Valeurs et discours, au cœur de l’euroscepticisme en Europe

Troisième et dernier épisode de notre série d’articles intitulée « Euroscepticisme(s) en Europe »

, par Emma Giraud, Rémi Laurent

Valeurs et discours, au cœur de l'euroscepticisme en Europe

Dans ce dernier épisode clôturant notre série dédiée à(aux) l’euroscepticisme(s) en Europe, nous ouvrons la réflexion sur les divergences de valeurs entre Etats susceptibles d’alimenter ce phénomène, des divergences pas nécessairement nouvelles mais qui ont pu être révélées et amplifiées par la dégradation des conditions matérielles et la crise migratoire au cours de ces dernières années.

Les “nouveaux” Etats membres se rebellent

En évoquant les marques de défiance à l’encontre des valeurs européennes, on pense principalement à l’Europe centrale et orientale, plus précisément au groupe de Višegrad et plus encore à la Pologne et à la Hongrie. En effet, que ce soit sur le plan national - en s’appropriant progressivement le contrôle de la justice et des médias, en revenant sur des mesures sociales (accès à l’avortement par exemple) ou en faisant en sorte de limiter l’influence étrangère (ONG, universités) - ou sur le plan européen - en refusant catégoriquement d’accueillir des migrants par exemple - ces pays font figure de mauvais élèves en tant que membres d’une communauté européenne basée sur des valeurs essentielles à sa constitution et à sa pérennité. En réaction à la crise économique qui a secoué la zone euro - plus que l’UE - et à l’explosion de la crise migratoire, ces pays, sous l’impulsion du Fidesz de Viktor Orbán et du PiS (Droit et justice) polonais, ont enclenché un repli national généralisé, se revendiquant comme des “démocraties illibérales” protégeant la “communauté nationale” et sources d’inspiration pour un nouveau modèle européen. Les réfugiés n’étant plus des personnes mais des envahisseurs menaçant la culture nationale. C’est la recette bien connue de “l’ennemi extérieur”.

Ce conflit témoigne du clivage entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est, caractérisé d’abord par une convergence économique limitée et surtout par des modèles sociaux divergents sources de tensions récurrentes. Ces dernières sont dans une certaine mesure le reflet d’une intégration des “PECO” partielle dans l’UE, qui n’a pas toujours tenu compte de leurs spécificités historiques, sociales et culturelles (langue, religion, communautés) en tant que pays nouvellement indépendants après la chute de l’URSS, par rapport aux expériences vécues en Europe de l’Ouest. D’ailleurs sur le plan politique, les PECO sont toujours considérés comme de “nouveaux” membres de l’UE bien que la plupart d’entre eux l’aient rejointe depuis maintenant plus de dix ans. Leur influence dans les institutions et plus largement sur la scène européenne reste ainsi limitée au profit des “anciens”, ce qui contribue à nourrir dans ces pays un retour vers un cadre de référence national plus proche et qui semble plus légitime et protecteur.

Les valeurs en débat, reflet d’une Europe inachevée

L’ouverture du dossier “respect des valeurs” en Europe a été l’occasion de remettre en exergue plusieurs obstacles à l’achèvement d’une union véritablement européenne.

La première réalité réside dans la dualité entre mandat national et responsabilité européenne des chefs d’Etat et de gouvernement. En tant que tels, ils ont d’office un rôle de représentation de leur pays et de leur population à l’échelle européenne mais pas de mandat européen. Si dans le cadre des élections nationales, la majorité des citoyens ne s’exprime pas en faveur du modèle européen actuel, qui veut conquérir ou conserver le pouvoir n’a pas d’intérêt à le défendre. L’option eurosceptique devient alors privilégiée.

Deuxième réalité, un tel soutien national méfiant vis-à-vis du projet européen encourage une attitude de passager clandestin sur la scène européenne : profiter d’un maximum d’avantages tout en assurant le moins de contreparties possibles. Certains reprochent ainsi à des pays tels que la Pologne et la Hongrie de défier les valeurs fondamentales européennes et de refuser d’accueillir des migrants tout en recevant une aide financière conséquente via les fonds européens. Le vrai problème est qu’une partie des citoyens d’Europe centrale et orientale n’est plus à l’aise avec le projet européen actuel. Cela démontre bien que l’Europe ne peut plus se limiter à un projet économique pour convaincre mais doit au contraire tenir compte des aspirations, parfois diverses, des populations qui la composent sur d’autres plans essentiels dans leur quotidien.

Enfin, la proposition de recourir à une coupe des fonds européens dans ce genre de situation apparaît comme une sanction technique par défaut, dans la mesure où elle démontre une fois de plus la limite des traités européens dans leur état actuel, privilégiant le recours à l’unanimité, ainsi que l’incapacité des dirigeants à faire émerger un compromis politique, y compris sur un aspect fondamental pour notre Union. Une telle proposition n’est ainsi probablement pas la réponse adéquate en tant qu’option financière face à une problématique essentiellement politique.

De l’importance d’un discours crédible et assumé

On ne peut nier le fait que les partis dits eurosceptiques établissent souvent un diagnostic relativement correct [Cf. “Les salauds de l’Europe”, Jean Quatremer[]] de la situation européenne - quoique souvent exagéré et biaisé. Qui nierait que la gestion de la crise migratoire a été catastrophique ou encore que la zone euro reste fragilisée par une crise décennale ? Le réalisme et la pertinence de leurs réponses sont à l’inverse limités. Comment un pays aux frontières fermées pourrait-il mieux gérer une problématique qui le dépasse ? Comment un pays intégré dans le système économique et financier mondial pourrait-il imaginer en sortir en douceur ? Les difficiles négociations de sortie du Royaume-Uni de l’Union montre que quitter cette dernière n’est pas forcément le paradis promis par tant de voix eurosceptiques. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’une réponse européenne à ces questions soit évidente pour tous.

L’une des explications possibles réside dans la mise en difficulté voire le refus des partis pro-européens de reconnaître leurs erreurs, dans la mesure où tenir un discours véritablement lucide et transparent sur la situation en Europe reviendrait possiblement à se faire traiter d’eurosceptique à leur tour par Bruxelles (à l’image du gouvernement portugais qui a dû convaincre ses partenaires et surtout les institutions européennes de son bon vouloir européen pendant des mois tout en appliquant un schéma de réformes éloigné de la doctrine bruxelloise en vigueur).

Notre analyse de l’euroscepticisme montre qu’il n’est pas unique mais a des fondements divers et variés. Des fondements qui secouent au cœur le projet européen et le mettent face à ses contradictions et à ses imperfections. Des fondements qui mettent aussi en évidence l’idée selon laquelle le développement de ces mouvements eurosceptiques un peu partout sur le continent provient davantage d’une absence de réponse crédible de l’Europe et de ses soutiens, trop souvent empêtrés dans une réalité politique explosive et dans un schéma intergouvernemental étouffant, plutôt que de l’Europe en tant que telle.

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