Face à l’instabilité croissante du système international, l’Union traverse une crise identitaire. Face à ces dépendances stratégiques à l’égard des grandes puissances, elle a décidé de muter en passant au-delà de son traditionnel soft power économique et culturel. Quelles ont été ses réactions face à la guerre en Ukraine, à la crise climatique et à la crise énergétique ? Green Deal, Net Zero Industry Act, Chips Act, Data Act ou encore dotations financières supplémentaires à la Facilité européenne pour la paix. L’Union, comme à son habitude, a réagi par des normes, du droit. S’agit-il maintenant de les utiliser de manière stratégique.
En cherchant à prendre le contre-pied de l’idée générale selon laquelle l’Union doit nécessairement réussir à développer un hard power pour devenir une puissance internationale, ce bref article cherche plutôt à appuyer le fait que l’Union européenne pourrait trouver son salut dans le développement d’un normative power. Ce qui est désormais nommé « l’effet Bruxelles ».
L’effet Bruxelles comme capacité d’influence du système international
L’Union européenne s’illustre plus que jamais comme une puissance normative globale. Son influence est grandissante dans une pluralité de domaines transnationaux : environnement, sûreté alimentaire, protection des données personnelles et régulation des réseaux sociaux. L’exemple de la réglementation européenne sur les OGM ou sur les données, avec le Règlement général sur la protection des données, en sont des illustrations marquantes. Selon Anu BRADFORD, le phénomène de diffusion des normes européennes dans le système international se nomme « effet Bruxelles ». Il représente la capacité unilatérale de l’Union de réguler le marché économique mondial. Il systématise le phénomène de diffusion des normes européennes à l’extérieur des frontières de celle-ci.
Pour mieux le comprendre, l’auteure le décompose en deux branches : l’effet Bruxelles de facto et l’effet Bruxelles de jure. Le premier prend en compte l’adaptation du comportement des grandes entreprises aux normes de l’Union, pour des raisons d’attractivité économique. Le second s’illustre dans l’européanisation de l’ordre juridique des États tiers. Les deux composantes de l’effet Bruxelles témoignent que ce phénomène s’est développé indépendamment de la volonté des institutions européennes.
La production normative européenne poursuit l’objectif d’un lissage des législations des États membres pour une intégration toujours plus poussée entre eux ainsi que d’un approfondissement du marché intérieur. Une fois adoptées, ces normes sont intégrées au sein des ordres juridiques des États membres et, par effets rebours, au sein des comportements commerciaux des grandes entreprises et des consommateurs.
Ces derniers, notamment les entreprises multinationales, vont participer à la diffusion des normes européennes en adaptant leur comportement commercial aux normes européennes de facto. Face à ce phénomène, ces entreprises vont user de lobbying pour que les États tiers adaptent leur ordre juridique aux normes européennes afin de ne pas distordre la concurrence et de ne pas entraîner des surcoûts inutiles pour s’adapter aux normes plus faibles d’autres marchés de jure.
L’effet Bruxelles comme vitrine de la puissance européenne
Bien qu’originellement non-intentionnel, l’effet Bruxelles est maintenant pris en compte par les institutions européennes, et notamment par la Commission. Une utilisation stratégique de ce phénomène dans des secteurs-clés permettrait à l’Union de déployer tout son potentiel de puissance normative dans le système international et de rivaliser, par d’autres moyens que les armes, avec les grandes puissances.
La prise de conscience du potentiel de l’effet Bruxelles se produit aux alentours de 2007 lorsque la Commission publie plusieurs documents, notamment un document de travail intitulé : « The External Dimension of the Single Market Review » dans lequel elle indique sans ambiguïté : « The EU is emerging as a global rule maker ». Depuis lors, les déclarations politiques et documents européens font clairement état d’une volonté d’établir des standards réglementaires internationaux : « we want to set the global standard ». Pour autant, il faudrait que cette volonté ne se limite pas aux seuls domaines de l’économie et du commerce.
L’effet Bruxelles comme outil de la puissance normative européenne
Pour s’affirmer en tant que puissance internationale, il serait intéressant qu’elle développe une boîte à outils de l’effet Bruxelles en identifiant et en développant des instruments pour diffuser ses normes dans une pluralité de domaines : santé, énergie, infrastructures, alimentation, environnement, etc. Le mécanisme des clauses aux traités en est par exemple un bon moyen. Par le biais de clauses Cour pénale internationale, l’Union européenne est capable de forcer la main à des États tiers, désireux de négocier avec l’Union, pour ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
L’attractivité du marché intérieur permet à l’Union de faire pression sur les États tiers et d’influencer leur ordre juridique respectif. Au lieu de prôner un hard power dystopique et contraire à la genèse de la construction européenne, l’Union devrait travailler sur le développement de l’effet Bruxelles comme un outil stratégique pour concrétiser sa puissance normative. Les objectifs étant l’indépendance vis-à-vis des grandes puissances et la préservation de la paix et de la sécurité de l’ordre international.
Un obstacle de taille reste cependant à prendre en compte. Les limites de la pénétration des normes européennes dans les ordres juridiques nationaux et dans l’ordre juridique international. L’intégration européenne connaît aujourd’hui de fortes difficultés avec une recrudescence des mouvements eurosceptiques, le traumatisme de l’échec du traité établissant une Constitution pour l’Europe et les rejets et l’incompréhension de la représentation et de la démocratie européenne par les citoyens des États membres. Si l’Union européenne n’est pas capable de susciter l’adhésion au sein de ses frontières, il sera impossible de la susciter au-delà.
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