Ursula Hirschmann, portrait d’une militante féministe et fédéraliste

Série Situation des Femmes en Europe 3/6

, par Maëlle Lambert

Ursula Hirschmann, portrait d'une militante féministe et fédéraliste
Portrait d’Ursula Hirschmann ©Archives historiques de l’Union européenne

Ursula Hirschmann, militante politique et intellectuelle allemande, a joué un rôle crucial dans la promotion du fédéralisme européen, notamment par la diffusion du Manifeste de Ventotene et par la cofondation du Mouvement fédéraliste européen en 1943. Hirschmann était également une ardente féministe, défendant les droits des femmes et leur participation active dans la construction de l’Europe libre et unie. Son engagement a contribué à façonner les idéaux d’intégration européenne et d’égalité des sexes, de façon conjointe.

Un esprit précocement politisé, en opposition avec le nazisme

Née en 1913 à Berlin, Ursula Hirschmann est issue d’une famille aisée et cultivée. Très tôt, sa maturité intellectuelle et politique se manifeste. Elle se distingue alors par un engagement profond et une vision politique audacieuse, loin de se contenter des chemins tracés par sa famille bourgeoise. En effet, dès son adolescence, qui coïncide avec le milieu des années 20, elle perçoit déjà le péril que représente le nazisme pour son pays. C’est pourquoi elle adhère au SPD, le parti social-démocrate allemand, avec l’objectif d’endiguer cette progression. Dans un contexte de crise économique et politique, l’Allemagne, perdante de la Première Guerre mondiale et pays de naissance d’Ursula Hirschmann, est l’une des premières victimes de la montée de l’autoritarisme.

Dans le même temps, la jeune femme poursuit des études de philosophie et d’économies à l’université de Berlin - mais l’accession des nazis au pouvoir l’oblige rapidement à les arrêter. En raison de son engagement au sein du SPD, elle est forcée, à l’été 1933, de rejoindre Paris avec son frère, le futur économiste Albert O. Hirschmann. Face à l’intensification des persécutions nazies, notamment antisémites, Ursula Hirschmann, d’origine juive, renonce à retourner en Allemagne et fait le choix de mener le combat depuis l’étranger.

Cette période, pleine de dangers et d’incertitudes, constitue le socle de ses convictions antifascistes et pacifistes. Depuis la capitale française, elle poursuit sans relâche sa bataille pour la liberté. Elle y retrouve à cet égard Eugenio Colorni, militant communiste, qu’elle avait côtoyé au sein de l’université de Berlin. Paris est alors le lieu d’exil de nombre de réfugiés politiques, notamment allemands et italiens, en raison de l’accentuation de la politique de répression de l’opposition dans l’Europe de l’entre-deux guerres. Sa fréquentation de groupes de dissidents venus de l’ensemble de l’Europe ne fait que renforcer son engagement politique, et marque un tournant dans son combat pour un fédéralisme européen.

Ursula Hirschmann et le Manifeste de Ventotene

Fraîchement mariée à Colorni, elle s’engage alors dans la résistance antifasciste menée dans l’Italie de Mussolini. Elle s’installe en Italie, à Trieste, d’où elle poursuit des études de littérature allemande. Il s’agit possiblement du moment à partir duquel se renforce le mélange des identités chez la jeune femme : encore attachée à son identité allemande, c’est aussi avec force et courage qu’elle mène un engagement politique en Italie. Cette résistance, et surtout l’arrestation de son mari, puis son confinement sur l’île de Ventotene, la poussent à faire le choix de demander à y suivre son mari. Petite île de la mer Tyrrhénienne, Ventotene est, en plus d’être le lieu de résidence forcée des opposants au régime fasciste, le lieu d’une émulation intellectuelle et politique à laquelle contribue Ursula Hirschmann. C’est là qu’elle rencontre nombre de militants antifascistes, tels qu’Ernesto Rossi et Altiero Spinelli. A quatre, ils échangent et débattent sur leurs visions politiques.

C’est de la rencontre et parfois de la confrontation de leurs idées que naît le Manifeste de Ventotene, un manifeste « Pour une Europe libre et unie ». Programmatique des mouvements politiques européen d’après-guerre, ce manifeste jette dès 1941 les bases des idées fédéralistes qui habitent encore aujourd’hui nos institutions. Il est alors annoncé que le péril nationaliste et belliciste ne pourra être surmontée que par la création d’une entité supranationale : une fédération européenne. S’il est difficile de déterminer le rôle d’Ursula Hirschmann dans la rédaction de ce manifeste, étant donné qu’il n’est signé que par les trois hommes, elle est bien l’artisane de sa diffusion sur le continent. N’étant pas condamnée et de facto pas confinée, elle profite en effet d’une certaine « liberté » de mouvement.

Rejoignant l’Italie continentale à l’aide des sœurs d’Altiero Spinelli, elle diffuse, au péril de sa vie, le manifeste dans la résistance, avec des techniques plus romanesques les unes que les autres, n’hésitant pas à l’imprimer sur du papier à cigarettes ou dans des doublures de vêtements.

Depuis Genève, elle participe à la coordination des mouvements fédéralistes d’Europe

Cette expansion des idées fédéralistes atteint son apogée en 1943 à Milan avec la fondation, notamment par Ursula Hirschmann, du Mouvement Fédéraliste Européen. La naissance de ce mouvement se fait dans un contexte politique particulier : le débarquement des Alliés au sud du pays. Dans cette situation, la répression fasciste s’accentue. Face à cette montée de la pression sur les groupes de résistance, l’assassinat à Rome d’Eugenio Colorni en 1944 par les fascistes est l’élément déclencheur qui convint Ursula Hirschmann de s’installer en Suisse pour y poursuivre son action.

C’est depuis Genève qu’elle joue un immense rôle de coordination, particulièrement dans l’organisation du premier congrès fédéraliste à Paris en 1945, lors duquel, grâce à son impulsion, des personnalités de renoms telles que George Orwell ou Albert Camus se retrouvent. En cette période, ses efforts se concentrent pour lutter contre la reconstruction à l’identique des États-nations européens, mise en avant sous l’influence des Etats-Unis et de l’Angleterre. Elle devient une figure emblématique du mouvement fédéraliste, qu’elle incarne sur le continent, aux côtés d’Altiero Spinelli qu’elle épouse en 1945, suite à la mort de Colorni l’année précédente.

Ursula Hirschmann ou la réunion entre féminisme et fédéralisme

Son engagement n’arrive pas à son terme avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. Devenue une figure importante du fédéralisme européen, elle observe la construction européenne à l’épreuve du contexte international. Elle voit l’opposition entre d’une part la pensée fédéraliste qui lutte pour des prises de positions ambitieuses et, d’autre part, les fonctionnalistes, défenseurs d’une Europe « pas à pas ». Ursula Hirschmann poursuit son engagement pour une Europe libre et unie, convaincue que la paix ne peut perdurer qu’à travers une solidarité active entre les peuples européens. Cette vision de l’Europe, comme un espace de coopération, est au cœur de ses activités politiques.

Mise de côté et d’abord effacée, Ursula Hirschmann souffre de l’institutionnalisation du combat fédéraliste, qu’elle vit comme un renoncement à ses principes militants. Elle se réfugie alors dans la lecture, particulièrement d’ouvrages féministes. Elle fonde alors en 1975 à Bruxelles l’association « Femmes pour l’Europe », réunissant, comme le dit Silvana Boccanfuso, « les deux « ismes » : le fédéralisme et le féminisme ». L’objectif est de rassembler toutes les femmes, de faire progresser la cause féministe pour leur permettre ensuite de s’investir, de la même manière que les hommes, dans la vie politique.

Dans les dernières décennies de sa vie, Ursula Hirschmann continue d’écrire, de participer à des conférences et de défendre ses idéaux. Elle se retire cependant progressivement des premières lignes de l’action politique européenne à la suite d’une hémorragie cérébrale, en décembre 1975, dont elle ne se rétablira jamais complètement. Elle quitte ce monde en 1991, mais laisse un héritage inestimable. Encore aujourd’hui demeure d’elle l’image d’une résistante, inlassable bâtisseuse d’une Europe plus humaine et solidaire.

Le projet SFE - Situation des Femmes en Europe - est une initiative des Jeunes européens Paris, réalisée dans le cadre du Taurillon-en-Seine, qui consiste en une série d’articles de 6 épisodes publiée à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes et abordant la condition féminine sur le continent européen sous des angles très divers et via des analyses, des portraits et des interviews.

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