Vers la création d’un parquet européen

, par Thomas Buttin

Vers la création d'un parquet européen
CC Pixabay

L’espace de liberté, de sécurité et de Justice est aujourd’hui chahuté par une méfiance grandissante des acteurs nationaux en matière de coopération judiciaire, tout particulièrement en ce qu’ils estiment être une immixtion profonde dans leur sphère de souveraineté.

Malgré une unanimité des professionnels du droit et de la Justice sur la nécessité d’une intégration européenne effective et dépassant le simple stade de la coopération inter-juridictionnelle, le projet d’unification de l’espace de Justice n’est pas encore achevé. Cette insuffisance de la reconnaissance mutuelle en matière judiciaire a été soulignée dès 1997 par le professeur Delmas-Marty dans son étude sur les plans du futur espace judiciaire européen et dans la lutte contre la délinquance transfrontalière. Cette construction passe par la création d’une institution essentielle : le parquet européen.

Le parquet européen serait une institution indépendante et deviendrait la première instance européenne dotée de compétences judiciaires propres. Sa compétence serait réduite à la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union mais pourrait être étendue, par la suite, à l’ensemble des crimes et délits graves de dimension transnationale. Cette mission serait assurée en s’appuyant sur les autorités nationales.

Il sera chargé de diriger des enquêtes et d’exercer des poursuites pénales dans le domaine de la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union, dont les principales victimes sont les contribuables européens. Le parquet sera soumis au contrôle démocratique et sera responsable devant le Parlement européen, le Conseil et les parlements nationaux : il se présenterait sous la forme d’un organe décentralisé permettant une meilleure intégration dans les systèmes judiciaires nationaux, notamment par le biais de procureurs européens délégués au seins des Etats membres et hiérarchiquement supervisés et coordonnées par les procureurs européens.

Cette organisation collégiale organisée autour d’un office central et d’échelons décentralisés dans les Etats est l’illustration du compromis trouvé entre une coopération inter-juridictionnelle et un fédéralisme assumé, tout en n’entravant pas sa capacité à exercer des poursuites devant les juridictions nationales directement et à appréhender au niveau pertinent les circuits de fraudes transnationaux.

Le Traité de Lisbonne a prévu la création de cette institution en ce qu’elle permettrait d’assurer l’uniformité du droit communautaire et la protection des droits procéduraux de l’Etat de droit et de la Charte des droits fondamentaux. Le 28 mars dernier, quelques jours après la célébration des 60 ans du Traité de Rome, les ministres de la Justice de 13 Etats de l’Union européenne se sont accordés sur la création de ce parquet européen dans le cadre d’une coopération renforcée. Cela constitue une étape majeure dans la construction de l’espace judiciaire européen et intervient trois ans après le début des négociations et des échecs à trouver un accord unanime de tous les Etats européens au Conseil.

L’Allemagne, la France, la Lituanie, la Grèce, le Luxembourg, la République Tchèque, le Portugal, la Finlande, la Slovénie, la Slovaquie et la Bulgarie sont les signataires de ce parquet européen qui devrait voir le jour d’ici la fin de l’année. Cette coopération renforcée adoube la pratique d’une Europe à plusieurs vitesses dénoncée férocement par le groupe de Visegrád mais qui, paradoxalement, n’en sont pas signataires pour la plupart.

Selon un diplomate, il est « fort probable » que l’Italie ne participe pas non plus au projet, étant donné que la proposition de règlement a été édulcorée par un certain nombre de gouvernements souhaitant laisser un nombre de pouvoirs conséquent à leurs procureurs nationaux. Ainsi, créer un parquet européen n’aurait « pas vraiment de sens » pour les autorités italiennes. La France et l’Allemagne ont effectivement pris l’initiative de s’éloigner de la proposition de la Commission et en imposant un parquet européen, certes, mais un parquet affaiblit dans ses compétences, ses moyens et son indépendance vis-à-vis des Etats de l’Union.

On peut déplorer aujourd’hui le manque d’ambition du projet par une approche semi- communautaire et de demi-mesure résultant des jalousies souveraines des Etats. C’est ici un manque de volonté politique clair qui fait défaut au projet de parquet européen alors que tous les constats pratico-juridiques montrent son utilité irréfutable et grandissante.

Le constat est qu’aujourd’hui, les instruments de coopération existants que sont l’Office européen de lutte anti-fraude, Eurojust ou Europol sont inefficaces. L’on constate ces réelles lacunes en ce que seulement 31% des 430 recommandations émises par l’Office européen de lutte anti-fraude ont été suivies de poursuites depuis 2013, sachant que cela représente une perte de plus de 3 milliards d’euros par an. La Cour des comptes de l’Union européenne relève à ce titre qu’il «  n’existe pas de politique ou de stratégie intégrée au niveau de l’Union européenne en matière d’enquêtes sur les fraudes et de poursuites des contrevenants. Les autorités répressives et judiciaires travaillent souvent de façon indépendante et coopèrent rarement avec tous les Etats membres affectés ».

Le parquet européen, malgré ses défaillances et malgré les imperfections dans le projet, apportera une réponse efficace et effective aux problématiques actuelles.

Le parquet européen pourrait, à la différence de l’Office européen de lutte anti-fraude, mener des enquêtes du début à la fin en exerçant devant les juridictions compétentes au sein des Etats membres l’action publique relative à ce type d’infraction. Robert Badinter s’est positionné clairement en faveur d’une telle construction en ces termes : « Il faut au sommet et dans l’Europe un parquet européen apte à diriger les poursuites dans toutes les nations ». Malheureusement, aujourd’hui « ce ne sont pas les idées qui font défaut, c’est la volonté politique », alors que la nécessité d’un parquet européen paraît évidente. Il serait en effet « un tort que de considérer la protection des intérêts financiers de l’Union européenne comme un objectif mineur, lointain ou technocratique ».

La création d’un parquet européen assurerait l’effectivité d’un espace unique de justice au sein de l’Union et apporterait les premières fondations à la naissance d’un ministère public européen compétent pour lutter contre la criminalité organisée transfrontalière, dont fait partie le terrorisme. Ce projet imparfait ne doit pas être décrié mais être soutenu en ce qu’il apporte les bases à une intégration plus aboutie et perfectionnée de l’espace judiciaire européen. L’espace de liberté de sécurité et de Justice doit aujourd’hui devenir une des priorités de la construction européenne pour finaliser cette construction d’un espace unique : le parquet européen peut y contribuer.

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