmes politiques et les met en scène.
Certes, les détails de la vie privée peuvent parfois éclipser le fond des débats, et peuvent influer sur le résultat du vote lorsque l’écart entre les candidats est très faible, mais la légitimité conférée par le suffrage universel et l’intérêt suscité pour la chose publique compensent largement ces inconvénients. En effet, les votants ne seraient plus seulement des contestataires ou des citoyens très impliqués, mais émaneraient de tout le corps électoral. L’intérêt pour l’élection présidentielle déteindrait en prime sur celle du Parlement.
Un président de l’UE donnerait plus de poids à l’UE sur la scène internationale
Les avantages ne seraient pas seulement démocratiques : l’Union européenne est souvent qualifiée par ses détracteurs, notamment aux États-Unis, de « ventre mou » de l’Occident. Il lui manque une tête, un dirigeant avec un mandat clair pour parler en son nom. Les effets se font sentir dans de nombreux domaines. D’abord, le commerce international : elle est l’espace économique le plus ouvert, plus que les États-Unis, qui d’après Donald Trump, seraient flouée par ses alliés et les autres, et n’est pas capable d’imposer suffisamment de réciprocité dans son ouverture à ses partenaires, notamment l’Amérique et la Chine. Ensuite, ses intérêts géostratégiques : il lui manque un chef de la diplomatie et des armées, essentiel pour diriger une force militaire européenne et négocier d’une seule voix et d’après un mandat clair. A la place, nous avons 28 politiques étrangères, 28 armées, avec des jeux d’alliances entre pays européens qui se défont au gré des intérêts de chacun. Seule la France, la Grèce et le Royaume-Uni qui nous aura quitté dans un an ont de véritables armées, les autres jouent les passagers clandestins de ces pays et des États-Unis pour assurer leur défense, ce qu’a rappelé avec raison Donald Trump au début de sa présidence.
De fait, alors que notre puissance économique est comparable, nous sommes un nain diplomatique et militaire, ce qui nous met à la merci d’un retournement américain comme celui qui se produit en ce moment. Nous sommes obligés de nous aligner sur leurs positions diplomatiques et sur leurs représailles économiques à l’encontre de leurs ennemis. De fait, l’Union européenne n’est pas capable de faire valoir ses intérêts lorsqu’ils divergent de son grand allié, et n’est pas capable de s’opposer à lui quand c’est nécessaire. Un exemple frappant est l’espionnage d’Angela Merkel par la NSA au début des années 2000, scandale révélé en 2015, et qui n’a pas donné lieu à des représailles dignes de ce nom de l’Europe. https://www.mediapart.fr/journal/france/010715/des-documents-confirment-lespionnage-de-lallemagne-par-les-etats-unis?onglet=full
Si elle était dotée d’une présidence forte, dirigeant sous le contrôle du Parlement une armée puissante, des services de renseignement unifiés et un corps diplomatique cohérent, de telles humiliations, consistant en des pillages de secrets industriels et des affaires, ne pourraient plus se reproduire.
Une proposition pour l’élection présidentielle européenne
Le plus simple serait, comme dans la plupart des démocraties, d’avoir un président élu au suffrage universel qui dirige l’exécutif. Le suffrage universel direct, au scrutin uninominal à deux tours, est une solution éprouvée dans de nombreuses démocraties. Le président nommerait ses ministres, spécialisés dans les grands domaines régaliens de l’État, avec une procédure de validation par le Parlement. Une chambre haute seconderait la chambre basse, elle serait élue ou émanerait de gouvernements élus au niveau des états ou des régions. L’élection se déroulerait tous les cinq ans, en même temps que l’élection du Parlement européen, pour un maximum d’impact sur le débat démocratique. L’avantage de cette élection est d’engager des débats réguliers à propos des orientations politiques à donner à l’Union. A chaque scrutin, le bilan du sortant est débattu par les partis politiques et les candidat(e)s au poste de prochain président. La démocratie en sort renforcée. La présidentielle américaine, soumise au suffrage universel indirect, catalyse la vie démocratique, quoique moins efficace que dans le cas français si l’on s’en tient aux taux de participation.
Le principal avantage, essentiel en démocratie, est que le peuple peut renverser, s’il le décide, un pouvoir qui lui déplaît, en élisant un président de bord politique opposé. C’est également possible lorsqu’on élit un parlement, mais de manière moins lisible et évidente pour les citoyens les moins sensibilisés, qui ont alors le sentiment que les décisions sont prises sans eux ou contre eux. Avec cette élection dans l’UE, la population aurait le sentiment que son bulletin est véritablement utile, que son vote aura un impact réel sur la politique qui sera menée pendant la durée de la présidence.
Un état fédéral durable et prospère ne dirige pas tout, il n’abuse pas des lois, ne veut pas tout réglementer. Il sait rester parcimonieux et déléguer l’exercice de la démocratie au plus près des citoyens, au niveau des états fédérés et des régions. Cependant il a besoin d’institutions fortes pour exercer ses prérogatives régaliennes. Un président élu au suffrage universel direct, qui est à la fois chef de l’État, de la diplomatie et des armées, en serait l’incarnation parfaite.
1. Le 22 novembre 2018 à 17:46, par Henri En réponse à : Une Europe fédérale grâce à un président élu au suffrage universel
J’approuve complètement. Une excellente idée !
Profitons de la campagne pour les élections européennes pour créer le débat, pour mettre en avant dans les débats la proposition d’élection d’un président du conseil européen au suffrage universel direct.
Une modalité plus démocratique de désignation de l’exécutif européen à laquelle il est difficile politiquement de s’opposer et qui peut faire l’unanimité : elle peut être mise en œuvre sans transfert de souveraineté, sans changer les institutions en profondeur, sans avoir besoin de trancher préalablement le débat épineux sur les institutions entre souverainistes et fédéralistes…
Un tel exécutif serait à terme aussi beaucoup plus à même de négocier des accords en Europe favorisant la croissance économique mais aussi plus à même de régler la crise migratoire. La légitimité d’un tel exécutif, son poids, son pouvoir d’attraction, son pouvoir de négociation lui permettrait de promouvoir plus efficacement les droits humains, les valeurs humanistes et les règles de bonne gouvernance économique et ainsi de favoriser le développement économique en Afrique du Nord, au Proche-Orient, mais aussi dans tous les pays d’origine des migrants pour réduire les causes économiques et politiques des migrations.
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