Une histoire de la Politique agricole commune (PAC)

, par Allan Malheiro

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Une histoire de la Politique agricole commune (PAC)
© Michael Gäbler/Wikimedia Commons

Représentant 1,4% du PIB européen et 4% de l’emploi, l’agriculture est souvent vue comme un secteur économique relativement petit. Cependant, elle a une importance particulière dans l’UE parce que la production de nourriture est la base de toutes les activités économiques (et donc, a un impact bien plus important que sa simple part du PIB) et parce que l’Union européenne a d’importantes compétences sur les questions agricoles. La politique agricole commune (PAC) a toujours été son premier poste de dépense, depuis sa création en 1962, et elle a toujours gardé les mêmes buts, assurer une production de nourriture bon marché et stable tout en maintenant des revenus juste pour des agriculteurs. Cependant, sa stabilité ne signifie pas que la PAC est restée la même depuis sa création : au contraire, elle a fait face à de nombreux défis qui ont souvent mené à des révisions.

La naissance de la PAC : entre succès et difficultés

Pendant la période d’après-guerre, les pays européens souffraient d’une production agricole relativement faible, de faibles revenus pour leurs agriculteurs et de différentes politiques agricoles nationales qui les mettaient en concurrence. Après la fondation de la Communauté Économique Européenne (CEE) en 1957, lutter contre ces défis était vu comme un objectif primordial. C’est pour cela qu’en 1962, les pays européens ont créé la Politique Agricole Commune pour assurer une production alimentaire abondante et accessible pour les Européens.

La PAC était basée sur un mécanisme de prix plancher : un prix minimum pour la production alimentaire était garanti aux agriculteurs. Cette politique a obligé la Communauté Économique Européenne à intervenir sur le marché agricole : afin de maintenir les prix planchers stables pour les agriculteurs, elle achetait tous les surplus alimentaires que les agriculteurs n’arrivaient pas à vendre. À cause de ces achats alimentaires, l’Europe a rapidement dépensé beaucoup d’argent dans la PAC et a accumulé de la nourriture. Certains produits agricoles, comme les céréales, étaient stockés (en 1991, 25 millions de tonnes de céréales étaient stockées par la CEE, entraînant des coups de maintenance élevés) et d’autres étaient exportés mais avec de fortes subventions. En 1991, 30 % du budget de la PAC était consacré aux exportations de nourriture, menant à des situations absurdes : par exemple, pour chaque beurre exporté vers l’URSS, l’Europe perdait de l’argent à cause de ses subventions. Finalement, certains produits agricoles comme les fruits et les légumes étaient simplement détruits parce qu’il était difficile de les stocker ou de les exporter.

Même si l’Europe a essayé de trouver des solutions à ces problèmes, par exemple, en donnant de la nourriture gratuite aux ménages pauvres, elles ne furent pas efficaces et, en 1969, la PAC représentait 80 % du budget de l’UE, qui était donc accusée de gaspillage d’argent public. Certains agriculteurs produisaient même des surplus afin qu’ils soient achetés par la Communauté Économique Européenne. Les pays non-européens accusaient également la PAC de donner des avantages injustes à l’agriculture européenne en taxant fortement des produits agricoles étrangers et en subventionnant des produits locaux, enfin, beaucoup critiquaient le fait que les produits américains étaient exemptés de taxation. Pour relever ces défis, certaines réformes furent proposées comme le plan Mansholt (du nom du commissaire européen pour l’agriculture) en 1970 qui préconisait la création de grandes fermes afin d’améliorer le rendement de l’agriculture, de renforcer le protectionnisme agricole et de limiter les aides pour les petites fermes non rentables. Cependant, à cause des critiques, ses mesures furent diluées. Les autres réformes (limitation des dépenses agricoles, introduction de quotas de production afin d’éviter les surplus, réduction des prix plancher,...), malgré certains résultats, ne réussirent pas à réduire significativement le coût de la PAC.

L’ère des réformes

Malgré le gaspillage d’argent public, la PAC de 1962 à 1992 a eu certains succès comme le fait d’avoir évité une crise majeure durant la transition d’une économie agricole à une économie industrielle et a augmenté la productivité avec la Révolution Verte. 1992 a marqué un tournant pour la politique agricole commune : la réforme MacSharry (du nom du commissaire à l’agriculture de l’époque) a réduit de manière importante les prix planchers en échange d’une aide financière directe pour les agriculteurs, créant ainsi la PAC actuelle. Cette réforme a réussi à diminuer le coût de la politique agricole commune et à la rendre plus efficace : quelques années plus tard, ses coûts tombèrent à 50 % du budget de l’UE comparé à 80 % lors de son pic en 1969.

Les réformes de l’Agenda 2000 ont aussi contribué à la création de l’architecture moderne de la PAC. En plus d’aides directes aux agriculteurs (premier pilier, 80 % des dépenses), elles ont mis en place un deuxième pilier (20 % des dépenses) composé d’aides pour l’innovation rurale, de projet agricoles, de diversification des cultures et d’adaptation aux nouveaux défis (écologie, changement climatique,...). En 2003, l’UE a amélioré le deuxième pilier en donnant des aides financières aux agriculteurs qui respectaient l’environnement et ces aides ont depuis augmenté.

Toujours un besoin de réformes ?

Bien que de nombreux problèmes aient été résolus par les réformes précédentes de la PAC, il en reste toujours certains. Le principal est la répartition des aides financières : en 2003, selon une étude de l’OCDE, seulement 50 % des dépenses de la PAC allaient aux agriculteurs (le reste étant allé au propriétaire terrien ou à l’achat de matériel). En 2016, la situation était toujours problématique avec 20 % des bénéficiaires recevant 85 % des subventions. Par exemple, de grands propriétaires terriens comme la reine d’Angleterre ou des princes saoudiens ont bénéficié du support financier de la politique agricole commune. Même certains politiciens en ont bénéficié (comme l’ancien ministre néerlandais de l’agriculture Cees Verman qui a gagné 190 000 € en 2005 grâce à la PAC, ou certains amis de Viktor Orbán qui ont bénéficié de la privatisation des fermes publiques hongroises) et se sont opposés aux réformes. Les réformes écologiques sont également de plus en plus demandées par les ONGs. Dans le reste du monde, la PAC est accusée par certains d’être un protectionnisme européen déguisé, empêchant certains pays d’accéder au marché européen et subventionnant une production alimentaire européenne peu chère.

La nouvelle PAC pour 2023-2027 (la PAC est élaborée par la Commission avec le Parlement et votée par le conseil pour 4 ans) essaie de lutter contre ces problèmes : sur le plan écologique, les dépenses destinées à supporter une agriculture éco-friendly ont été augmentées mais certaines ONGs trouvent cela encore insuffisant et ont critiqué le fait que les aides au maintien de l’agriculture bio n’était pas présentes dans la nouvelle PAC. Afin d’éviter le fait qu’une minorité de d’agriculteurs reçoivent une majorité des financements, une diminution progressive des subventions à partir de 60000 € par agriculteur et une limitation à 100000 € par agriculteurs ont été proposées par la Commission aux États membres mais certains pays comme la France ont refusé de les mettre en place (chaque État membre est ainsi libre d’adopter ou non cette mesure). Cependant, les dépenses de la PAC ont été réduites à nouveau, ce qui est particulièrement critiqué par les agriculteurs en grève.

Malgré des critiques légitimes pour son manque d’aide à l’écologie, la dépendance des agriculteurs à ses aides ou les inégalités de leur répartition, la PAC devient de plus en plus verte et équitable et son utilité n’est plus contestée comme c’était le cas dans les années 1970 ou 1980. En 2022, dans un sondage commandé par la Commission européenne, 80 % des Européens pensaient que la PAC remplissait son but de sécuriser une un approvisionnement stable de nourriture pour l’Union européenne, 65 % pensaient qu’elle assurait des prix raisonnables pour les consommateurs et 63 % pensaient qu’elle protégeait l’environnement et luttait contre le changement climatique, montrant que, malgré la difficulté à modifier la PAC par le passé, beaucoup d’Européens pense qu’elle remplit ses trois buts principaux.

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